Le cas de force majeure : un événement extérieur, imprévisible, irrésistible et... incontournable.

Par Dimitri Seddiki.

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Par un arrêt du 7 septembre 2014, la Cour de cassation affirme – a priori – son refus total de voir le débiteur d’une obligation de payer une somme d’argent se prévaloir de l’existence d’un cas de force majeure pour s’exonérer de sa dette. Cette décision permet en réalité de préciser les conditions de cette cause d’exonération.

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Cassation, Commerciale 16 septembre 2014, n°13-20.306

En l’espèce un gérant s’était porté caution de la dette de remboursement d’un prêt accordé à sa société par une banque. Malheureusement sa grave maladie ultérieure devait lui causer deux préjudices : la faillite de l’entreprise ainsi que l’impossibilité – du fait de la perte de revenus – de faire face à l’engagement de caution.

Condamné par une Cour d’appel à payer la dette, le gérant-caution formait un pourvoi en cassation en soutenant que « la force majeure permet au débiteur de s’exonérer de l’exécution des obligations nées du contrat tant qu’elle fait obstacle à cette exécution ».
Il était ainsi reproché aux juges du fond d’avoir considéré que les dispositions du Code civil relatives à la force majeure n’exonèrent pas le débiteur de l’obligation empêché d’exécuter celle-ci, mais seulement d’une condamnation à payer des dommages-intérêts à raison de cette inexécution contractuelle.

La question posée aux juges du droit était alors de savoir quelles devaient être les conséquences concrètes de l’existence d’un cas de force majeure sur la situation du débiteur de l’obligation de payer une somme d’argent.

Pour rejeter le pourvoi du gérant-caution, et plutôt que de favoriser l’une des thèses en concurrence (I), la Cour de cassation va préférer s’intéresser à l’opportunité d’invoquer la force majeure en présence d’une obligation de payer une somme d’argent. (II)

I – Une bataille autour de la portée du cas de force majeure...

A – L’élément faisant consensus : l’existence d’un cas de force majeure.

Tandis que l’article 1147 du Code civil fixe le principe général de responsabilité civile contractuelle en raison d’un retard dans l’exécution ou d’une inexécution totale, l’article 1148 pose lui l’exception de principe à cette responsabilité, la force majeure.
Théoriquement, pour être qualifié de cas de force majeure, un événement doit présenter trois caractères : il doit être « extérieur » au débiteur (soit échapper à son emprise), « imprévisible » au moment de la conclusion du contrat et enfin « irrésistible » (insurmontable).

En l’espèce, demandeur au pourvoi et juges du fond s’accordaient sur le fait que le cancer du tibia dont souffrait le premier constituait bien un cas de force majeure, l’Assemblée plénière ayant en effet jugé le 14 avril 2006 « qu’est constitutive d’un cas de force majeure la maladie du débiteur,l’empêchant de fournir sa prestation, dès lors qu’elle a présenté un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ».

B – L’élément litigieux : ses conséquences sur l’obligation du débiteur

L’existence d’un cas de force majeure étant établie, c’est sur le terrain de ses conséquences pratiques que s’est porté le différend entre le demandeur au pourvoi et la Cour d’appel, l’article 1148 du Code civil précisant en effet que « il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. »

Selon le demandeur au pourvoi, la force majeure serait une cause de suspension de l’obligation, ce qui concrètement interdirait toute poursuite en paiement et donc – a fortiori – toute condamnation judiciaire.

La position de la Cour d’appel apparaît plus obscure en ce qu’elle semble estimer que la force majeure suspend – non l’exécution de l’obligation – mais seulement l’éventualité de voir le débiteur condamné en raison de son inexécution... ce qui était justement reproché par la caution !
Cette seconde thèse était d’autant plus légère qu’il est constant depuis 1951 que « la preuve d’un événement de force entraîne l’exonération totale du débiteur ». [1]

Dans ces conditions, le simple constat de l’existence d’un cas de force majeure ainsi qu’un rapide rappel de ses conséquences sur l’obligation du débiteur aurait dû permettre à la Cour de cassation de casser l’arrêt d’appel.
Pour rejeter le pourvoi, la Haute juridiction va toutefois refuser au débiteur le bénéfice de la force majeure en raison de son impact relatif sur la possibilité d’exécuter l’obligation de payer.

II – … Écartée au profit d’une précision des conditions de son bénéfice.

A – La nécessité d’un « empêchement » incontournable.

Ce n’est pas un hasard si, tant l’article 1148 du Code civil que la décision de l’Assemblée plénière de 2006, font apparaître la notion d’ « empêchement » : pour que le débiteur puisse s’exonérer de son obligation en invoquant l’article 1148 il est indispensable que le cas de force majeure rende absolument impossible la fourniture de la prestation promise, et ce par quelque moyen que se soit.

Appliquée aux faits de l’espèce cette idée signifie concrètement que – malgré toute la souffrance et les difficultés rencontrées par le débiteur du fait de sa maladie – son état ne rendait pas impossible le fait de trouver ailleurs que dans son activité la somme nécessaire au paiement de son créancier.

Cette solution, en apparence sévère compte tenu de la situation du débiteur est pourtant parfaitement logique : si A doit livrer une chose, le fait que l’ascenseur soit en panne ne doit pas pouvoir le dispenser de prendre les escaliers...

En conséquence, il semble judicieux de garder à l’esprit que le bénéfice de l’article 1148 du Code civil dépend, en pratique, non pas de trois mais de quatre conditions : l’événement doit être extérieur, imprévisible, irrésistible et incontournable.

B – Force majeure et obligation de donner une chose fongible, une association bien théorique.

Pour refuser toute exonération au demandeur la Cour de cassation affirme simplement « que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».

Sur un plan purement théorique l’affirmation est discutable. Elle revient en effet à créer une exception non prévue par l’article 1148 du Code civil.
D’un point de vue pratique toutefois, elle marque le pragmatisme de la Cour qui semble refuser d’admettre qu’il puisse raisonnablement exister des situations dans lesquelles il est totalement impossible de trouver l’argent nécessaire au paiement d’une dette de somme d’argent.

Plus généralement cette sévérité de la jurisprudence visera l’ensemble des choses fongibles.
Il a par exemple été jugé que la seule constatation d’une sécheresse particulièrement dommageable ne suffisait à exonérer des vendeurs de plantes de leur obligation de livraison, et ce en raison de la possibilité pour eux de s’approvisionner en dehors de leur réseau habituel.

Dimitri Seddiki

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[1Cassation, Commerciale, 19 juin 1951

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