Les class actions en droit financier

Aurélia Lauby, Frédéric Nunes, Sandra Kahn,
Promotion 2011
Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise
http://www.m2dpf.fr

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Issue de la common law, la notion de « class action » peut être définie comme une action s’attaquant à des « dommages de masse », « c’est-à-dire des dommages qui atteignent simultanément un grand nombre de personnes – non identifiées à l’origine – et qui procèdent tous d’un fait ou d’une activité imputable au même auteur » [1].

L’on associe bien souvent le concept de « class action » aux associations de défense des consommateurs et le débat sur les actions de groupe est longtemps resté cantonné au domaine du droit de la consommation. Il en est pour preuve un rapport remis en mai 2010 au Sénat par le groupe de travail présidé par Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG [2], qui a récemment relancé le débat sur la question.

Article proposé par le Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise.

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Pourtant, la question de la protection collective d’intérêts personnels se pose avec presque autant d’acuité dans d’autres branches du droit, et particulièrement en droit financier. L’affaire Bénéfic en est une parfaite illustration : elle a donné lieu a une centaine de contentieux, dans lesquels les clients de La Poste souhaitaient tous engager la responsabilité de cet établissement pour les mêmes raisons, à savoir la violation de ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde à l’occasion de la commercialisation d’un produit financier. Si, dans ce type d’affaire, l’objectif des demandeurs est uniquement indemnitaire, il arrive souvent que le montant de l’indemnité à laquelle ils peuvent prétendre soit inférieur au coût de la procédure et que l’action individuelle ne constitue pas un moyen adapté d’obtenir gain de cause.

Or, l’action individuelle est aujourd’hui l’action de principe en droit français, qui subordonne la possibilité d’agir en justice à l’existence d’un intérêt et d’une qualité à agir[3]. Cependant, ces deux conditions ne sont pas toujours cumulatives et il arrive que la loi donne à des personnes la qualité d’exercer une action en justice alors même qu’elles ne disposent pas d’un intérêt à agir. Ainsi, le droit français admet qu’une personne puisse agir pour défendre un intérêt personnel autre que le sien. C’est par exemple le cas en droit des sociétés, où l’action ut singuli permet à un actionnaire de demander la réparation du préjudice subi par la société du fait des agissements des dirigeants[4]. La loi autorise, par ailleurs, l’exercice d’une action en justice ayant pour but la défense d’un intérêt général par une personne autre que le Ministère Public. C’est notamment le cas en droit de la concurrence, où les organisations professionnelles peuvent introduire une action civile ou commerciale « pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession ou du secteur qu’elles représentent, ou à la loyauté de concurrence »[5].

On le voit, le législateur français n’est pas réticent à admettre des exceptions ponctuelles à la règle générale subordonnant la recevabilité d’une action en justice à la démonstration d’un intérêt à agir. Il existe même aujourd’hui, en droit financier, deux mécanismes qui se rapprochent de la notion de « class action ». La loi autorise en effet des associations d’actionnaires ou d’investisseurs à assurer collectivement la défense des intérêts individuels de leurs membres. L’article L225-120 C. com. prévoit ainsi que les actionnaires de « sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé […] justifiant d’une inscription nominative depuis au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5 % des droits de vote » puissent « se regrouper en associations destinées à représenter leurs intérêts au sein de la société. » En matière financière, l’article L452-2 CMF dispose que « les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des investisseurs en titres financiers ou en produits financiers peuvent agir en justice devant toutes les juridictions même par voie de constitution de partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des investisseurs ou de certaines catégories d’entre eux. » L’idée sous-jacente est que des « personnes ayant subi des préjudices individuels causés par le fait d’une même personne, ou un même groupement de personnes, et qui ont une origine commune »[6], puissent se « regrouper pour exercer ensemble une action en justice ». L’on est ici au cœur même du concept de « class action ».

Force est toutefois de constater que les possibilités offertes par ces textes sont très peu utilisées en pratique. Si les associations créées sur le fondement de ces dispositions sont actives, c’est généralement sur le plan de la défense des intérêts des actionnaires lors des assemblées générales et de la fourniture de conseils et d’informations sur des points techniques, comme l’exercice de leur droit de vote ou la distribution de dividendes. Peu d’associations ont pour objet de défendre directement en justice les intérêts de leurs membres. L’on peut toutefois citer, à titre d’exemple, l’APPAC[7], qui s’était portée partie civile en 2002 dans l’affaire Vivendi, ou encore l’ADAM[8], qui avait exercé un recours au nom des actionnaires minoritaires de la société Eiffage en 2007. La situation est similaire en ce qui concerne les associations de défense des investisseurs.

