La cession générale et préalable du droit d'adaptation par l'auteur implique t-elle une renonciation à son droit moral sur l'œuvre ? Par Déborah Journo, Avocat

La cession générale et préalable du droit d’adaptation par l’auteur implique t-elle une renonciation à son droit moral sur l’œuvre ?

Par Déborah Journo, Avocat

3903 lectures 1re Parution: Modifié: 4.98  /5

Explorer : # droit moral # droit d'adaptation # propriété intellectuelle # cession de droits

-

Après une longue série de renvois entre la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, et une procédure judiciaire ayant duré au final près de 12 ans, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a eu le dernier mot en tranchant définitivement le litige par un arrêt du 2 avril 2009.

Ce litige intervient alors même que les auteurs de la célèbre chanson « On va s’aimer » avaient cédé de manière préalable et générale aux sociétés Televis edizioni musicali et Allione edirote, les droits d’adaptation de ladite chanson.

Cette cession des droits d’adaptation s’entendait, aux termes du contrat, des droits d’exploiter directement et d’autoriser des tiers à utiliser tout ou partie de cette œuvre, paroles et musique ensemble ou séparément, en thème dominant ou secondaire de fond sonore de films ou de toute représentation théâtrale, radiodiffusée, télévisée, publicitaire, ou autre encore, même non mentionnée avec possibilité d’ajouts à la partition et de modification même parodiques du texte.

Ce contrat de cession, conclu le 1er octobre 1983, avait le mérite de prévoir une exploitation des plus larges qu’il soit !

C’est dans ce contexte que, forte d’une cession de droits comprenant les modifications mêmes parodiques du texte de la chanson, la chaîne de restaurant Flunch a acquis les droits d’exploiter la chanson « On va s’aimer » des sociétés Universal Music Publishing et Centenary France, alors détenteurs des droits, et a diffusé un film publicitaire illustré musicalement par la mélodie de ladite chanson, sous le titre parodique « On va fluncher ».

Toutefois, les auteurs de ladite chanson y ont vu une atteinte à leur droit au respect de leur œuvre tel que prévu à l’article L121-1 du code de la propriété intellectuelle, et ont assigné les sociétés Universal Music Publishing et Centenary France, ainsi que le commanditaire du film litigieux, la société Agence business, le réalisateur de celui-ci, la société Madison studio, et le propriétaire de la chaîne de restaurants Flunch.

Par jugement en date du 3 septembre 1997, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré que le contrat de cession conclu entre les parties ne portait pas atteinte au droit moral des auteurs, et qu’en tout état de cause, la sécurité juridique des transactions exigeait que les auteurs ne puissent pas remettre en cause leur engagement alors qu’aucun abus dans l’exercice du droit n’était à déplorer.

Les auteurs ont fait appel de ce jugement et par arrêt du 28 juin 2000, la Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions.

Suivant pourvoi des auteurs, la Cour de cassation a, par arrêt du 28 janvier 2003, cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris et a rappelé le principe selon lequel « l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre » est d’ordre public, et qu’il s’oppose à ce que l’auteur abandonne de manière préalable et générale l’appréciation exclusive de l’utilisation de son œuvre.

Toutefois, malgré le caractère solennel du rappel du principe par la Cour de cassation, la Cour d’appel de Paris a sur renvoi maintenu sa position et par arrêt du 15 décembre 2004 a confirmé à nouveau le jugement du 3 septembre 1997.

Par un arrêt du 5 décembre 2006, la Cour de cassation a réitéré son rappel de principe et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles en affirmant que « toute modification, quelqu’en soit l’importance, apportée à une œuvre de l’esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci ».

Ainsi, par arrêt du 11 octobre 2007, la Cour d’appel de Versailles a considéré que l’absence d’autorisation préalable et spéciale des auteurs à l’adaptation de la chanson « On va s’aimer », constituait une violation du droit moral de l’auteur.

Universal Music Publishing et les autres défendeurs se sont alors pourvus en cassation et ont invoqué (i) le caractère discrétionnaire et non absolu du droit moral pour justifier qu’il appartient à l’auteur de rapporter la preuve de sa méconnaissance ; (ii) le fait que le cessionnaire a le droit d’exercer le droit d’adaptation conformément aux prévisions de l’acte de cession et qu’en l’espèce les auteurs avaient cédé à leur éditeur contre rémunération le droit d’adapter la chanson « On va s’aimer » sous la forme d’une œuvre publicitaire et de modifier au besoin les paroles ; et (iii) au surplus, les auteurs ont l’obligation d’exécuter le contrat de cession de bonne foi tel que le prévoit l’article 1134 du code civil.

Fidèle à la position qu’elle avait manifestée dans son arrêt du 28 janvier 2003, la Cour de cassation confirme la position tenue par la Cour d’appel de Versailles. Le principe est ainsi réaffirmé avec force : l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre de l’auteur est un principe d’ordre public. Ce principe s’oppose à ce que l’auteur puisse renoncer de manière préalable et générale à son droit d’apprécier l’utilisation, la diffusion, l’adaptation, le retrait, l’adjonction et le changement de son œuvre.

Appliqué au cas d’espèce, ce principe exclut toute opposabilité de la clause de cession emportant abandon du droit au respect de l’œuvre de l’auteur. Or, ici l’adaptation contestée était une parodie des paroles de la chanson « On va s’aimer », transformée en « On va fluncher » sur la musique originale de ladite chanson. Aussi, si cette transformation n’était en rien insultante, grossière, offensante, ou vulgaire, il reste qu’il s’agit d’une modification n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation préalable et spéciale de l’auteur ; elle porte donc atteinte au droit moral des auteurs de la chanson.

Déborah Journo

Avocat à la Cour

http://deborahjourno-avocat.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

43 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs