Comment défendre son permis de construire devant le juge administratif.

Par Valentin Carreras, Avocat.

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Explorer : # permis de construire # recours administratif # intérêt à agir # affichage réglementaire

Entreprises, promoteur, particulier, tous peuvent se voir contester le permis de construire qu’ils ont sollicité. De même, les mairies peuvent également voir les permis de construire qu’elles accordent se faire contester.
Aussi, voici une liste non exhaustive des moyens qui peuvent être soulevés en défense des permis de construire.

-

1. Opposer la fin des délais de recours.

Comme toute décision administrative, le délai pour contester un permis de construire est de deux mois.

Pour que le délai de recours de deux mois puisse commencer à courir il faut que le permis de construire ait été affiché pendant une période de deux mois continus sur le terrain d’assiette du projet.

Et il faut également que le panneau d’affichage du permis de construire comporte les mentions prévues à l’article R424-15 du Code de l’urbanisme [1].

Pour rappel, cet affichage doit notamment [2] :

  • Être affiché de manière visible sur le terrain pendant toute la durée du chantier dès la notification de l’arrêté accordant le permis de construire ;
  • Mentionné l’article R600-1 du Code de l’urbanisme.

Le meilleur moyen de démontrer l’affichage régulier du permis de construire reste le constat fait par huissier de justice. En effet, ce dernier pourra constater la régularité de l’affichage tout au long du délai de deux mois.

L’huissier de justice fait normalement trois passages, un au début du délai de deux mois, un autre au milieu du délai de deux mois et un dernier à la fin du délai de deux mois.

La jurisprudence admet d’ailleurs le recours à ce type de preuve pour prouver le bon affichage du permis de construire [3].

Le recours aux services de l’huissier de justice n’est pas obligatoire. Des témoignages de voisins sont également possibles.

Ainsi, si un tiers conteste un permis de construire deux mois après l’affichage continu pendant une période de deux mois de ce permis alors son recours sera rejeté pour irrecevabilité.

Dans l’hypothèse où les requérants auraient présenté un recours gracieux à l’encontre de l’arrêté portant délivrance du permis de construire, alors le délai de deux mois commencera à courir à la date où le maire aura rejeté le recours gracieux [4]. Ce rejet peut être exprès ou tacite.

2. Démontrer l’absence d’intérêt à agir des requérants.

Les dispositions du Code de l’urbanisme prévoient qu’un tiers n’est recevable à contester un permis de construire que s’il démontre que la construction autorisée est

« de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement » [5].

Pour qu’un particulier ait intérêt à agir pour contester un permis de construire, celui-ci doit être voisin, il peut être propriétaire, locataire ou même titulaire d’une promesse de vente.

Cette notion de voisin est appréciée strictement par les juridictions administratives qui considèrent en principe que seuls les voisins immédiats disposent d’un intérêt à agir [6].

Ce voisin doit apporter la preuve des atteintes qu’il invoque [7].

L’intérêt à agir s’apprécie au jour de la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire [8].

Concernant les associations, pour que celles-ci puissent contester un permis de construire, il faut que leurs statuts aient été enregistrés en préfecture au moins un an avant l’affichage de la demande du pétitionnaire [9].

L’intérêt à agir de l’association s’apprécie au regard de son objet social [10], le juge contrôle également le champ d’intervention géographique de l’association [11].

3. Vérifier l’accomplissement des diligences de l’article R600-1 du Code de l’urbanisme.

Sur ce point il conviendra de s’assurer que le tiers qui entend contester la délivrance d’un permis de construire ait bien accompli les formalités prévues par l’article R600-1 du Code de l’urbanisme, cela à peine d’irrecevabilité.

Pour rappel si le demandeur fait un recours gracieux à l’encontre d’un permis de construire, celui-ci doit alors notifier son recours gracieux dans un délai de 15 jours au pétitionnaire [12] en plus de la mairie.