Ce phénomène s’explique, selon certains auteurs, par le caractère dissuasif des conditions de constitution imposées aux associations : « Devant justifier de six mois d’existence, ces associations ne pourraient être constituées ad hoc, comme doivent le faire le plus souvent les associations agissant sur la base de la jurisprudence « associationnelle » et leur constitution ne peut être que préalable au dommage »[9]. D’autres le justifient par les particularités de la culture juridique française : « Dans un pays où la mise en bourse de quelques kilowatts d’électricité est vécu comme une déchirure morale, je ne suis pas sûr que nous soyons culturellement prêts à accepter une privatisation du service public de la justice. Ce qui conduit naturellement à dire un mot de l’avenir de l’action de groupe. »[10]

Quoi qu’il en soit, on ne peut que faire le constat de l’absence d’efficacité des mécanismes actuels. En dépit des actions spécifiques susmentionnées il n’existe pas, à l’heure actuelle, en France, de mécanisme efficace de représentation collective en justice. D’où l’intérêt de s’interroger sur l’opportunité de l’introduction du concept de class action dans notre droit (II), ce qui ne peut être fait sans une étude préalable des systèmes étrangers l’ayant déjà adoptée (I).

I. Les actions de groupe dans les droits étrangers

L’action de groupe est un système qui permet à des individus se plaignant individuellement d’avoir subi un préjudice de demander réparation dudit préjudice au nom d’un groupe se composant d’individus, déterminés ou indéterminés, ayant subi le même préjudice de la part du même défendeur. S’il n’est matériellement pas possible d’étudier tous les systèmes juridiques ayant introduit une action de groupe dans leur arsenal législatif, il est toutefois pertinent d’en analyser certains, à savoir le système américain de la class action, berceau de ce type d’action, avant de nous rapprocher géographiquement de la France en présentant quelques exemples européens.

A) Les USA, berceau de l’action de groupe

Les USA ont été les premiers à se doter d’une action de groupe, plus connue sous le nom de class action. Créée en 1938 pour la première fois, cette action a toutefois fait l’objet d’une importante réforme en 1966. Après avoir étudié le mécanisme américain de la class action, nous verrons que cette action présente de réels intérêts en matière financière. Une affaire récente a été très médiatisée, tant en France qu’aux Etats Unis, à savoir l’affaire Vivendi, que nous expliciterons.

1) Présentation du mécanisme : la class action

Il est possible de définir la class action comme étant « une action introduite par un représentant pour le compte de toute une classe de personnes ayant des droits identiques ou similaires qui aboutit au prononcé d’un jugement qui aura force de chose jugée pour toutes les personnes de la classe »[11].

Les class actions, régies par l’article 23 du Code fédéral de procédure civile, permettent donc à un individu, qui a subi un préjudice, de se prévaloir d’un jugement rendu dans le cadre d’une affaire dans laquelle il n’était pas partie, dès lors que le préjudice subi est commun.

Toutefois, cette action dérogeant aux règles classiques de procédure civile, les juges fédéraux s’attacheront à vérifier que les conditions de recevabilité de l’action sont remplies. Ainsi, le groupe devra se composer d’un nombre important de personnes, tellement important que la procédure de jonction des actions serait impossible à mettre en œuvre. Toutefois, en pratique, les tribunaux, s’ils ont jugé recevable des class actions pour des groupes comprenant 16 millions de personnes, n’ont toutefois pas accepté celles de 60 millions de personnes. Ainsi, si le nombre d’individus composant le groupe ne peut pas être trop faible sous peine de tomber sous le coup de la procédure civile classique, un trop grand nombre de plaignants rend la procédure délicate à mettre en œuvre.

Ensuite, les juges vérifieront que les actions des différents individus portent sur la même question de fait ou de droit. Généralement, il va s’agir d’une action intentée contre des grandes entreprises ayant vendu des produits défectueux - par exemple des ventes qui ont touché un très grand nombre de personnes - mais il peut également s’agir d’atteintes aux libertés publiques, d’une inexécution contractuelle, ou de l’illégalité d’un acte administratif.

Puis, les juges vont vérifier le caractère typique des réclamations pour lesquelles ils ont à statuer.

