Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Le contrôle des comptes de gestion du majeur protégé.

Par Léo Olivier, Avocat.

7350 lectures 1re Parution: Modifié: 4 commentaires 4.29  /5

Explorer : # protection juridique des majeurs # contrôle des comptes de gestion # désignation des professionnels qualifiés # conditions de vérification et d'approbation

Le saviez-vous ? Depuis mars 2019, le juge des tutelles peut désigner un nouvel acteur : le contrôleur des comptes de gestion du majeur protégé.

Il aura fallu attendre cinq ans pour que paraissent les trois textes d’applications permettant sa mise en œuvre effective.

Entrés en vigueur les 4 et 5 juillet 2024, le décret n° 2024-659 du 2 juillet 2024 et les arrêtés du 4 juillet viennent ainsi préciser :

  • Les conditions de désignation de la personne habilitée à réaliser ce contrôle ;
  • Les conditions de mise en œuvre de la mission de vérification et d’approbation des comptes de gestion de la personne protégée.
-

I. Un bref rappel historique.

Précédemment, la tâche de contrôler les comptes de gestion incombait essentiellement aux directeurs de greffe judiciaire.

En 2016, la Cour des comptes [1] tout comme le Défenseur des droits [2] s’étaient émus dans leurs rapports respectifs dédiés à la protection juridique des majeurs : « exception faite de quelques greffes, la procédure d’examen des comptes rendus est largement inopérante. Il s’agit d’une situation alarmante et gravement préjudiciable aux personnes protégées comme aux mandataires ».

Ces défaillances résultaient notamment du manque de moyens humains consacrés à cette mission et du manque de formation en la matière.

Ainsi, la loi de programmation et de réforme pour la justice 2018-2022 [3] est venue assouplir les conditions de contrôle pour les patrimoines les plus modestes et a réécrit l’article 512 du Code civil, et notamment son second alinéa comme suit :

« […] lorsque l’importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, le juge désigne, dès réception de l’inventaire du budget prévisionnel, un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l’approbation des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Le juge fixe dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné de pièces justificatives, en vue de ces opérations ».

Au titre des dispositions transitoires, il était prévu que l’entrée en vigueur de ce point soit différée, au plus tard, au 31 décembre 2023. La vérification et l’approbation des comptes annuels de gestion établis antérieurement à cette date restent dévolues au directeur des services de greffe judiciaires.

Le décret du 2 juillet prévoit ainsi que rétroactivement, si d’aventure des professionnels qualifiés avaient été désignés entre le 1er janvier et le 4 juillet 2024 sera réputé valablement désigner pour toute la durée de sa mission.

Gageons, que si cette hypothèse apparaît peu probable en pratique en l’absence de décret d’application, elle tend à assurer une cohérence juridique des textes.

II. Les conditions de désignation de la personne habilitée.

Dès le jugement d’ouverture de la mesure, et à tout moment, le juge du contentieux de la protection (ex-juge des tutelles) peut désigner un professionnel aux fins de vérification et d’approbation des comptes de la personne protégée dès lors qu’il remplit les conditions suivantes.

1. Les pré-requis.

Article 1257-2 du Code de procédure civile (ci-après CPC)

1.1. Pour les personnes physiques.

4 conditions cumulatives :

  • Justifier d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans, ou d’une formation, dans le domaine de la comptabilité et de la protection juridique des majeurs ;
  • Avoir souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle couvrant spécifiquement la mission de contrôle des comptes de gestion ;
  • N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur ou à la probité ayant donné lieu à condamnation pénale ou à une sanction disciplinaire ou administrative ;
  • N’avoir pas été frappée de faillite personnelle ou de l’une des mesures d’interdiction ou de déchéance prévues au livre VI du code de commerce.

Sont dispensés de justifier de ces conditions : les notaires, les commissaires de justice, les commissaires aux comptes et les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

1.2. Pour les personnes morales.

La personne morale doit remplir 3 conditions cumulatives :

  • Avoir souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle couvrant spécifiquement la mission de contrôle des comptes de gestion ;
  • N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur ou à la probité ayant donné lieu à condamnation pénale ou à une sanction disciplinaire ou administrative ;
  • N’avoir pas été frappée de faillite personnelle ou de l’une des mesures d’interdiction ou de déchéance prévues au livre VI du Code de commerce.