De même si celui-ci décide de saisir le juge administratif, il devra alors notifier son recours contentieux dans un délai de 15 jours au pétitionnaire et au maire qui a délivré l’autorisation.

La charge de la preuve pose sur le requérant [13].

A défaut de respecter cette formalité, le pétitionnaire pourra alors demander l’irrecevabilité de la demande tendant à l’annulation du permis de construire.

4. Identifier les moyens inopérants qui ne peuvent pas être opposés à l’encontre de la délivrance d’un permis de construire.

De nombreux moyens sont susceptibles d’être soulevés de bon droit ou non à l’encontre d’un permis de construire.

Toutefois, certains moyens qui quand bien même pourraient être fondés ne peuvent prospérer devant la juridiction administrative.

A titre d’exemple, les parties peuvent être tentées de soulever des moyens tirés du non-respect des dispositions du Code civil (trouble anormal du voisinage, non-respect du droit de la copropriété, non-respect d’un acte de droit civil …).

Or, ces moyens sont inopérants à l’égard de la contestation d’un permis de construire.

Comme le rappel le Code de l’urbanisme, les autorisations d’urbanisme et a fortiori le permis de construire est délivré sous réserve du droit des tiers.

En effet, aux termes des dispositions de l’article A424-8 du Code de l’urbanisme :

« le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé » [14].

Ces dispositions ajoutent ensuite que :

« toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme » [15].

Les juridictions administratives ont pu juger qu’une autorisation d’urbanisme ne peut être refusée car celle-ci entrerait en contrariété avec les charges d’un legs [16].

Ou encore le requérant qui soulève des dispositions relatives aux règles environnementale [17].

Il en va de même concernant des atteintes portées à la vue depuis d’une maison d’habitation par les constructions autorisées [18].

Enfin, que les travaux sont subordonnés à l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires [19].

5. Identifier les vices qui ont le moins de chance d’entraîner l’irrégularité du permis de construire.

Certains moyens sont moins susceptibles que d’autres d’entraîner l’annulation d’un permis de construire.

C’est par exemple le cas du moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’acte. En effet, dans certains cas, ce n’est pas le maire en personne qui signe l’arrêté délivrant le permis de construire.

Ce moyen peut être aisément rejeté par la production de la délégation de signature à la juridiction en charge de statuer sur le permis de construire [20].

A titre d’exemple, l’insuffisance des pièces du dossier de permis de construire peut également être soulevée pour tenter d’obtenir l’annulation d’un permis de construire.

Sur ce point le Conseil d’Etat a jugé que

« les insuffisances ou omissions entachant un dossier de demande de permis de construire ne sont, en principe, susceptibles de vicier la décision prise, compte tenu des autres pièces figurant dans ce dossier, que si elles ont été de nature à affecter l’appréciation à laquelle se sont livrées les autorités chargées de l’examen de cette demande » [21].

La Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que

« le caractère insuffisant du contenu de l’un des documents ne constitue pas nécessairement une irrégularité de nature à entacher la légalité de l’autorisation si l’autorité compétente est en mesure, grâce aux autres pièces produites, d’apprécier l’ensemble des critères énumérés par ces mêmes dispositions » [22].

Autrement dit en cas d’insuffisance d’une pièce, cette insuffisance s’appréciera au regard de l’ensemble des pièces du dossier.

6. Présenter un permis modificatif en cas de vice avéré.

Lorsque des vices semblent être avérés le pétitionnaire peut demander auprès des services de la mairie un permis modificatif afin de palier un risque d’annulation.

Ces risques peuvent notamment porter sur la méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme et des dispositions de l’article R111-2 du Code de l’urbanisme.

Le permis de construire modificatif doit être demandé en respectant les dispositions des articles R423-1, R423-2 et A. 431-7 du Code de l’urbanisme.

Cette demande de permis construire modificatif peut être faite durant l’instruction du permis de construire mais aussi lorsque le permis construire initial est déjà en cours de validité.

