Comment obtenir des preuves aux États-Unis : la procédure de « discovery 1782 ».

Par Jérémie Leroy-Ringuet, Avocat.

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Explorer : # procédure de discovery # preuves judiciaires # droit international # litige transnational

Longtemps méconnue des plaideurs français, la possibilité de demander directement à un juge américain de forcer une partie adverse à soumettre des documents ou à témoigner, en vue ou dans le cadre d’une instance en France, commence tout juste à gagner en notoriété.

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Aux États-Unis [1], la procédure de pre-trial discovery permet aux parties à un futur procès de réunir des preuves, qu’il s’agisse de recueillir le témoignage de représentants de la partie adverse ou de tiers tels que des experts (par une « déposition » orale ou par des questions écrites) ou d’obtenir la remise de documents. Les témoignages oraux sont recueillis en présence d’un notaire ou d’un greffier de tribunal qui transcrit les propos tenus. Le témoin dépose sous serment et peut être poursuivi pour parjure si la suite de la procédure démontre qu’il a menti lors de son témoignage. Le parjure étant un délit pris très au sérieux outre-Atlantique, l’outil de la déposition peut se révéler redoutablement efficace. La transcription des dépositions est en effet utilisée ensuite comme élément de preuve au cours du procès. Les témoignages peuvent également être requis par écrit sous forme de questions et réponses.

Les justiciables français ont de bonnes raisons d’être jaloux de cette procédure alors que le droit national encadre très strictement, notamment par l’article 145 et les articles 205 et suivants du Code de procédure civile [2], la production forcée de pièces avant procès et le « témoignage » des parties. En France, le défendeur ne saurait en aucun cas être contraint à témoigner sous serment, alors que ce même justiciable pourrait l’être aux États-Unis : grâce à l’article 1782 des Règles de procédure fédérale, il est possible, y compris à la demande d’un non-américain, de faire témoigner sous serment son adversaire (américain ou non) ou de lui faire produire des documents, après obtention de l’autorisation d’un juge américain et sous certaines conditions. L’intérêt est bien sûr l’effet de surprise et l’impact psychologique résultant de cette mesure particulièrement intrusive, en plus de la valeur probatoire des éléments obtenus.

La procédure de « discovery 1782 » est un outil rarement utilisé, non seulement parce qu’elle est peu connue mais surtout en raison de son coût et des risques qu’elle implique. Les plaideurs connaissent parfois mieux la commission rogatoire internationale civile ou commerciale, à laquelle la discovery 1782 ne correspond toutefois pas, cette dernière étant une procédure bien plus rapide et plus souple.

Différences avec la commission rogatoire internationale en matière civile ou commerciale.

A l’occasion d’un litige dont une des parties est citoyen ou résident américain ou, dans le cas d’une personne morale, lorsqu’elle est enregistrée aux États-Unis ou bien si elle y a un établissement, l’autre partie peut avoir intérêt à faire procéder à des mesures d’instruction dans ce pays, comme une expertise ou la production forcée de pièces. Ces mesures peuvent également viser des tiers à la procédure qui détiendraient des preuves.

Le droit français prévoit la possibilité pour le juge civil de procéder à une commission rogatoire internationale. Les articles 734, 734-1 et 734-2 du Code de procédure civile permettent en effet au juge, d’office ou sur demande des parties, de faire procéder à des mesures d’instruction à l’étranger en les requérant auprès d’une autorité centrale dans l’État de destination. La procédure de transmission de la commission est réglée par les dispositions de la Convention internationale de La Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970 [3].

Mais le recours à ces commissions rogatoires n’est pas la seule option [4] et n’est pas la seule façon d’obtenir des preuves se trouvant aux États-Unis. La discovery 1782 permet en effet, en dehors de toute instance pendante, de recourir aux moyens très larges de l’instruction civile américaine.

Ces mesures peuvent constituer une arme redoutable dans les mains du justiciable français lorsque ce dernier en a la connaissance et les capacités financières. Toutefois, ce dernier réfléchira à deux fois avant d’y recourir, puisqu’elle est, bien, sûr, contradictoire et donc applicable à celui qui l’initie : le tribunal peut assortir son autorisation d’une obligation pour le demandeur de se soumettre aux mêmes règles de soumission de documents et de témoignage [5].

