Deux mois jour pour jour après un premier renvoi devant le Conseil constitutionnel quant à la légalité de l’intervention du pouvoir réglementaire pour classer, prohiber ou restreindre les substances vénéneuses, le Conseil d’État réitère et transmet cette fois-ci aux Sages dans une décision du 8 décembre 2021, la question de la conformité de l’intervention de ce même pouvoir dans la définition du champ d’application de la loi pénale en matière de stupéfiants.
Si le marché du CBD est en pleine floraison sur le territoire français depuis la décision « Kanavape » de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), son développement se heurte encore à un important débat juridique et politique au regard de la réglementation française, tant actuelle que future, relative aux substances vénéneuses et aux stupéfiants.
Commercialisation du cannabis, où en est-on ?
Considérée comme illégale par la CJUE dans son arrêt « Kanavape » du 19 novembre 2020, la réglementation française actuelle qui limite la culture et l’exploitation du chanvre aux seules fibres et graines était contrainte d’évoluer.
Sans attendre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a appliqué, dans deux décisions rendues le 15 juin 2021 et le 23 juin 2021, les critères dégagés par l’arrêt « Kanavape » et a ainsi écarté l’application de la réglementation nationale relative au cannabis.
Saisi à son tour en juillet 2021, par l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (« AFPC »), le Conseil d’État a, dans une décision du 8 octobre 2021, renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité de cette réglementation des stupéfiants relative au cannabis aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil d’État considérait dans cette affaire et pour la première fois, le caractère sérieux de l’atteinte de cette réglementation à la liberté d’entreprendre au regard de l’étendue et de l’absence d’encadrement du pouvoir réglementaire (Directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (« ANSM ») ou Ministre chargé de la santé) pour classer des substances sur les listes des substances vénéneuses et stupéfiantes et en limiter voire prohiber leur utilisation (production, fabrication, transport), leur détention et leur commercialisation.
Voir sur ces points notre article « Commercialisation de la fleur de CBD : la réglementation soumise au Conseil Constitutionnel. »
Il s’avère qu’en parallèle, le gouvernement a présenté un projet d’arrêté [1] modifiant l’arrêté du 22 août 1990 portant application de l’article R5132-86 du Code de la santé publique pour le cannabis. Ce projet d’arrêté français, a été notifié le 20 juillet 2021 à la Commission européenne, dans le cadre de la procédure de notification des actes techniques prévue par la directive 2015/1535. La Commission européenne avait 3 mois, soit jusqu’au 21 octobre 2021, pour vérifier la compatibilité du nouvel arrêté français avec le droit de l’Union européenne et le principe de la libre circulation des biens et des services. Ce projet n’ayant donné lieu qu’à de simples observations, à l’exclusion de tout avis circonstancié de la part des États membres et de la Commission, il peut désormais être librement adopté par les autorités françaises.
Pourtant, si ce nouveau texte tire - en partie - les conséquences de l’arrêt « Kanavape », il interdit la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes, notamment les produits à fumer, tisanes ou pots-pourris, ainsi que leur détention par les consommateurs et leur consommation. Une telle restriction a été justifiée par le gouvernement français à titre principal par des motifs d’ordre public. Les forces de sécurité intérieure n’auraient en effet pas les capacités de distinguer entre les fleurs de CBD contenant moins de 0,2% de THC et les produits stupéfiants prohibés.
Bien loin de satisfaire l’ensemble des revendications, ce texte apparaît aux yeux de nombreux opérateurs du secteur manifestement disproportionné à l’intérêt poursuivi, notamment au regard des tests d’analyse des cannabinoïdes déjà utilisés en Suisse.
La définition du délit d’usage illicite de stupéfiants et des infractions relatives au trafic de stupéfiant devant le Conseil constitutionnel.
Saisi à nouveau d’un recours en annulation contre la décision par laquelle le Ministre de la santé a implicitement rejeté une demande d’abrogation de l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, le Conseil d’État était cette fois-ci amené à statuer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité de l’article L5132-7 du Code de la santé publique (« CSP ») aux droits et libertés garantis par la Constitution et de la définition du délit d’usage illicite et des infractions de trafic de stupéfiants.
L’association « Groupe de recherche et d’études cliniques sur les cannabinoïdes », qui a notamment pour objet de promouvoir les applications thérapeutiques du cannabis, est intervenue au soutien de cette requête.
Le Conseil d’État a rappelé que :
l’article L5132-7 du CSP confie au directeur général de l’ANSM le pouvoir de classer les plantes, substances ou préparations vénéneuses comme stupéfiants ou comme psychotropes ou de les inscrire sur les listes I et II,
l’article L3421-1 du CSP institue un délit d’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants,
les articles 222-34 à 222-43-1 du Code pénal régissent quant à eux les infractions relatives au trafic de stupéfiants, l’article 222-41 précisant que constituent des stupéfiants au sens de ces dispositions les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l’article L5132-7 du CSP.
Le Conseil d’État a considéré, dans la lignée de sa décision du 8 octobre dernier, que le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présentait un caractère sérieux. En effet, pour le Conseil d’État, en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition du champ d’application du délit d’usage illicite de stupéfiants et des infractions relatives au trafic de stupéfiants, le législateur a méconnu le principe de légalité des délits.
La question est donc transmise au Conseil constitutionnel et elle ne sera probablement pas la dernière…
Discussion en cours :
Merci pour cette analyse, très instructif !