« Lorsqu’un système conçu pour protéger devient une arme d’exclusion, il est de notre devoir de remettre en question son usage et de rétablir l’équilibre entre sécurité et justice. »
Le fichage bancaire, qu’il s’adresse aux particuliers ou aux entreprises, est un mécanisme destiné à sécuriser le système financier en répertoriant les incidents de paiement et les situations d’endettement.
Parmi les outils les plus connus figurent le Fichier Central des Chèques (FCC), le Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) et le Fichier Bancaire des Entreprises (FIBEN).
Si ces fichiers ont pour vocation de prévenir les risques, ils peuvent, lorsqu’ils sont mal utilisés ou abusivement alimentés, entraîner des conséquences désastreuses pour les personnes concernées.
Cet article se propose d’explorer les dérives liées aux fichages bancaires abusifs, en mettant en lumière le cadre juridique qui les encadre, les cas spécifiques d’inscription au FICP, notamment le surendettement et les voies de recours disponibles pour les usagers.
I. La régulation des fichiers bancaires : FCC, FICP et FIBEN.
Le système bancaire national s’appuie sur plusieurs fichiers pour évaluer la solvabilité des clients et des entreprises, chacun ayant sa spécificité et son impact sur la vie financière des individus.
A. Le fichier central des chèques (FCC).
Institué par l’article L131-73 du Code monétaire et financier [1], le FCC recense les incidents liés aux chèques sans provision et aux abus de cartes bancaires. Une personne inscrite au FCC se voit interdire l’émission de chèques et peut se voir retirer sa carte bancaire. Cette inscription, qui peut résulter d’un simple oubli ou d’une erreur, a des répercussions immédiates sur la vie quotidienne, rendant difficiles les transactions les plus courantes.
B. Le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).
Le FICP, prévu à l’article L751-1 du Code de la consommation [2], enregistre les incidents de remboursement des crédits accordés aux particuliers. Contrairement à une idée répandue, l’inscription au FICP n’interdit pas - légalement - aux établissements de crédit d’accorder des prêts aux personnes fichées. Cependant, dans la pratique, la plupart des banques et organismes de crédit refusent systématiquement d’octroyer de nouveaux prêts à ces personnes, invoquant un principe de précaution et de gestion du risque.
Les cas d’inscription au FICP ne se limitent pas aux incidents de paiement. Le surendettement [3] constitue également un motif d’inscription. Lorsqu’une personne dépose un dossier de surendettement auprès de la Banque de France, elle est automatiquement inscrite au FICP pour la durée de la procédure, qui peut s’étendre sur plusieurs années. Cette mesure vise à protéger le consommateur en l’empêchant de contracter de nouvelles dettes, mais elle peut aussi le placer dans une situation de marginalisation financière.
C. Le fichier bancaire des entreprises (FIBEN).
Le FIBEN [4], géré par la Banque de France, est un fichier qui évalue la santé financière des entreprises. Chaque entreprise reçoit une cotation basée sur sa solvabilité, son historique de paiement et son niveau de risque. Cette cotation est consultée par les banques lors de l’étude des demandes de crédit professionnel. Une cotation défavorable peut entraîner le refus de financement, voire la rupture de relations bancaires existantes, mettant en péril la pérennité de l’entreprise.
Le FIBEN est un outil puissant, mais il peut aussi être source d’abus. Les erreurs de cotation, les informations obsolètes ou inexactes peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les entrepreneurs, qui se voient priver de ressources indispensables au fonctionnement de leur activité.
II. Les abus du fichage bancaire : conséquences humaines et sociales.
A. L’impact sur les particuliers.
Les pratiques abusives de fichage bancaire peuvent bouleverser la vie des individus. Être fiché au FICP ou au FCC sans raison valable, ou en raison d’une erreur, c’est se retrouver soudainement exclu du système bancaire traditionnel. Les conséquences sont multiples :
- Refus de crédit : bien qu’une inscription au FICP n’interdit pas - légalement - l’octroi de crédits, les établissements financiers opposent fréquemment des refus catégoriques aux personnes fichées, les privant ainsi de la possibilité de financer des projets essentiels, comme l’achat d’un logement ou le financement des études de leurs enfants.
- Atteinte à la dignité : le fichage entraîne une stigmatisation sociale. Les personnes concernées se sentent souvent coupables, honteuses, alors même qu’elles peuvent être victimes d’erreurs administratives ou de circonstances indépendantes de leur volonté.
- Exclusion financière : sans accès aux services bancaires classiques, certains se tournent vers des solutions de financement alternatives, parfois illégales ou usuraires, aggravant leur situation financière et sociale.
