Baclofène : rejet par le Conseil d’Etat des demandes des associations et des patients.

Par Aude Vidal, Avocat.

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Explorer : # baclofène # alcoolo-dépendance # recommandation temporaire d'utilisation (rtu) # autorisation de mise sur le marché (amm)

Par deux décisions en date du 8 juillet 2019, le Conseil d’Etat a rejeté les demandes de patients et des associations Collectif’Baclohelp et Aubes : pas de modification du dosage journalier fixé par la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) et renvoi devant le Tribunal administratif de la question des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) du Baclocur.

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Par deux décisions en date du 8 juillet 2019 [1], le Conseil d’Etat a rejeté les demandes de patients et des associations Collectif’Baclohelp et Aubes. La première demande tendait à l’accès des patients à un traitement par baclofène à une posologie journalière supérieure à celle de 80 mg prévue par la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) de ce médicament, dans le traitement de l’alcoolo-dépendance. Elle remettait également en cause le déroulement la procédure d’examen des demandes d’Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) des spécialités Baclocur (dont le principe actif est le baclofène) présentées par la société Etypharm. La seconde affaire tendait quant à elle, à la remise en cause de la procédure d’instruction, puis des AMM, accordées le 22 octobre 2018, par l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) aux spécialités Baclocur.

Rappelons tout d’abord, que c’est face à une utilisation importante du baclofène en dehors du cadre pour lequel il a avait initialement été autorisé, et suite à des résultats d’études suggérant qu’il aurait un effet sur la dépendance et sur l’appétence à l’alcool, que l’utilisation de ce médicament avait été encadrée chez les patients alcoolo-dépendants, par la mise en œuvre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU), en mars 2014. Elaborée en application des articles L. 5121-12-1 et R. 5121-76-1 du code de la santé publique (CSP), la mise en place d’une RTU a pour objet de sécuriser la prescription et l’utilisation d’un médicament non conforme à son AMM.

Or, suite notamment à la publication des résultats d’une étude épidémiologique montrant que l’utilisation du baclofène était associée à un risque accru d’hospitalisation et de décès, augmentant avec la dose, le directeur de l’ANSM avait modifié, par décision du 24 juillet 2017, la RTU du baclofène, abaissant ainsi sa posologie maximale à 80 mg/jour.

Vivement contestée, cette décision, avait précédemment été portée à la censure du Conseil d’Etat, par une patiente, pour en obtenir l’annulation et voir rétablir la RTU à forte dose. Elle contestait notamment la validité des éléments scientifiques ayant présidés à la modification de cette RTU. Statuant en référé [2], puis par décision du 23 mai 2018 [3], les juges du Palais Royal avaient rejeté cette demande, confirmant le bien fondé et la légalité de la RTU à un dosage journalier ainsi fixé à 80 mg.

N’étant plus contestable, c’est, cette fois-ci, les refus du directeur général de l’Agence du médicament de faire droit aux diverses demandes des associations tendant à permette l’accès des patients à un traitement par baclofène, à une posologie journalière supérieure à celle de 80 mg, qui étaient contestés devant le Conseil d’Etat. Dans ces affaires, étaient notamment demandées, l’annulation d’une lettre aux professionnels de santé du 24 juillet 2017 informant ces derniers de la modification de la RTU en ce qu’elle abaisse la posologie journalière prévue par cette dernière et des mesures d’accompagnement des patients, l’annulation du refus de permettre la délivrance de cette spécialité à une posologie de plus de 80 mg par jour dans les pharmacies à usage intérieure, ou encore l’annulation du refus d’accepter de proposer aux médecins prescrivant à un dosage journalier supérieur à celui recommandé, une « décharge de responsabilité » par les patients.

Estimant en l’espèce que les refus ainsi opposés aux demandes des requérantes par l’ANSM ne constituaient pas des décisions faisant grief et susceptibles d’être déférées devant le juge de l’excès de pouvoirs, ces demandes ont été déclarées irrecevables par le Conseil d’Etat, qui souligne à cet égard l’absence de caractère décisoire de ces mesures, notamment la lettre aux professionnels de santé, qui ne contenait pas d’autres informations que celles contenues dans la décision modificative de la RTU du 24 juillet 2017.