Enfin, vérification sera faite que les représentants protègent équitablement et convenablement les intérêts du groupe. Notamment, le représentant ne devra pas avoir des intérêts contraires à ceux du groupe. Il devra également être en mesure de supporter financièrement le coût de la class action.

Après avoir vérifié les conditions de recevabilité de la class action, les membres de la class devront être informés de son existence. L’alinéa c 2 de l’article 23 du Code fédéral de procédure civile prévoit que « le tribunal adresse aux membres du groupe la notification la mieux adaptée aux circonstances, notamment une notification individuelle à tous les membres du groupe qu’un effort raisonnable permet d’identifier ». La forme de cette notification est libre. Toutefois, l’adresse des membres pouvant être connue, la notification faite par le tribunal pourra être effectuée par lettre simple, le plus souvent doublée d’une publicité dans la presse. Par le biais de cette publicité, les membres absents de la class pourront faire connaître leur volonté d’être exclus de la class. Le délai pendant lequel l’exclusion est admise est fixé par le juge au cas par cas, même si la tendance révèle que les délais d’un à deux mois sont les plus fréquemment admis. A défaut d’avoir exprimé leur décision de s’exclure du groupe, les membres absents seront liés par la décision qui sera rendue.

Dans la majorité des cas, les class actions aboutissent à la conclusion d’une transaction par laquelle le défendeur s’oblige au versement de dommages et intérêts ou à une injonction, en contrepartie de quoi le groupe renonce à la poursuite de toute action en justice.

Il est à noter que lorsque des membres absents ne se sont pas manifestés et qu’une transaction a été conclue, ceux-ci seront liés par la transaction rendue en ce sens qu’ils ne pourront exercer une action judiciaire à l’encontre du défendeur pour les faits litigieux. Toutefois, pour des raisons de gestion administrative de la class, une fois la transaction conclue, les membres absents ne pourront bénéficier des droits obtenus.

2) Une application en matière financière : l’affaire Vivendi

La class action, outre son efficacité en droit de la consommation, est très prisée aux Etats-Unis en matière financière. L’affaire Vivendi en en est un très bon exemple.

Dans cette affaire, une class action a été engagée, le 18 juillet 2002, aux Etats-Unis devant le tribunal de New York. En effet, des actionnaires français de la société Vivendi, société française cotée à la bourse de New York, ayant acheté ou cédé des actions Vivendi entre 2000 et 2002, se plaignaient d’une violation du droit boursier américain et d’une dissimulation de la situation financière de la société, leur causant un préjudice financier.

Vivendi a donc introduit une instance devant les juridictions françaises aux fins de voir reconnaître le caractère abusif de la class action par les actionnaires français.

Par un arrêt du 28 avril 2010, la Cour d’appel de Paris[12] a rejeté les prétentions de Vivendi, reconnaissant le droit, pour des actionnaires français, de se prévaloir de la class action intentée aux Etats-Unis.

Toutefois, par une décision du 24 juin 2010[13], la Cour Suprême des Etats-Unis a entendu limiter le droit, pour les actionnaires étrangers, de participer à la class action. En effet, par cette décision, seuls seront recevables à agir les individus ayant acheté leurs actions aux Etats-Unis. Appliquée à l’affaire Vivendi, cette solution viendrait restreindre de 80% le montant des indemnisations qui pourraient être versées par la société. C’est ce qui a été confirmé par le juge Holwell, juge de la Cour du district sud de New York le 17 février 2011, verdict rendu public le 22 février 2011.

B) Les actions de groupe dans les droits européens

1) Le Portugal

Le Portugal est doté d’une action de groupe depuis une loi du 31 août 1995. A l’image de ce qui existe aux Etats-Unis, cette action permet d’entreprendre une action pour le compte d’un groupe sans qu’il y ait de mandat de représentation ou d’autorisation expresse. En d’autres termes, cela permet à un individu de se prévaloir d’un jugement dans le cadre d’une action dans lequel il n’était pas partie.

2) La Suède

La Suède, précédemment dotée d’un système d’action de groupe limité, s’est dotée d’un système équivalent à celui pratiqué aux Etats-Unis en 2003.

3) Le Royaume Uni

Au Royaume-Uni, coexistent deux modèles d’actions de groupe.

Une première action, nommée multi-party proceedings : representative and group actions. Par cette action, une personne qui justifie d’un intérêt personnel peut agir en justice afin de représenter d’autres personnes qui ont subi les mêmes préjudices de la part du même défendeur.