B. L’impact sur les entreprises.
Pour les entreprises, les conséquences d’un fichage abusif au FIBEN sont tout aussi graves :
- Difficultés de financement : une cotation négative bloque l’accès aux crédits professionnels, indispensables pour investir, innover ou simplement maintenir l’activité.
- Perte de confiance des partenaires : les fournisseurs, clients et autres partenaires peuvent remettre en question leurs relations commerciales avec une entreprise mal cotée, craignant des difficultés financières à venir.
- Risque de faillite : privée de financement et isolée, l’entreprise peut rapidement se trouver en situation de cessation de paiement, conduisant au dépôt de bilan et à la perte d’emplois.
C. Les autres cas d’inscription au FICP : le surendettement.
Le surendettement est un phénomène qui touche de nombreux ménages français. Lorsqu’une personne ne parvient plus à faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles, elle peut saisir la commission de surendettement de la Banque de France. L’inscription au FICP est alors automatique et dure le temps de la procédure, qui peut comprendre des mesures telles que le rééchelonnement des dettes, la suspension des paiements, voire l’effacement partiel des dettes.
Si cette inscription vise à protéger le consommateur et à éviter l’aggravation de sa situation, elle peut également être vécue comme une sanction. Les personnes surendettées se retrouvent exclues du crédit, y compris pour des besoins essentiels, et doivent affronter le regard parfois accusateur de la société.
III. Le cadre juridique : protections et failles.
A. Les obligations des établissements bancaires.
Les conditions d’inscription dans les fichiers bancaires sont strictement encadrées par la législation. Les banques ont l’obligation d’informer préalablement les clients de leur intention de les inscrire au FCC [5] ou au FICP [6] conformément à l’article 5 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers [7]. Elles doivent également veiller à l’exactitude des informations transmises, en vertu de l’article 4 de la loi du 6 janvier 1978 dite "Informatique et Libertés" [8].
Malgré ces obligations, des manquements sont régulièrement constatés. L’absence d’information préalable, le maintien de l’inscription après régularisation de la situation, ou encore l’inscription sur la base d’informations erronées constituent autant de violations des droits des usagers.
B. Les voies de recours.
Les personnes victimes de fichages abusifs disposent de plusieurs moyens pour faire valoir leurs droits :
- Demande de rectification ou de suppression : en application des articles 16 à 19 du règlement général sur la protection des données (RGPD) [9], toute personne peut exiger la correction ou la suppression des données inexactes la concernant.
- Plainte à la CNIL : la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) peut être saisie en cas de manquement aux obligations légales, et dispose de pouvoirs de sanction à l’égard des établissements fautifs.
- Saisine du médiateur bancaire : ce dernier s’efforce de trouver, dans un délai rapide, une solution pour régler le différend [10].
- Action en justice : en s’appuyant notamment sur l’article 1240 du Code civil [11], les victimes ont la possibilité d’intenter une action en responsabilité civile afin d’obtenir réparation du préjudice subi, les victimes peuvent engager une action en responsabilité civile pour obtenir réparation du préjudice subi. La jurisprudence a ainsi condamné des banques pour des fichages abusifs, comme dans une affaire où la Cour de cassation a jugé qu’un établissement de crédit engage sa responsabilité en commettant une faute lorsqu’il procède à un signalement d’incident ayant conduit à une inscription au FICP, alors même qu’il n’a plus de créance envers son client. Dans ce cas, l’établissement peut être tenu de verser des dommages-intérêts si cette inscription a entraîné un refus de prêt au préjudice du client [12].
IV. Une réflexion humaniste sur le fichage bancaire.
Au-delà des aspects juridiques et financiers, le fichage bancaire abusif soulève des questions éthiques et humaines profondes. Il met en lumière la fragilité de nos existences face aux mécanismes impersonnels des institutions financières. Derrière chaque inscription abusive se cache une histoire personnelle, des projets brisés, des familles en difficulté.
La doctrine s’est saisie de ces problématiques, appelant à une meilleure humanisation du droit bancaire. Elle préconise un équilibre entre la protection indispensable du système financier et le respect des droits fondamentaux des individus.
Conclusion.
Le fichage bancaire, outil essentiel de la gestion du risque financier, doit être manié avec précaution et responsabilité. Les dérives liées aux fichages abusifs portent atteinte aux droits des usagers et peuvent avoir des conséquences humaines désastreuses. Il est impératif que les établissements bancaires respectent scrupuleusement leurs obligations légales, et que les voies de recours soient effectives pour protéger les personnes injustement fichées.
En définitive, il s’agit de réaffirmer la primauté de l’humain dans les relations financières. Les banques, en tant qu’acteurs sociaux, ont un rôle à jouer dans la préservation de la dignité et des droits de chacun. Le droit offre des outils pour sanctionner les abus, mais c’est aussi par une prise de conscience collective que les pratiques évolueront vers plus de justice et d’humanité.