La procédure est, de plus, relativement coûteuse et le tribunal peut ordonner que la seule partie demanderesse supporte la charge de ces coûts, à la demande ou non de la personne visée. Le demandeur paye en tout cas les frais de déposition et de retranscription, ainsi que la livraison des documents demandés.

Le texte : l’article 1782.

L’article 1782 du titre 28 du Code des États-Unis relatif aux règles de procédure fédérale, qui existe depuis plusieurs décennies, dispose ce qui suit (traduction libre suivie du texte original) :

«  28 U.S. Code §1782. Assistance aux tribunaux étrangers et internationaux et aux plaideurs devant ces tribunaux
(a) Le tribunal de district du district où une personne réside ou bien où elle se trouve peut lui ordonner de témoigner ou de produire une attestation ou un document ou toute autre chose susceptible d’être utilisée dans une procédure devant un tribunal étranger ou international, y compris dans le cadre d’enquêtes criminelles menées avant une mise en accusation formelle. L’ordonnance peut être faite à la suite d’une commission rogatoire délivrée par, ou sur requête faite par, un tribunal étranger ou international, ou à la demande de toute personne ayant intérêt à agir, et peut indiquer que le témoignage ou l’attestation sera fournie, ou le document ou toute autre chose sera remise, en présence d’une personne désignée par le tribunal de district. En vertu de cette désignation, la personne désignée a le pouvoir de recueillir tout serment nécessaire et de recevoir le témoignage ou l’attestation. L’ordonnance peut prescrire la pratique et la procédure, qui peuvent être en tout ou en partie la pratique et la procédure du pays étranger ou du tribunal international, pour le recueil du témoignage ou de l’attestation ou pour la production du document ou de toute autre chose. A moins que l’ordonnance n’en prescrive autrement, le témoignage ou l’attestation doit être recueillie, et le document ou toute autre chose doit être produite, dans le respect des Règles Fédérales de Procédure Civile.
Une personne ne peut pas être contrainte à témoigner ou faire une attestation ou produire un document ou toute autre chose en violation d’un quelconque secret professionnel applicable en vertu de la loi.
(b) Ce chapitre n’interdit à aucune personne, sur le territoire des États-Unis, de témoigner ou fournir une attestation, ou produire un document ou toute autre chose volontairement, aux fins de son usage dans le cadre d’une procédure devant un tribunal étranger ou international, en présence de n’importe quelle personne et d’une manière qu’elle considère acceptable.

28 U.S. Code § 1782. Assistance to foreign and international tribunals and to litigants before such tribunals.
(a) The district court of the district in which a person resides or is found may order him to give his testimony or statement or to produce a document or other thing for use in a proceeding in a foreign or international tribunal, including criminal investigations conducted before formal accusation. The order may be made pursuant to a letter rogatory issued, or request made, by a foreign or international tribunal or upon the application of any interested person and may direct that the testimony or statement be given, or the document or other thing be produced, before a person appointed by the court. By virtue of his appointment, the person appointed has power to administer any necessary oath and take the testimony or statement. The order may prescribe the practice and procedure, which may be in whole or part the practice and procedure of the foreign country or the international tribunal, for taking the testimony or statement or producing the document or other thing. To the extent that the order does not prescribe otherwise, the testimony or statement shall be taken, and the document or other thing produced, in accordance with the Federal Rules of Civil Procedure.
A person may not be compelled to give his testimony or statement or to produce a document or other thing in violation of any legally applicable privilege.
(b) This chapter does not preclude a person within the United States from voluntarily giving his testimony or statement, or producing a document or other thing, for use in a proceeding in a foreign or international tribunal before any person and in any manner acceptable to him
 ».

La différence majeure avec une commission rogatoire internationale et l’avantage considérable de cette procédure consiste, outre sa rapidité, en ce que la demande peut être faite directement devant le tribunal fédéral américain compétent, sans avoir à passer par une demande devant le juge étranger (français, par exemple), et via la procédure prévue par la Convention de La Haye de 1970 et même sans qu’aucun procès ne soit encore initié en dehors des États-Unis. En outre, et à moins que le tribunal ne dise que les règles procédurales du pays d’origine s’appliquent, l’ensemble des outils de la procédure de discovery américaine classique est disponible alors que, via la procédure de la Convention de La Haye, les mesures d’instructions envisagées doivent être listées expressément dans la demande transmise et sont donc celles prévues par le juge du pays d’origine.