La seconde forme d’action est la group action, l’action de groupe. Pour bénéficier de cette action, les parties doivent s’enregistrer comme partie. Il s’agit d’une procédure opt in.

II. L’opportunité de l’introduction de l’action de groupe en droit français

En France, l’introduction d’une telle action fait débat, en tant qu’elle pourrait, d’une part, mettre en péril les intérêts et la compétitivité des entreprises, et, d’autre part, qu’elle serait contraire aux traditions juridiques des Etats membres de l’Union Européenne et notamment au principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ». Il n’en reste pas moins que l’idée d’une action de groupe s’impose comme étant la solution pour permettre à des consommateurs et des entreprises ayant subi un même préjudice causé par un même opérateur économique de « franchir le pas » en intentant une action ensemble.

Depuis 2005, de nombreuses tentatives d’introduction des recours collectifs en France ont avorté. Mais le Sénat, où une proposition de loi a été déposée, pourrait bien concrétiser un projet important pour la défense des consommateurs.

L’introduction de la class action ou action de groupe en droit français se heurte à de fortes résistances. Pourtant, des recours collectifs existent déjà en droit français (A) sans cependant qu’un système ressemblant, de près ou de loin aux systèmes dits de class action existe, de sorte que les obstacles traditionnellement observés méritent attention, de manière à ce que, sans ignorer les risques de l’introduction d’une telle action (C), quelques propositions soient formulées (B).

A) La distinction avec les autres actions existantes en droit français

Les débats en France autour de l’introduction ou non d’une « class action » ont été pollués par quelques malentendus fondamentaux, et par la regrettable tendance de certains intervenants à baptiser n’importe quelle action impliquant un nombre important de demandeurs « class action », y compris lorsqu’il s’agissait d’une action civile jointe à une action pénale – forme d’action d’ailleurs inconnue du droit américain.

Certains auteurs français ont tenté des parallèles entre la « class action » et divers mécanismes procéduraux propres au droit français, mais leurs analyses portent à faux dans la mesure où la « class action » américaine crée une forme de mandat forcé, au sens juridique fort du terme. Ni le contentieux de l’excès de pouvoir en matière administrative, ni les actions intentées au nom de consommateurs, ni même le droit des faillites, où les exigences de l’ordre public particulières amènent à restreindre les droits des créanciers, ne vont aussi loin. En effet, dès lors qu’un groupe a été certifié et qu’un demandeur est objectivement membre du groupe, il est lié par les décisions du demandeur représentatif, sauf s’il fait usage de la faculté limitée dans le temps qui lui est donnée de se retirer – à supposer qu’il ait effectivement été informé.

La seule forme d’action française ayant une certaine parenté avec la « class action » américaine est l’action représentative ouverte par la loi aux syndicats et à d’autres organisations dans des cas très particuliers.

On sait que les associations de consommateurs disposent déjà d’actions qu’elles exercent dans l’intérêt collectif des consommateurs et également d’actions exercées au soutien d’un ou plusieurs consommateurs qui ne font pas double emploi avec celles-ci. Parmi ces dernières, l’action en représentation conjointe instaurée par une loi du 18 janvier 1992[14], à l’initiative de Véronique Neiertz, retient plus particulièrement l’attention. Ainsi, lorsque plusieurs consommateurs ont subi des préjudices individuels causés par le fait d’un même professionnel et ayant une cause commune, ils peuvent donner mandat à une association agréée et représentative sur le plan national d’agir en leur nom en réparation de leur préjudice. Timide adaptation des modèles américains des class actions existant aux Etats-Unis et des « recours collectifs » du droit québécois, ce dispositif, dont on a pu dire qu’il était mort-né, n’a pas du tout séduit le monde associatif et répondu aux objectifs fixés en 1992 : les associations ont fini par reculer devant l’ampleur des responsabilités encourues et le poids financier lié à la gestion de trop nombreux dossiers.