Il peut être déposé jusqu’à la clôture d’instruction devant le juge administratif.

7. Obtenir un sursis à statuer de la part de la juridiction.

Dans le cadre de l’instance, le pétitionnaire peut demander à la juridiction un sursis à statuer afin de régulariser son permis de construire avant le prononcé du jugement lorsqu’un vice n’affecte qu’une partie du projet [23]. Encore faut il que ce vice puisse être régularisé.

De même, le pétitionnaire peut solliciter auprès du juge administratif un sursis à statuer lorsqu’un vice entraînant l’illégalité du permis de construire peut être régularisé [24].

Dans les deux hypothèses, le juge administratif fixe un délai dans lequel la régularisation doit intervenir [25].

8. Demander une indemnisation en cas de recours abusif.

Si le pétitionnaire estime être victime d’un recours abusif à l’encontre de son permis de construire, celui-ci dispose de différents outils juridiques pour demander la condamnation du tiers ayant fait un abus de son droit au recours.

Dans l’hypothèse où le recours à l’encontre d’un permis de construire traduit de la part du tiers un comportement abusif de sa part, le pétitionnaire peut demander au juge administratif, dans le cadre d’un mémoire distinct, de condamner ce tiers à lui allouer des dommages et intérêts [26]. Encore faut-il que ce comportement soit préjudiciable au pétitionnaire [27].

Outre ce recours, le pétitionnaire qui s’estime victime d’un recours abusif peut solliciter une indemnisation devant les juridictions civiles sur le fondement de la responsabilité civile [28].

Si ces recours existent, ils restent cependant difficiles à mettre à œuvre compte tenu des différentes conditions qui doivent être remplies pour pouvoir en demander l’application et les juridictions tant civiles que administratives, qui prononcent très peu de condamnation à ce titre.

Valentin Carreras
Avocat au barreau de Lyon
valentin.carreras chez carreras-avocat.fr

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Notes de l'article:

[1Article R600-2 Code de l’urbanisme.

[2Article R424-15 Code de l’urbanisme.

[3Tribunal administratif de Rennes, 1ère chambre, 23 septembre 2022, n° 2103431.

[4Article L411-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

[5Article L600-1-2 Code de l’urbanisme.

[6CE 10 juin 2015, Brodelle, n°386121.

[7CE 13 avr. 2016, M. Bartolomei, n°389798.

[8Article L600-1-3 Code de l’urbanisme.

[9Article L600-1-1 Code de l’urbanisme.

[10CE 23 févr. 2004, Communauté de communes du Pays loudunais, n°250482.

[11CE 26 juill. 1985, Union régionale pour la défense de l’environnement, de la nature, de la vie et de la qualité de la vie en Franche-Comté (URDEN), n°35024.

[12Article R600-1 Code de l’urbanisme.

[13CE 26 févr. 1999, Mme Suaut et a., n°180662.

[14Article A. 424-8 Code de l’urbanisme.

[15Article A424-8 Code de l’urbanisme.

[16Tribunal administratif de Melun, 28 mars 2013, n° 1102570.

[17Tribunal administratif de Montpellier, 22 septembre 2022, n° 2202919.

[18Tribunal administratif de Besançon, 14 mars 2023, n° 2200561.

[19Conseil d’Etat 3 avril 2020, Ville de Paris, n°422802.

[20Tribunal administratif de Montreuil, 16 mai 2023, n° 2302395.

[21Conseil d’Etat 26 janvier 2015, M. et Mme Ceglarec, n°362019.

[22Cour administrative d’appel de Nantes, 25 mars 2011, Germain, n°09NT02820.

[23Article L600-5 Code de l’urbanisme.

[24Article L600-5-1 Code de l’urbanisme

[25Articles L600-5 et L600-5-1 Code de l’urbanisme.

[26Article L600-7 Code de l’urbanisme.

[27Article L600-7 Code de l’urbanisme.

[28Article 1240 du Code civil.

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