Par conséquent, si cet article 1782 est une sorte de pendant des articles 145 et 735 et suivants du Code de procédure civile, il va beaucoup plus loin, notamment en ce qu’aucune condition de réciprocité n’est exigée : il n’est pas requis que des dispositions miroir existent dans le pays d’origine européenne [6].

Notons enfin que ces dispositions sont, bien sûr, de droit fédéral du fait de leur dimension internationale et que ce sont les tribunaux fédéraux qui sont donc compétents, quand bien même la matière considérée (droit pénal, droit du travail, droit de la famille ou autre) relèverait, en temps normal, de la compétence de chacun des États.

La condition tenant à l’existence d’une procédure pendante ou à venir.

Il est possible d’utiliser l’article 1782 lorsqu’un procès est pendant, et ce devant tout type de juridiction, y compris en matière de droit de la concurrence dans le cadre d’une procédure devant la Commission européenne [7], de droit des sociétés [8] ou en matière d’opposition en droit des marques devant un office national [9]. En revanche, la question n’est pas tranchée en matière de procédure d’arbitrage, et n’est en tout cas pas uniforme suivant les États [10].

Mais il n’est même pas nécessaire qu’une instance ait déjà été introduite, par exemple par la signification d’une assignation au défendeur. Il suffit en effet qu’une procédure soit simplement « raisonnablement envisagée » [11]. Ce point est apprécié librement par le juge du tribunal de district qui sera saisi de la demande et il est donc recommandé d’avoir au moins un projet d’acte introductif d’instance à produire.

La notion de « personne ayant un intérêt à agir ».

En pratique, ce sont bien sûr les futurs demandeurs ou les parties à un procès en cours qui formuleront cette requête. Mais la discovery 1782 est offerte à toute « interested person », ce qui inclut des personnes étrangères à l’éventuelle procédure qui fonde la demande (par exemple, la victime qui ne s’est pas constituée partie civile peut recourir à cette mesure [12].

Les personnes potentiellement visées par une telle procédure.

La mesure peut non seulement viser les personnes parties à la procédure pendante ou envisagée dans le pays d’origine, mais également des tiers, liés ou non aux parties [13] car, comme l’explique la Cour suprême [14], le recours à l’article 1782 est d’autant plus utile dans ce cas que dans celui où la personne visée est une partie à la procédure : alors que les parties sont à la disposition du juge du pays d’origine, cela peut ne pas être le cas du tiers. Toutefois, il est à noter que les tiers à la procédure (contrairement aux parties) n’auront pas l’obligation de témoigner si, pour cela, ils doivent parcourir plus de 100 miles (161 kilomètres) depuis leur lieu de résidence ou de travail [15].

La personne visée peut être une société étrangère qui a une activité en ligne visant les États-Unis (ventes en ligne, par exemple). Elle peut aussi être une personne physique simplement de passage aux États-Unis : l’article 1782 n’exige pas qu’elle y réside mais qu’on puisse l’y « trouver ». Un juge d’appel new-yorkais a confirmé [16] que le demandeur d’une procédure civile française pouvait 1° obtenir une autorisation de contraindre toute personne disposant d’informations pertinentes à témoigner, 2° attendre que le défendeur, également français, se trouve sur le territoire américain et 3° lui faire signifier par huissier une assignation à témoigner.

En l’espèce, le demandeur avait fait notifier cette subpoena au directeur général de la société défenderesse à une procédure française lorsque ce dernier se trouvait dans une galerie d’art de Manhattan : « lorsqu’un témoin potentiel vient aux États-Unis, il n’est ni déloyal ni inapproprié, légalement, de le soumettre ici à la discovery ». Le demandeur n’a, en outre, pas besoin d’attendre que la personne visée se trouve sur le territoire américain pour aller former sa requête en urgence : il peut s’y prendre à l’avance et cueillir le défendeur pendant ses vacances ou lors de ses déplacements professionnels, quand bien même ce défendeur n’aurait aucune attache particulière avec les États-Unis.