Le droit français connaît donc déjà des actions qui répondent en partie aux besoins d’une meilleure défense des intérêts des consommateurs : actions en représentation conjointe, par exemple dans les articles L. 422-1 et L. 422-3 du Code de la consommation qui permettent aux associations de consommateurs reconnues représentatives au niveau national d’agir en réparation du préjudice subi individuellement par des consommateurs personnes physiques, à condition que ce préjudice soit le fait du même professionnel. Les articles L. 452-2 à 4 du Code monétaire et financier permettent de défendre les investisseurs dans les sociétés cotées. L’art. L. 252-5 du Code rural prévoit une action au profit des associations agréées de protection de l’environnement. Il existe également des actions en défense regroupée[15], des actions en défense d’un intérêt collectif sur habilitation législative voire jurisprudentielle, avec l’illustration particulière des actions visées aux articles L. 421-6 et L. 421-7 du Code de la consommation en matière d’agissements illicites ou de clauses abusives. A supposer que soient trouvées les conditions satisfaisantes d’introduction d’une action de groupe en droit français, il conviendra d’en délimiter le périmètre et de justifier pourquoi on entend la limiter au droit boursier de la consommation.

Une association ayant pour objet la protection des consommateurs peut, si elle est agréée, faire valoir en justice les intérêts de ces derniers. Ces associations peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs ».

Dans cette hypothèse, c’est l’intérêt collectif, et non comme dans la class action la somme d’intérêts particuliers qui ne sont pas tous déterminés, qui est l’objet de l’action. Celle-ci ne peut cependant être exercée que pour autant qu’une infraction pénale soit caractérisée, ce qui en pratique limite considérablement son intérêt. Dans le cadre de cette action dans l’intérêt collectif des consommateurs, l’association agréée peut demander des dommages et intérêts, la cessation des agissements illicites et enfin la diffusion du jugement aux frais du professionnel condamné.

La plupart du temps toutefois, les associations de consommateurs n’agissent que par la voie d’une demande incidente. Après que le ministère public ait engagé l’action pénale, les associations de consommateurs se joignent à celle-ci pour demander réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs. Elles se voient alors bien souvent allouer un euro symbolique de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs.

Aux termes de l’article L. 421-6 du Code de la consommation, une association agréée de consommateurs peut également, sans qu’une infraction pénale soit nécessairement qualifiée, engager une action en cessation de pratiques illicites. Sont visés, par cette transposition d’une directive communautaire[16], la publicité trompeuse, les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, le crédit à la consommation, la radiotélévision, les voyages à forfait, la publicité sur les médicaments, les clauses abusives, les immeubles « à temps partagé », les contrats à distance, la garantie des biens de consommation, le commerce électronique et enfin la commercialisation à distance de services financiers.

Cette action n’est cependant que la réunion des intérêts de quelques consommateurs. Elle n’est pas à l’inverse de la class action une action « ouverte ». La class action, en effet, désigne un recours de masse entrepris pour le compte de personnes identifiées ayant subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’un même auteur et dont l’origine est commune. Cependant, à la différence de l’action en représentation conjointe qui suppose que la personne concernée exprime sa volonté de se joindre à l’action (opt in), la class action présume au contraire de son appartenance à la classe sauf volonté exprimée en sens contraire (opt out). Dans le système de la représentation conjointe en effet, seuls ceux qui sont parties à l’action voient leurs intérêts protégés par la justice, c’est-à-dire ceux qui ont donné mandat à l’association de les représenter. L’association peut, par voie de presse uniquement, procéder à un appel public pour obtenir le plus grand nombre de mandats. Toutes les autres conservent leur droit d’agir seules en justice.

Moins connue est la possibilité pour les associations d’intervenir dans un procès civil[17] intenté par un consommateur désireux d’obtenir réparation de son préjudice. Ici l’association n’est pas à l’initiative de l’action, mais elle peut, tout en appuyant le consommateur dans son action, demander réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs, pour la réparation d’un dommage collectif, c’est-à-dire parfaitement distinct de la somme, ou d’une partie, des dommages des consommateurs eux-mêmes : seul le dommage subi par « les consommateurs » pris de façon générale et abstraite est pris en compte, souvent un euro très symbolique[18].

B) La proposition de loi en la matière

Il est donc temps d’introduire en France une action de groupe. Ainsi il faudrait permettre à une association, agréée ou non, à un cabinet d’avocats, ou un autre acteur défenseur des consommateurs, d’intenter une action en justice afin de représenter non seulement la ou les victime(s) qui l’ont mandaté, mais aussi, sans mandat, d’agir en justice au nom et pour le compte d’autres victimes ayant subi le même préjudice de masse mais non identifiées au moment de l’action. Depuis les années 1980, la littérature est abondante en la matière[19].

