La confrontation dans les enquêtes de police et les instructions judiciaires.

Par Avi Bitton, Avocat et Lucine Bertrand, Juriste.

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Explorer : # confrontation # droits de la défense # procédure pénale # enquête policière

Quel est le but d’une confrontation dans une procédure pénale ? Qui participe à une confrontation ? Les avocats peuvent-ils y assister ? Comment se déroule une confrontation ? La confrontation est-elle enregistrée ?

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La confrontation est acte d’enquête qui a pour objectif de participer à la manifestation de la vérité en comparant plusieurs versions des faits a priori discordante.

Concrètement, elle consiste à mettre en présence au minimum deux personnes pouvant être :
- Le mis en cause ;
- Le plaignant ou la partie civile ;
- Un témoin assisté ou un simple témoin (article 102 du Code de procédure pénale) ; les témoins peuvent être entendus séparément ou confrontés entre eux ou avec les parties.

La confrontation peut être réalisée par un agent ou un officier de police judiciaire dans le cadre de l’enquête de police, ou par un juge d’instruction au stade de l’information judiciaire.

I. Les droits des personnes confrontées.

1. Le droit à la confrontation.

a) Droit européen.

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Ainsi, le droit européen garantit le droit à un procès équitable.

Il en découle l’obligation faite aux Etats membres de permettre la confrontation entre l’accusé et toutes les personnes qui l’accusent, sur le fondement du paragraphe 3 d) de cette disposition :

« 3. Tout accusé a droit notamment à : (...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

Pour veiller au respect de cette règle, la Cour européenne des droits de l’Homme envisage la procédure pénale dans son ensemble et notamment les droits de la défense, l’intérêt du public et des victimes ainsi que les droits des témoins.

La notion de témoin revêt un sens autonome dans le système de la Convention, quelles que soient les définitions retenues en droit national. Dès lors qu’une déposition est susceptible de fonder - de manière substantielle - la condamnation du prévenu, elle constitue un témoignage et les garanties prévues par l’article 6 lui sont applicables.

Les témoins au sens de la Convention peuvent donc être des coaccusés, des victimes, des experts, des policiers,…

Ainsi, la Convention européenne impose que soit organisée une confrontation directe entre le suspect et la victime, au plus tard au moment de l’audience de jugement.

Cependant, elle est plus nuancée s’agissant de la nécessité d’une confrontation directe entre le requérant et un témoin qui « ne peut être tranchée qu’à l’aune des faits de chaque cas d’espèce sur la base des critères dégages par la Cour concernant l’examen de l’équité́ globale du procès sur le terrain de l’article 6 § 3 » (Fikret Karahan c. Turquie, §39-40).

Ce faisant, les juridictions françaises ont pris la mesure de ce principe et imposent que soit mis en œuvre tous les moyens possibles pour que la confrontation ait effectivement lieu. Le parquet doit exercer ses pouvoirs de recherche et de réquisition pour que le suspect puisse être mis face aux témoins qui l’accusent, lorsqu’ils sont en fuite par exemple.

b) Droit français.

Pendant longtemps, la confrontation était laissée à l’appréciation souveraine du magistrat instructeur.

Sous l’impulsion du droit européen, le législateur permet - depuis 1993 - aux parties de demander au juge d’instruction de procéder à une confrontation (article 82-1 alinéa 1er du Code de procédure pénale). Le témoin assisté peut, lui aussi, faire une demande de confrontation.

A la suite du procès d’Outreau et les critiques sur l’instruction du dossier, la loi du 5 mars 2007 a ouvert la possibilité, pour la personne mise en examen ou le témoin assisté « mis en cause par plusieurs personnes », de demander à être confrontés séparément avec chacune d’entre elles. Le refus par le juge d’instruction d’une confrontation individuelle ne peut pas être simplement motivé par l’organisation d’une confrontation collective.

Lorsqu’une partie en fait la demande, le juge d’instruction peut refuser d’organiser une confrontation. Il doit alors rendre une ordonnance motivée de refus dans un délai d’un mois à compter de la demande. Un appel peut être formé contre ce refus devant la chambre de l’instruction.

2. Le droit à la présence de l’avocat.

Selon l’article 114 du Code de procédure pénale :

« Les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins qu’elles n’y renoncent expressément, qu’en présence de leurs avocats ou ces derniers dûment appelés ».