Il déclare également irrecevable l’ensemble des conclusions dirigées à l’encontre de la procédure d’examen des demandes d’AMM des spécialités Baclocur, en ce que, d’une part, celles qui contestaient les décisions de création et de nomination des membres du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) chargé d’émettre un avis au directeur général de l’ANSM sur le rapport bénéfice risque du baclofène, étaient tardives, puisqu’introduites 2 mois après la publication de ces décisions. Et d’autre part celles qui tendaient à l’annulation de la décision refusant de modifier la composition de ce comité, de consulter les associations de patients dans le cadre de ses travaux et de compléter sa base documentaire, étaient dépourvues d’objet puisqu’à la date d’introduction de la requête, ce CSST, par nature temporaire, avait déjà rendu son avis et avait cessé d’exister.

Enfin, le Conseil d’Etat ne manque pas de rappeler que les relevés d’avis et rapports d’expertise d’un comité consultatif, en l’espèce le CSST relatif au baclofène, sont des éléments de la procédure d’examen des demandes d’AMM, et qu’à ce titre, ils constituent des actes préparatoires et ne constituent pas, par eux-mêmes, des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Ces deux décisions sont également l’occasion de souligner, dans la mouvance actuelle de nombreuses affaires marquées par l’immixtion des patients dans l’exercice de la police sanitaire, que s’agissant des conclusions aux fins d’injonctions, tendant en l’espèce à ce que l’ANSM modifie la composition du CSST chargé de rendre un avis sur l’évaluation de l’AMM du baclofène, à ce que ce comité se fonde sur la totalité des données scientifiques disponibles pour réaliser une étude impartiale, ou encore à ce que soit ordonnée une expertise indépendante sur le niveau de preuve et la validité scientifique de l’étude épidémiologique ayant présidée à la modification de la RTU en juillet 2017, etc., le juge administratif ne peut, sauf dispositions expresses, adresser des injonctions à une autorité administrative. Le Conseil d’Etat rappelle en effet qu’il résulte des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative que le juge dispose d’un tel pouvoir lorsque sa décision implique que cette autorité prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé ou prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les demandes aux fins d’annulation étant en ici rejetées.

Enfin les demandes d’annulation des AMM des spécialités Baclocur, octroyées à la société Etypharm, par décisions du directeur général de l’ANSM, du 22 octobre 2018, qui limitent la posologie journalière à 80 mg, sont renvoyées au jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. S’agissant en effet de décisions individuelles, dépourvue de caractère réglementaire, il n’appartenait pas au Conseil d’Etat de connaître de conclusions tendant à l’annulation de telles décisions.

Avocat Associée, ELSI Avocats
www.elsi.legal

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Notes de l'article:

[1Conseil d’Etat, 8 juillet 2019, n°422582 et n°426486

[2Conseil d’Etat, 28 février 2018, n°417636

[3Conseil d’Etat, 23 mai 2018, n°41607

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Discussion en cours :

  • par Rapp , Le 17 juillet 2019 à 11:05

    Cette décision est bien dommageable pour les patients.
    La dose de 80mg par jour n’est généralement pas suffisante pour obtenir le résultat attendu, c’est à dire le moment ou le patient ressent une « indifférence » à l’alcool. Il n’à plus envie ni besoin de ressentir les effets psychiques et physiques procurés par l’alcool.
    Pour atteindre progressivement la dose suffisante, souvent plus de 200mg, il lui faudra supporter des effets secondaires parfois inconfortables, parfois dangereux en cas de conduite automobile et de consommations d’autres médicaments psychotropes et bien sûr d’alcool. Un suivi -hebdomadaire au moins- par un médecin formé et expérimenté ou par un autre thérapeute ou par un groupe de patients permet d’adapter le traitement en diminuant la dose de baclofene si besoin.
    Une fois le but de l’indifférence atteint, le nombre de comprimés journalier est progressivement et prudemment diminué jusqu’a la dose efficace la plus basse possible qui peut être 8cp / jour ou beaucoup moins et même 0 dans certains cas.
    Le Baclofène est un excellent médicament pour contrôler certaines addictions. Il doit être prescrit de façon responsable et expérimentée.
    L’alcool tue, même si c’est plus lentement que le cancer. Serait-il envisageable d’interdire les médicaments anticancéreux sous prétexte d’effets indésirables ?

    Les Autorités doivent revoir leur copie. Et prendre des décisions en faveur de la santé publique. Prescrit à grande échelle et de façon secure, le Baclofene sauvera des vies (sur la route également) et la qualité de vie des patients et de leur proches.

    Dr Annie Rapp, Psychotherapeute, prescrit le baclofene depuis 2009

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