Mais tous les juges n’accordent pas de telles mesures lorsque la personne visée n’a pas un lieu de résidence dans son district. Certains ont, en effet, une approche beaucoup plus stricte et considèrent, par exemple, qu’il n’est pas justifié d’utiliser l’article 1782 contre une partie qui réside dans le pays où la procédure est en cours ou envisagée. Cette disparité d’appréciation donne lieu à des stratégies de forum shopping pour trouver le juge qui accordera le plus facilement la mesure de discovery.

En outre, si le témoignage peut être imposé à un non-résident, la production de documents ne peut toutefois être ordonnée que si ces documents se trouvent sur le territoire américain : il n’y a pas d’extra-territorialité de l’article 1782 [17]. Ainsi, lorsque la personne visée ou la société qu’elle dirige n’a aucune présence physique sur le sol américain, la discovery 1782 pourrait n’être utile que pour obtenir un témoignage sous serment.

La procédure permet de demander des preuves de tout type. La seule limitation imposée est celle du secret professionnel protégeant les échanges entre avocats et clients (attorney-client privilege).

Procédure et recours.

La demande se fait sur requête, ex parte, donc sans que la personne visée n’en soit informée. Le demandeur requiert du tribunal compétent qu’il l’autorise à procéder à une discovery en rédigeant un projet d’ordonnance que le juge peut modifier pour restreindre ou non l’étendue de ce qui est autorisée. La demande doit prouver que son auteur est une partie à un procès étranger ou international en cours ou envisagé. La demande exposera bien sûr en détails les faits, la procédure et les raisons qui rendent nécessaire l’autorisation demandée.

Il est essentiel d’être exhaustif dans la présentation au tribunal des éléments factuels et procéduraux de l’affaire en question, sous peine de se voir reprocher une manœuvre déloyale ou un manquement déontologique - y compris par le tribunal français, voir infra. Sans cela, la décision qui aura autorisé la procédure risque très fortement d’être annulée [18]. Le demandeur peut obtenir du juge qu’il impose par avance des sanctions si la personne visée ne respecte pas la mesure ordonnée.

La décision peut être rendue en quelques semaines. Elle peut être contestée, une fois signifiée, par deux moyens classiques : la rétractation ou l’appel, dont les régimes suivent ceux du droit commun des règles de procédure civile fédérale.

La rétractation se fait devant le juge qui a rendu la décision autorisant la discovery.

Le juge peut rétracter complètement sa décision ou simplement la modifier. La personne visée peut expliquer que les conditions requises par le texte de l’article 1782 ne sont pas réunies. Elle peut aussi exposer que la pièce demandée ne peut pas être communiquée de façon recevable dans le pays d’origine, que la procédure de mise en état dans le pays d’origine a été clôturée et qu’un rabat est exclu ou encore que la confidentialité éventuellement protégée aux États-Unis ne pourrait pas être garantie dans le pays d’origine.

Elle peut également invoquer les critères dégagés par Intel pour justifier du rejet ou de l’annulation d’une demande de discovery 1782 :

  • Si la personne visée est une partie à la procédure du pays d’origine, la discovery n’est pas aussi nécessaire que si la personne visée est un tiers ;
  • La nature du tribunal du pays d’origine, le type de procédure et/ou la réceptivité du tribunal d’origine à cette aide américaine pourraient rendre superflue ou non pertinente la discovery. Par exemple, une demande de discovery a été rejetée parce que la procédure française était déjà très engagée et qu’aucune demande similaire n’avait été faite à un stade antérieur [19]. Il est donc conseillé de tenter d’obtenir les preuves par les moyens offerts par l’article 145 du Code de procédure civile ou par une demande de droit d’information (en propriété intellectuelle) ou de production forcée ordonnée par le juge de la mise en état, avant de recourir à la discovery 1782 [20] ;
  • Si la demande est utilisée comme un moyen de contourner des dispositions étrangères ou américaines restreignant l’accès aux preuves, elle peut être rétractée ou annulée - mais il n’est pas nécessaire qu’une procédure similaire à la discovery existe dans le pays d’origine ;
  • Enfin, une rétractation ou une annulation peut aussi être obtenue si la procédure autorisée est utilisée pour harceler la personne visée ou bien risque de se transformer en « pêche au filet dérivant » (fishing expedition).