Les avocats sont convoqués au plus tard cinq jours ouvrables avant la confrontation par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Cependant, la Cour de cassation distingue deux types de confrontations :

- Les confrontations simples dont l’objet ne porte pas sur le fond, mais « où les questions posées à l’inculpé se sont strictement maintenues dans les limites d’un acte de confrontation portant uniquement sur les déclarations des témoins » ou lorsque « l’inculpé, mis en présence du témoin qui l’a reconnu, n’a fait aucune déclaration ni formulé aucune observation, et n’a été appelé à tenir devant le juge qu’un rôle purement passif ».

Dans ce cas, la Cour de cassation n’exige pas que le conseil soit présent ou ait été appelé.

Ainsi, par exemple, le formalisme de l’article 114 du Code de procédure pénale n’a pas être respecté lorsque la personne est présentée aux témoins derrière une glace sans tain, en vue d’une reconnaissance, ou lors d’une parade d’identification parmi 6 figurants qui doivent prononcer des propos semblables en présence des témoins pour reconnaitre leur voix ; ces auditions n’ayant entrainé ni confrontation ni interrogatoire.

- Les confrontations constituant un véritable interrogatoire, sont celles qui ont abordé des éléments de fond et « où les questions posées à l’inculpé à l’occasion et à la suite d’une confrontation, ont pris le caractère d’un interrogatoire véritable », ou celles « portant non seulement sur la déclaration du témoin, mais aussi sur les pièces jointes à l’information ».

Ici, il est impératif que le conseil soit présent et que la procédure lui soit communiquée.

L’avocat, lorsqu’il est présent, n’intervient qu’après le magistrat ou l’OPJ. Il a le droit de poser des questions à son client et/ou à l’autre partie, il peut également formuler des observations consignées dans le procès-verbal.

Le juge d’instruction ou l’OPJ détermine, le cas échéant, l’ordre des interventions des avocats. Il peut mettre fin aux questions à tout moment s’il s’estime suffisamment informé et peut refuser que soit posée telle ou telle question. Dans ce cas, les avocats peuvent déposer des conclusions leur permettant de mentionner les questions auxquelles le juge à opposer un refus.

II. le déroulement de la confrontation.

Qu’il s’agisse d’une confrontation organisée pendant l’enquête de police ou devant le magistrat instructeur, le déroulement pratique de la confrontation est similaire.

Les personnes confrontées ne se parlent pas directement. En effet, les questions sont posées alternativement à l’une et l’autre et elles ne répondent qu’à l’OPJ ou au juge d’instruction.

Dans la pièce, elles sont assises à l’extrémité l’une de l’autre, les avocats étant placés entre elles.

Lorsque la victime le souhaite, il est possible qu’elle demande à entrer en première dans la salle, qu’elle s’asseye devant le mis en cause pour n’avoir jamais à croiser son regard. Un drap peut être installé séparant ainsi les deux personnes confrontées. Enfin, une escorte de police peut également être présente afin d’éviter toute interaction en dehors des interrogatoires.

1. La confrontation pendant l’enquête de police.

Lorsqu’elle à la lieu dans le cadre de l’enquête de police, la confrontation est réalisée par les enquêteurs de police (OPJ ou APJ) à leur initiative ou à la demande du Procureur de la république.

Aux termes de l’article 63-4-3 du Code de procédure pénale, l’enquêteur peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le parquet.

L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions de l’avocat que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête. Par conséquent, en garde à vue, les questions peuvent être plus poussées - et parfois plus intimes - que pendant l’instruction. En effet, le magistrat instructeur peut refuser une question de l’avocat lorsqu’elle de nature à nuire au bon déroulement de l’information ou à la dignité de la personne. Cela peut avoir une importance en cas de confrontation avec la victime par exemple …

Lorsque la confrontation a lieu pendant le temps de la garde à vue, la personne gardée à vue peut bénéficier de l’assistance d’un avocat. Corollairement, la victime peut demander à être également assistée par un avocat choisi par elle ou par son représentant légal si elle est mineure ou, à sa demande, désigné par le bâtonnier. L’article 63-4-3 du Code de procédure pénale étant applicable, l’avocat de la victime peut poser des questions.