Cette action de groupe n’ayant pas abouti a été remise à l’ordre du jour par le rapport Attali en 2008 et par le rapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires. Elle pourrait, en effet, être un moyen de dépénaliser la vie des affaires en faisant primer la réparation pécuniaire des victimes de préjudices financiers, notamment sur le fondement de la perte de chance.

Il faut également noter toute l’importance du rapport Delmas-Marsalet[20] du 25 janvier 2011. En effet, ses auteurs y affirment la nécessité d’apporter des réponses appropriées et équilibrées en faveur d’une meilleure prise en compte de l’indemnisation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs. Ils constatent également l’insuffisance des voies pour obtenir réparation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs, victimes de manquements boursiers et financiers. Ainsi, ce rapport recommande de privilégier le règlement amiable des litiges, de prendre en compte l’objectif d’indemnisation des victimes dans les procédures internes à l’AMF. Enfin et surtout, ce rapport lance une piste de réflexion sur les conditions d’application d’une forme d’action collective dans le domaine financier et boursier dans le cas où il serait décidé de l’introduire en droit français. L’action en représentation conjointe ne rencontrant qu’un très faible succès en matière financière, une telle action de groupe devient indispensable.

Selon ce rapport, il serait opportun d’introduire une action de groupe pour les abus de marchés, notamment les manquements boursiers et les manquements des professionnels à leurs obligations.

Enfin, ce rapport apporte également des réponses quant à l’initiateur d’une telle action[21], quant à la juridiction devant laquelle elle devrait être portée[22], quant au schéma procédural à suivre, quant au moment et aux modalités de constitution du groupe et quant aux modalités d’évaluation du préjudice et d’indemnisation des victimes. D’ailleurs, de nombreuses similitudes existent entre ce rapport et la proposition de loi du 22 décembre 2010.

La proposition de loi[23] du 22 décembre 2010 déposée au Sénat[24] prévoit de modifier le code de la consommation afin, d’une part, de prévoir les conditions dans lesquelles certaines associations de défense des consommateurs pourront recevoir un agrément spécifique leur permettant de conduire une action de groupe (article L. 411-2), et, d’autre part, de définir la nouvelle procédure de l’action de groupe.

L’article L. 412-1 porte définition de l’action de groupe et de son champ d’application, qui serait circonscrit aux seuls dommages matériels trouvant leur origine dans un manquement contractuel ou pré-contractuel d’un professionnel à l’égard d’un consommateur ou d’un manquement aux règles de la concurrence. L’action devrait être introduite par une ou plusieurs associations spécialement agréées à ce titre, l’une d’entre elles pouvant se voir reconnaître la qualité de chef de file.

La procédure serait organisée en deux phases.

Au cours de la première phase, l’association requérante présenterait un certain nombre de cas-types à partir desquels le juge serait en mesure de statuer sur la responsabilité du professionnel pour tous les cas similaires (article L. 412-2). Dans la décision établissant le principe de cette responsabilité, le juge définirait le groupe des consommateurs concernés et les mesures de publicité, à la charge du professionnel, permettant de porter à la connaissance des intéressés la possibilité de se joindre à l’action de groupe à des fins d’indemnisation (articles L. 412-3 et L. 412-4). La jonction à l’action s’effectuerait exclusivement sur une base volontaire (principe dit de « l’opt-in »).

La seconde phase de l’action devrait permettre au juge de statuer sur la liste des personnes recevables à percevoir du professionnel une indemnisation ainsi que sur le montant de cette indemnisation ou le mode de calcul à retenir. La réparation du préjudice pourrait être effectuée, si le préjudice s’y prête, en nature. Au-dessous d’un certain montant individuel d’indemnisation défini par décret, la décision du juge serait rendue en dernier ressort (article L. 412-5).

Par ailleurs, Il ne serait pas faux de dire qu’une fois de plus l’inspiration législative française vient de l’Union Européenne. En effet, à la différence de certains auteurs[25], nous pensons que la Commission a un rôle important en la matière. Le 11 février 2011 se tenait à l’Assemblée nationale la conférence annuelle de la revue Concurrences ayant pour thème « New frontiers of Antitrust ». A cette occasion, le commissaire Alumnia a remis en cause l’approche sectorielle relative au seul droit de la concurrence au bénéfice d’une démarche horizontale, relative à la pluralité de droits. Ainsi, l’UE a la volonté d’étendre le champ d’application de l’action collective à toutes les victimes non seulement d’entente et d’abus de position dominante, mais aussi aux victimes d’infractions au droit de l’environnement, de la consommation et potentiellement à tout autre droit susceptible de causer un dommage à une victime[26]. Un livre blanc va être publié à ce sujet et un projet de directive va suivre.

