« Clarification » sur la responsabilité du garagiste-réparateur.

Par Philippe Selosse, Avocat.

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Explorer : # responsabilité du garagiste # obligation de résultat # charge de la preuve # expertise judiciaire

Par deux arrêts rendus le 11 mai 2022 [1], la Cour de cassation opère une « clarification » importante sur la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du garagiste-réparateur.
La Cour précise que la double présomption de responsabilité qui pèse sur le garagiste est établie « dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention ».

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Incontestablement, cette décision a le mérite de clarifier le régime de responsabilité du garagiste, tenu à une obligation de résultat (I). Néanmoins, le renversement de la charge de la preuve qu’elle entraine, augure d’une modification certaine dans la mise en œuvre de la responsabilité qu’il convient d’analyser (II).

I) La responsabilité du garagiste-réparateur présumée en cas de « survenance » ou de « persistance » des désordres.

Sollicité pour réparer un véhicule et le restituer en état de fonctionnement, le garagiste est tenu par une obligation de résultat, génératrice d’une double présomption de faute et de causalité en cas de manquement.

Cependant, alors que l’exonération d’une obligation de résultat classique suppose la démonstration d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure, il est admis de longue date que le garagiste qui prouve son absence de faute n’engage pas sa responsabilité [2].

De ce régime probatoire assoupli, certains ont déduit la consécration d’une obligation de résultat « atténuée » [3] également applicable au dépositaire, au séquestre conventionnel ou au locataire responsable des pertes survenues pendant la jouissance des locaux [4].

Certes, la complexité des litiges en matière automobile pouvait justifier pareil régime. En effet, dès lors que le garagiste n’a plus la garde et le contrôle technique du véhicule après restitution, il paraissait juste de laisser à ce dernier la possibilité de prouver son absence de faute par tous moyens, sans nécessairement démontrer l’apparition d’un cas de force majeure.

Néanmoins, au fil de ses décisions, la Cour de cassation a adopté une position pour le moins paradoxale.

Tout en admettant une responsabilité « de plein droit » du garagiste limitée « aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat » [5], la Cour de cassation a imposé au client (victime de la panne), de prouver « que les dysfonctionnements allégués sont dus à une défectuosité déjà existante au jour de l’intervention du garagiste ou sont reliés à celle-ci » [6].

Ainsi, il n’incombait plus au garagiste de prouver que l’absence de résultat n’était pas causée par sa défaillance, alors que pesait sur lui une responsabilité de plein droit impliquant une double présomption de faute et de causalité avec le désordre !

L’obligation de résultat du garagiste réparateur était donc vidée de toute substance, car reposant sur un régime probatoire totalement incohérent.

C’est pourquoi, après avoir mis en exergue la contradiction inhérente à sa propre jurisprudence, la Haute Cour a rendu deux décisions au style pédagogique appréciable [7], proclamant sa volonté de « clarification ».

La double présomption de responsabilité applicable au garagiste s’applique désormais en « cas de survenance » ou de « persistance » des désordres affectant le véhicule.

Cette position de principe rétablit de la cohérence dans la mise en œuvre du régime de responsabilité du garagiste-réparateur qui apparaît dès lors facilitée.

Toutefois, il convient désormais d’en apprécier les conséquences qu’elle entraine s’agissant particulièrement de l’administration de la preuve en cas de litige entre le garagiste et son client.

II) Le rétablissement de la charge de la preuve sur le garagiste-réparateur.

La réparation confiée à un garagiste ne dépend en principe d’aucun aléa et n’implique aucun rôle actif du client. Il est donc parfaitement légitime de considérer que le professionnel maitrisant les choses et les personnes sous sa garde, soit tenu de prouver à la fois son absence de faute ainsi que l’absence de lien entre le dommage et son intervention.

Concrètement, il conviendra désormais au garagiste de prouver l’absence de lien de causalité entre le désordre subi par le véhicule et l’organe sur lequel il est intervenu.

Plutôt qu’un renversement, la Cour opère un rétablissement de la charge de la preuve qui pesait depuis 20 ans sur le client [8].

Cette position adoptée jusqu’ici semblait être motivée par des raisons politiques, dans le but de ne pas alourdir à l’excès les obligations du garagiste [9].

Cependant, depuis que la Cour [10], a décidé que le juge ne pouvait « se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties », la matière est nettement dominée par l’expertise judiciaire, rendant vaine, sinon secondaire tout autre élément de preuve fournie par les parties au litige.