En outre, ses dirigeants et chaque personne susceptible d’exercer cette mission pour le compte de la personne morale doit remplir les conditions requises pour les personnes physiques, à l’exception de l’assurance qui est déjà couverte par celle souscrite par la personne morale.

2. L’inscription sur la liste du Procureur de la République.

Article 1257-1 alinéa 1er du CPC

Les candidats doivent déposer la demande et les justificatifs auprès du Procureur de la République compétent, lequel vérifie que les conditions précitées soient remplies.

Le juge désigne en priorité un professionnel inscrit sur une liste spécifiquement établie par le Procureur de la République du ressort du tribunal judiciaire dont il dépend.

Si besoin, le juge pourra également piocher sur les listes établies par les procureurs de la République siégeant dans un autre tribunal judiciaire, à condition qu’il soit situé dans le ressort de la même Cour d’appel.

À titre exceptionnel, comme en matière d’expertise, le juge peut désigner un professionnel qualifié non inscrit sur l’une de ces listes dont il s’assure qu’il remplit les conditions fixées à l’article 1257-2.

3. Les incompatibilités.

Article 1257-1 alinéas 2 et 3 du CPC

Si la mesure de protection ou les fonctions de subrogé curateur ou subrogé tuteur sont déjà exercées par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ne peuvent être désignés en qualité de personne qualifiée pour effectuer la mission de contrôle :

  • Un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;
  • Une personne morale comportant en son sein des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, même si ces derniers ne seraient pas directement en charge de ladite mission de vérification et d’approbation des comptes.

4. La prévention des conflits d’intérêt.

Article 1257-6 du CPC.

Durant les cinq années précédant sa désignation, le professionnel qualifié ne doit pas :

  • avoir perçu, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, une rétribution, un avantage ou un paiement de la part du majeur protégé ou de la personne désignée pour exercer la mesure de protection ;
  • s’être trouvé en situation de conseil de ces personnes ;
  • s’être trouvé en situation de subordination par rapport à elles.

En toute hypothèse, le professionnel ne doit pas : avoir d’intérêt ou de lien de parenté ou d’alliance avec le majeur protégé ou la personne désignée pour exercer la mesure de protection.

III. Les conditions de mise en œuvre de la mission de vérification et d’approbation.

1. La soumission au secret professionnel.

Article 1257-5 du CPC

La personne habilitée est tenue au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont elle a pu avoir connaissance dans le cadre de cette mission.

2. Les délais de transmissions des rapports.

Articles 1254 et 1257-9 du CPC

La transmission annuelle des attestations d’approbation et rapports de difficulté.

L’article 1254 du Code de procédure civile précise ainsi que le compte de gestion est réalisé par année civile, sauf lors de la première année, les opérations portant à compter du jour de sa désignation jusqu’au 31 décembre de l’année en cours.
La personne en charge de la mesure de protection (tuteur, curateur, personne habilitée ou mandatée) adresse annuellement ledit compte de gestion, accompagné de l’intégralité des pièces justificatives directement au juge en cas de patrimoine modeste, ou au contrôleur désigné en cas de patrimoine plus important [4].

Cette transmission doit avoir lieu avant le 30 juin de l’année suivante ; ou dans les trois mois suivant la fin de la mesure. À défaut, un rapport de difficulté sera édicté par le contrôleur [5].

La personne chargée de vérifier le compte de gestion aura alors jusqu’au 31 décembre dans le premier cas ou dans les six mois de la transmission en cas de fin de la mesure pour adresser au juge soit une attestation d’approbation ou d’un rapport de difficulté.

Une transmission récapitulative au terme de sa mission.

Au terme de sa mission, le professionnel transmet au juge l’intégralité des comptes de gestions, pièces justificatives ainsi que les attestations d’approbation et rapports de difficulté des cinq dernières années.

Pour guider les contrôleurs, la chancellerie a fixé trois modèles-types pour le compte de gestion, l’approbation du compte de gestion et le rapport de difficulté, actes obligatoires définis respectivement aux articles 510, 512 et 513-1 du code civil.

Il conviendra de se référer aux annexes de l’arrêté du Garde des Sceaux 4 juillet 2024 relatif aux modèles de compte de gestion, d’attestation d’approbation et de rapport de difficulté [6].

3. Les droits d’accès et de communication.

Article 1257-7 du CPC

Pour mener à bien sa mission, le professionnel qualifié peut obtenir, de la personne en charge de la mesure, toute pièce ou information utile pour l’accomplissement de sa mission, et avoir accès à l’entier dossier détenu au greffe.

4. La rémunération du professionnel qualifié.

L’arrêté du 4 juillet 2024 fixe proportionnellement à la fortune du majeur à protéger la rémunération du professionnel qualifié chargé du contrôle des comptes de gestion [7].

5. La sanction des manquements de la personne habilitée.

Articles 1257-4 et 1257-8 du CPC

En cas de manquement caractérisé dans l’exercice de la mission de vérification et d’approbation des comptes de gestion, le juge peut (d’office, à la demande du majeur protégé ou de la personne chargée de la mesure de protection ou du procureur de la République) dessaisir le professionnel qualifié de sa mission, après avoir donné à celui-ci la possibilité de présenter ses observations par tout moyen ; voire demander au procureur de la République de retirer cette personne de la liste des professionnels qualifiés.

En outre, plusieurs situations donneraient lieu à un dessaisissement d’office : méconnaissance de l’obligation d’information, retrait de la liste du procureur de la République, ou encore conflit d’intérêt ou incompatibilité suite à un changement de la qualité du tuteur ou subrogé en charge de la mesure.

Enfin, dans le cas où « des manquements caractérisés ou répétés dans l’exercice des missions qui leur ont été confiées » seraient relevés, l’article 1257-4 du Code de procédure civile prévoit la procédure d’exclusion des listes à l’initiative du Procureur de la République.

Léo Olivier, Avocat,
Barreau de Lille.

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Notes de l'article:

[1La protection juridique des majeurs : une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante - Septembre 2016.

[2Rapport - Protection juridique des majeurs vulnérables 29 septembre 2016.

[3Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice.

[4Article 513 du Code civil.

[5Articles 510 et 514 Code civil

[6NOR : JUSC2417385A

[7NOR : JUSC2333314A

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Discussions en cours :

  • par Nicolas , Le 18 avril à 19:08

    Bonjour,

    Lorsque le juge des tutelles décide de désigner par ordonnance un professionnel qualifié pour vérifier les comptes de gestion cette décision est-elle susceptible d’appel auquel cas elle doit être notifiée par LRAR ou n’est-il pas susceptible d’appel auquel cas elle peut être notifiée par tout moyen ?

    En effet même la circulaire ( C1/2.1.12./202430000903) du 24 septembre 2024 publiée le 02 octobre 2024 ne mentionne rien à ce sujet.

    En vous remerciant.

  • Bonjour,
    Pour faire suite à votre article, je voulais juste vous informer que j’ai postulé pour être professionnelle qualifiée pour contrôler les comptes de gestion mais ma candidature n’a pas été retenue bien que je remplisse les quatre conditions de l’article 1257-2 du CPC.
    Fallait-il comprendre que c’est réservé uniquement aux notaires, commissaires de justice, commissaires aux comptes, mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) ? Sachant que les 3premières professions ne connaissent pas le métier de MJPM et que pour la dernière, avoir la possibilité de contrôler ses collègues ou confrères me pose question...

    Après avoir été clerc de notaire pendant 17 ans, j’ai repris des études et obtenu le diplôme de MJPM puis j’ai travaillé chez une MJPM libérale pendant 7 ans.
    Alors je ne comprends pas ce refus
    Merci de m’avoir lu
    Cordialement

    • par Léo OLIVIER , Le 30 décembre 2024 à 15:17

      Bonjour Madame,

      Je vous confirme que les textes, pas plus que la circulaire parue après l’été, ne restreignent l’accès aux seuls notaires, commissaires de justice et MJPM. Le texte leur accorde uniquement une présomption s’agissant des compétences permettant d’être inscrit sur ladite liste, sans aucunement interdire d’autre candidat.

      Il m’est impossible de vous répondre plus précisément via ce forum dont ce n’est pas l’objet, mais le parcours que vous indiquez devrait permettre effectivement d’y accéder (sous réserve des autres conditions).

      Une réflexion sur la possibilité d’effectuer un recours sur ce refus pourrait être menée.

      Sincères salutations

    • par Gosselin Fannie , Le 22 janvier à 21:36

      Bonjour

      Je suis actuellement déléguée mandataire à la protection des majeurs au sein d’une association tutélaire.

      Puis je postuler pour être professionnelle qualifiée ?

      Merci de votre réponse

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