Le tribunal peut également se contenter de modifier son ordonnance sans la retirer [21].

Suite à la décision faisant droit ou non à la demande de rétractation ou de modification, la partie qui y a intérêt peut faire appel devant la cour d’appel fédérale compétente.

Comment les tribunaux français traitent-ils les preuves obtenues via la discovery 1782 ?

Il existe encore très peu de décisions publiées, à notre connaissance, qui font mention de recours à la discovery 1782. Toutefois, outre celles auxquelles font référence les arrêts américains cités plus haut, les rares décisions consultables montrent que les juges français consacrent la recevabilité et tirent toutes les conséquences des preuves ainsi obtenues.

La Cour d’appel de Versailles [22] a considéré que ni les raisons présidant au recours à la discovery 1782, ni la requête elle-même, ni la mise en œuvre de l’ordonnance du Tribunal du District Sud de New York ne constituent un abus de droit et que la partie ayant formulé cette requête peut légitimement demander un renvoi pour examiner les pièces obtenues aux États-Unis sans que cela ne soit considéré comme abusivement dilatoire.

Le Tribunal de commerce de Nancy a jugé [23], que la demanderesse française était mal fondée à lui demander de déclarer inopposables l’autorisation de discovery et les preuves obtenues.

Le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance [24] par laquelle il a rejeté les demandes visant notamment à ordonner aux défenderesses le retrait ou la renonciation d’une demande de discovery formulée devant le Tribunal du District Nord de Californie et, à défaut, de déclarer irrecevable sur le fond les preuves obtenues dans ce cadre. Selon le demandeur à la procédure française, la discovery était inutile à la résolution du litige et n’était instrumentalisée que pour faire pression sur lui, de façon déloyale. Le juge de la mise en état a considéré que la communication des pièces dans la procédure américaine avait donné au juge californien « une vision complète et fidèle de l’état à cette date du litige en France et des questions et contestations émises par Monsieur R. de telle sorte que ce dernier ne peut être suivi lorsqu’il soutient que la procédure engagée devant le juge américain ne l’a pas été de manière loyale ».

Le juge de la mise en état a également rejeté la demande d’irrecevabilité des preuves obtenues aux États-Unis au motif que « ni la convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention de preuve à l’étranger, ni les règles du Code de procédure civile ne s’opposent à ce qu’il soit fait état par une partie au cours de la présente instance engagée en France de témoignages recueillis dans le cadre d’une procédure de discovery engagée parallèlement aux États-Unis, dès lors que ces éléments de preuve ont été recueillies par une autorité compétente en vertu de la loi applicable devant cet État et selon les formes définies par cette loi étant observé qu’il appartiendra au juge français d’en apprécier la valeur probante et l’incidence sur le fond du litige qui lui est soumis ».

Dans le jugement au fond du 23 mars 2018, qui n’a, à notre connaissance, pas donné lieu à un arrêt d’appel, les juges du fond ont utilisé les preuves obtenues aux États-Unis, et en particulier la transcription des témoignages du demandeur à la procédure française, pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les sociétés défenderesses.

Enfin, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris a quant à lui considéré [25] que le requérant se fondant sur l’article 145 du Code de procédure civile n’avait pas été déloyal en n’évoquant pas un recours parallèle à une procédure de discovery 1782 car cette information n’aurait pas été susceptible de modifier l’appréciation du juge des requêtes - mais c’est, en l’espèce, parce que le lieu où les personnes visées par la requête américaine « résident ou se trouvent en France » ce qui, au yeux du juge des référés, aurait rendu inefficace toute mise en œuvre de la discovery.

On remarquera que la plupart de ces affaires concernent directement ou accessoirement la matière de la propriété intellectuelle [26] dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet sans qu’il soit possible de dire si c’est un hasard, si cela résulte de la connaissance de cette procédure par certains avocats français praticiens de cette matière ou si la discovery 1782 est particulièrement adaptée à cette spécialité juridique du fait de la portée souvent transnationale des litiges.