C) Les obstacles et les risques de l’introduction de l’action de groupe

Les obstacles et les risques sont potentiellement nombreux si l’on se réfère à la class action à l’américaine :

Dans la nécessaire fixation d’un cap, une récente réponse ministérielle montre la direction aujourd’hui privilégiée par le Gouvernement français. Celui-ci souhaite que le mouvement consumériste soit « mieux structuré », afin que les actions de groupe ne se retournent pas contre les consommateurs. Il veut également renforcer les procédures de médiation. Il s’agit de transposer au droit national la directive européenne du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

Les actions de groupe trouveraient alors leur place, mais elles devraient, selon le ministre, se recentrer sur les « litiges prioritaires et résiduels[27] ».

L’articulation avec les projets de l’Union constitue une autre façon de recentrer l’action législative. Le débat est aujourd’hui européen : discussions au Parlement européen, Livre-vert de 2009. La Commission européenne privilégie les recours collectifs pour les consommateurs, notamment l’action de groupe pour les litiges intracommunautaires. Il y a volonté, pour conforter le marché intérieur, de donner confiance aux consommateurs européens grâce à l’effectivité des droits qui leur sont reconnus par l’Union.

Toutes les expériences nationales ne sont sans doute pas égales à cet égard. Mais on observe que la plupart des lois décrites dans l’étude comparative du Sénat peuvent atteindre l’objectif de protection du consommateur, même si plusieurs ont un objectif plus large (toutes actions civiles, voire toutes actions civiles plus la protection de l’environnement pour la Suède).

Dans la proposition de loi déposée au Sénat le 22 décembre 2010, on sait qui aura l’initiative de l’action de groupe (les associations agréées), qui statuera sur la recevabilité de l’action (le TGI spécialisé du ressort concerné), et qui sera représenté par l’action de groupe (les consommateurs lésés souhaitant se joindre au groupe après examen d’un préjudice réel). On attend le vote de cette proposition de loi au Sénat d’ici la fin du mois de mars.

CONCLUSION

Les associations de consommateurs militent en faveur des class actions en soulignant notamment leur utilité en matière bancaire et de téléphonie mobile où de trop nombreux abus sont dénoncés. Il faut toutefois se garder d’un enthousiasme excessif : des mesures d’accompagnement sont nécessaires pour renforcer lesdites associations et éviter qu’une future loi sur l’action de groupe ne provoque, à la suite d’amendements successifs vidant le projet de son contenu, les mêmes réticences que l’action en représentation conjointe. En revanche, le modèle français doit tirer tous les enseignements des dérives américaines (pression permanente sur les entreprises, rémunération exagérée des avocats, publicité tapageuse autour des affaires...) afin d’élaborer un dispositif adapté à nos mœurs, équilibré et harmonieux ; en particulier, l’action de groupe ne doit pas devenir un nouveau marché du procès et susciter elle-même des comportements querelleurs ou prédateurs au détriment des entreprises, sans contrepartie significative pour les consommateurs.

Mais la moins bonne réaction serait sans doute celle de l’immobilisme : lorsque les outils de régulation ne sont pas opérationnels, il convient de les repenser. Il ne faut pas céder à la paresse intellectuelle en refusant d’emblée des expériences nouvelles dont on sait que l’encadrement sera inévitablement délicat à définir et à mettre en œuvre[28].

Les délits financiers qui sont très souvent des préjudices de masse sont particulièrement propices à l’instauration d’une action de groupe. En effet, les sommes en jeu sont parfois considérables pour des petits porteurs qui n’ont pas été correctement informés et/ou conseillés par leur prestataire de services d’investissements. Bien qu’il faille éviter les actions intempestives ou dilatoires, il faut favoriser des actions de masse, qui plus est lorsque le préjudice est caractérisé, ce qui permettra également d’obvier la segmentation des actions individuelles pour des préjudices similaires.

Il est clair que l’introduction de recours collectifs est une des priorités du mandat de la nouvelle Commission : une consultation publique a été ouverte en novembre 2010 dans la perspective d’une proposition législative en 2011. Affaire à suivre au niveau européen, mais aussi au niveau national.

Aurélia Lauby, Frédéric Nunes, Sandra Kahn,
Promotion 2011
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