Certes, un faisceau d’indices peut établir que les dommages subis par la victime étaient étrangers ou sans lien direct avec l’intervention du garagiste. Le nombre de kilomètres parcourus ou le temps écoulé après la réparation sont d’ailleurs retenus comme critères d’appréciation par le magistrat. Cependant, ces éléments factuels sont in fine intégrés à une analyse expertale globale [11].

Remarquons à cet égard que pour l’une des deux décisions commentées [12], la Haute Cour censure les juges du fond qui ont rejeté la demande d’indemnisation du client dont le recours n’était justifié par « aucun élément technique objectif ou élément d’expertise contradictoire ».

Autrement dit, peu importe que le client n’apporte aucune preuve technique démontrant la responsabilité du garagiste. Puisque ce dernier ne prouve pas son absence de faute, l’apparition du désordre suffit pour engager sa responsabilité.

Dans la seconde espèce, les juges du fond sont censurés pour avoir débouté un client qui avait déboursé des frais de réparation chez son garagiste n’ayant pas réussi à réparer plusieurs pannes survenant après son acquisition [13]. Plusieurs expertises ont révélé que l’origine du défaut était imputable au vendeur. Peu importe, nous explique en substance la Cour de cassation.

Dès lors qu’une défectuosité apparaît ou réapparaît après l’intervention du garagiste, ce dernier est présumé responsable. Cette solution oblige le professionnel à indemniser son client de tous les frais supportés En l’occurrence, il s’agissait du coût des prestations jugées « inutiles » par la juridiction.

Implicitement, ces décisions nous indiquent que la présomption de responsabilité du vendeur de véhicule cesse là où commence l’obligation de résultat du garagiste.

Le client d’un véhicule affecté d’un vice caché dispose donc d’un double recours :
- à l’égard du vendeur, pour demander soit une diminution du prix, soit l’annulation de la vente en cas de défauts graves affectant l’usage normal du véhicule ;
- à l’égard du garagiste-réparateur, pour demander réparation des frais engagés en cas d’apparition ou de persistance du défaut survenu après l’intervention du garagiste.

Bien souvent, la frontière entre ces deux responsabilités n’est pas aisée à délimiter, surtout lorsque le vice caché occasionne un accident de la circulation impliquant dommages matériels et/ou corporels.

A n’en pas douter, l’expertise judiciaire sera plus que jamais la pierre angulaire de la défense du professionnel, contraint de démontrer objectivement l’absence de causalité entre sa prestation et les dommages subis.

Philippe Selosse
Avocat au Barreau de Lille

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Notes de l'article:

[1Cass.civ.1ère, 11 mai 2022, n°20-18867 ; Cass.civ.1ère, 11 mai 2022 n°20-19732.

[2Cass. civ 1ère, 2 fév.1994, n°91-18764 ; Cass. civ.1ère, 21 oct.1997, n°95-16717.

[3Jourdain P. « L’obligation de résultat atténuée du garagiste et la présomption de causalité », RTD civ. 1994, p.613.

[4V. Testu F.-X. « Contrats d’affaires », Dalloz référence, point 112.04.

[5Cass. com., 22 janv. 2002, n° 00-13510 ; Cass.civ.1ère 28 mars 2008, n°06-18350.

[6Cass.civ.1ère 31 oct. 2012, n°11-24324.

[7V. Maupin (E.), « La Cour de cassation change de style », Dalloz actu. 8 avr. 2019 ; J.-B. Jacquin « La Cour de cassation va rendre ses décisions plus intelligibles », Le Monde 6 avr. 2019.

[8Cass. com., 22 janv. 2002, n° 00-13510.

[9Dans ce sens : Mekki M. note sous : Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n°11-13598 et Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n° 11-24324, Gaz. Pal. 29 nov. 2012, n°334, p. 13.

[10Cass. mixte, 28 septembre 2012, n°11-18.710.

[11Ex : Cass.civ.1ère 28 mars 2008, n°06-18350 ; Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n° 11-24324 ; Cass. civ.1ère, 17 fév. 2016, n°15-14012.

[12Cass.civ. 1ère 11 mai 2022, n°20-18867.

[13Cass.civ.1ère 11 mai 2022, n°20-19732.

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Discussion en cours :

  • par JuSK , Le 16 août 2022 à 12:48

    Etant, ce jour, dans le cas précis cité dans votre article, à savoir une panne moteur sur un véhicule sorti du garage il y a une quinzaine de jour pour... un remplacement de moteur et d’embrayage (à 100 000 km), je vous remercie pour votre travail de synthèse et vulgarisation de la législation à ce sujet.

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