En tout cas, ces décisions, bien que clairsemées, démontrent donc que les tribunaux français veillent à ce que la procédure américaine ait été menée de façon loyale et, si c’est le cas, considèrent qu’il n’y a pas là abus de procédure, admettent les preuves obtenues et en tiennent compte pour fonder leurs décisions.

Jérémie Leroy-Ringuet, avocat au barreau de Paris, cabinet Joffe & Associés
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Notes de l'article:

[1L’auteur remercie ses confrères américains Juan J. Rodriguez, du cabinet Carey Rodriguez, et David Levine, du cabinet Sanchez Fischer Levine, à Miami, pour avoir attiré son attention sur l’objet du présent article.

[2Ainsi que via les saisies-contrefaçon prévues par le Code de la propriété intellectuelle.

[4Sociétés Nationales Industrielles Aérospatiales v. United States District Court for the Southern District of Iowa, 482 U.S. 552 (1987).

[5Consorcio Minero, S.A. v. Renco Grp., Inc., n° 11 MC 354, 2012 WL 1059916 (S.D.N.Y. 29 mars 2012).

[6Intel Corp. v. Advanced Micro Devices, Inc., 542 U.S. 241, 244, 124, S.Ct. 2466, 2471 (2004), la décision de référence de la Cour Suprême américaine relativement à l’article 1782.

[7Intel.

[8In re Edelman, 295 F. 3d 171 (2d Cir. 2002).

[9In re Application of FH Wilson (Engineering) Ltd., No. 10-20839 CIV, 2011 WL 1114311 (S.D. Fla. Jan. 4, 2011).

[10Julia-Didon Cayre, Procédure judiciaire de Discovery en droit américain - article 1782, Titre 28 de l’United States Code - et arbitrage international, Cahiers de l’arbitrage n° 4, 2011, Lextenso, page 973.

[11Intel, paragraphe 2(c).

[12Lazaridis v. International Center for Missing & Exploited Children, Inc., 760 F. Supp. 2d 109 (D.D.C. 2011).

[13In re Application of Hallmark Capital Corporation, 534 F. Supp. 2d 981 (D. Minn. 2008) pour le dirigeant, personne physique, d’une société partie à une procédure pendante en Israël.

[14Intel : « Nonparticipants in foreign proceedings may be outside the foreign tribunal’s jurisdictional reach ; thus, their evidence, available in the United States, may be unobtainable absent §1782(a) aid ».

[15Règle 45 des Règles fédérales de procédure civile.

[16Edelman.

[17Edelman, confirmé par Norex Petroleum Ltd. V. Chubbs Ins. Co. of Canada, 384 F. Supp. 2d 1112 (E.D. Wis., 2004) et par Intel. Contra : In re Gemeinschaftspraxis Dr. Med. Schottdorf v. Joy Global, 2006 WL 3844464 (S.D.N.Y. Dec. 29, 2006).

[18In Re GFL Advantage Fund, Ltd., 2003 Phila. Ct. Common Pl. LEXIS 33 (2003) et Pa. Environmental Defense Foundation v. U.S. Dept. of the Navy, 1995 U.S. Dist. LEXIS 1461 (E.D. Pa. 1995) (Robreno, J.).

[19In re Digitechnic, n° C07-414-JCC, 2007 WL 1367697 (W.D. Wash. 8 mai 2007).

[20Voir ainsi une décision du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris du 14 avril 2022, RG n° 22/80001, qui remarque que la demande de production de pièces faite via une procédure de discovery 1782 avait consisté à réitérer « en substance l’injonction prononcée par le tribunal de commerce et [à conforter] la thèse de l’absence de toute communication antérieure ».

[21In re Apotex, Inc., n° M12-160, 2009 WL 618243 (S.D.N.Y. 9 mars 2009).

[22Arrêt du 20 mai 2010, RG n° 09/01617.

[2313 janvier 2014, décision citée par le jugement rendu au fond le 3 avril 2017, n° 2012011430.

[2429 septembre 2016, RG n° 15/00961.

[2513 septembre 2022, RG n° 22/00651, confirmé par la Cour d’appel de Paris, 14 février 2023, RG n° 22-16659.

[26Voir également un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 février 2023, RG n° 20-18820, qui mentionne à titre de contexte des procédures de discovery 1782.

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