2. La confrontation devant le juge d’instruction.

Lors d’une confrontation devant le juge d’instruction, sont présents son greffier, les personnes confrontées et leurs conseils, s’ils en ont choisi un, le procureur de la République, s’il en a manifesté l’intention, et éventuellement un interprète.

Tous les actes d’information devant être retranscrit par écrit, les déclarations sont reprises par écrit par le greffier, aussi fidèlement que possible, à la première personne. L’article 429 du Code de procédure pénale, qui a une vocation générale, dispose que « tout procès-verbal d’interrogatoire ou d’audition doit comporter les questions auxquelles il est répondu ».

A la fin de la confrontation, le procès-verbal est signé par toutes les personnes confrontées, leurs avocats, le greffier et le magistrat instructeur.

La personne mise en examen, qui est libre d’adopter la stratégie de défense qui lui paraît la meilleure, peut refuser de répondre aux questions qui lui sont posées.

Un cas particulier - rare - doit être mentionné. L’article 117 du Code de procédure pénale prévoit que « nonobstant les dispositions prévues à l’article précédent, le juge d’instruction peut procéder à un interrogatoire immédiat et à des confrontations si l’urgence résulte soit de l’état d’un témoin en danger de mort, soit de l’existence d’indices sur le point de disparaître ».

3. Enregistrement audiovisuel.

Selon l’article 116-1 du Code de procédure pénale :

« En matière criminelle, les interrogatoires des personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d’instruction, y compris l’interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel.

L’enregistrement ne peut être consulté, au cours de l’instruction ou devant la juridiction de jugement, qu’en cas de contestation sur la portée des déclarations recueillies, sur décision du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, à la demande du ministère public ou d’une des parties. Les huit derniers alinéas de l’article 114 ne sont pas applicables.

Lorsqu’une partie demande la consultation de l’enregistrement, cette demande est formée et le juge d’instruction statue conformément aux deux premiers alinéas de l’article 82-1 ».

Parallèlement, l’article 64-1, consacre une semblable obligation pour les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d’un service ou d’une unité de police judiciaire ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire.

La violation des dispositions de l’article 116-1 du Code de procédure pénale porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée, même si celle-ci à fait usage de son droit de se taire. Elle peut donc demander la nullité du procès-verbal et de tous les actes subséquents.

L’idée du législateur est de permettre la vérification des propos retranscrits dans les procès-verbaux d’audition ou d’interrogatoire des personnes suspectées d’avoir commis un crime.

Néanmoins, l’obligation de l’enregistrement audiovisuel des confrontations dans le cadre d’une instruction criminelle supporte deux exceptions :
- Lorsque le nombre de personnes mises en examen devant être simultanément interrogées fait obstacle à l’enregistrement de tous les interrogatoires, le juge d’instruction décide alors lesquels ne seront pas enregistrés ;
- Lorsque l’enregistrement ne peut être effectué en raison d’une impossibilité technique, il en est fait mention dans le procès-verbal d’interrogatoire.

En pratique, l’enregistrement doit être déclenché dès l’entrée de la personne soupçonnée dans le cabinet du juge d’instruction ou dans le bureau de police, lors de son « interrogatoire d’identité ».

Depuis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en date du 6 avril 2012, les dispositions de l’article 116-1 du Code de procédure pénale sont applicables aux crimes en matière de criminalité organisée ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (terrorisme).

L’article 116-1 n’impose l’enregistrement audiovisuels que des interrogatoires ayant lieu dans le bureau du juge d’instruction. Ainsi, Il n’est pas nécessaire de filmer confrontations lorsque le juge d’instruction se déplace, pendant les reconstitutions par exemple.

Cependant, la jurisprudence - dans une démarche utilitaire - a considéré que « le cabinet du juge d’instruction s’entend de tout local d’une juridiction dans lequel ce magistrat, de manière permanente ou occasionnelle, accomplit des actes de sa fonction », de sorte que l’enregistrement audiovisuel est obligatoire lorsque la confrontation se déroule dans une salle d’audience de la juridiction à laquelle il appartient.

Avi Bitton, Avocat au Barreau de Paris
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
Site : https://www.avibitton.com

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