Genèse - L’action de groupe en matière de produits de santé a été introduite par l’article 184 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. À ce propos, un chapitre III intitulé « Action de groupe » a été intégré au sein du titre IV du livre Ier du Code de la santé publique.
Régime commun et spécial - Cette action obéit à un régime commun aux différentes actions de groupe mentionnées par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle [1] ainsi qu’à un régime spécifique dont les dispositions ont été codifiées aux articles L1143-1 à L1143-13 et R1143-1 à R1143- 3 du Code de la santé publique. Par ailleurs, deux décrets ont précisé le cadre légal de cette action [2]. Cet amoncèlement de textes régissant l’action de groupe en matière de santé a été critiqué par un auteur en raison de la « (...) complexité dans la lisibilité des règles applicables à l’action de groupe en santé » [3].
A. Les règles de fond de l’action de groupe en matière de produits de santé.
a. Le fait générateur de responsabilité : le manquement de professionnels aux obligations légales ou contractuelles liées à des produits de santé.
Un manquement aux obligations légales ou contractuelles - La formulation utilisée permet de rechercher une responsabilité sur la base de multiples fondements.
D’abord il est possible d’exercer cette action sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour faute au sens de l’article 1240 du Code civil [4].
Ensuite, une action de groupe fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux apparaît également possible. En pratique, il s’agira de cumuler la responsabilité délictuelle pour faute ainsi que la responsabilité du fait des produits défectueux pour une même action de groupe [5]. À ce propos, il convient de préciser que la responsabilité du fait des produits défectueux n’est pas exclusive de l’application d’autres régimes de responsabilité [6].
Enfin, dans l’hypothèse de l’existence d’un lien contractuel, une action introduite sur le fondement de la responsabilité contractuelle est également possible. À l’instar de la responsabilité délictuelle pour faute, le cumul de la responsabilité contractuelle et la responsabilité du fait des produits défectueux reste envisageable.
Les produits concernés - L’action de groupe a été limitée aux dommages causés par les produits mentionnés au II de l’article L5311-1 du Code de la santé publique [7]. Il s’agit ainsi de produits « à finalité sanitaire destinés à l’homme, des produits listés à l’annexe XVI du règlement (UE) 2017/745 relevant de (la compétence de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et des produits à finalité cosmétique » [8]. Ce texte établit une liste de produits de santé et vise « notamment » [9] les médicaments, y compris les insecticides, les huiles essentielles et plantes médicinales [10] ; les produits contraceptifs [11] ; ou encore le lait maternel collecté, qualifié, préparé et conservé par les lactariums [12].
Le domaine des produits pouvant causés des dommages susceptibles d’introduire une action de groupe est donc large [13].
Les personnes potentiellement responsables - Les personnes pouvant être responsables d’un manquement aux obligations légales ou contractuelles ont été limitativement énumérées par l’article L1143-2 du Code de la santé publique. Il peut ainsi s’agir :
Du producteur du produit de santé litigieux
D’un fournisseur du produit de santé litigieux
D’un prestataire utilisant le produit de santé litigieux.
Cependant, aucune définition n’a été donnée pour identifier ces différentes catégories d’acteurs.
Ainsi, pour le producteur, faut-il se référer à la définition exposée par l’article 1245-5 du Code civil et propre à la responsabilité du fait des produits défectueux [14] ou à une définition autonome propre au régime de l’action de groupe en matière de produits de santé [15] ? S’agissant du fournisseur, il peut être définit comme « celui qui procure la marchandise (le produit) ou les services à celui qui la distribue ou les utilise dans le contrat de fourniture » [16]. Enfin, concernant le prestataire, il s’agit du « débiteur d’une prestation » [17].
L’absence de définition précise a pour effet d’exposer une pluralité d’acteurs à des actions de groupe. À ce propos, un auteur a pu relever que « pourraient être concernés des supermarchés en ce qu’ils vendent des produits cosmétiques (CSP, art. L5311-1,15°) ou des tatoueurs utilisant des produits de tatouage (CSP, art. L5311-1, 17°), voire une personne qui réalise une opération de communication en distribuant des préservatifs (CSP, art. L5311-1, 2°) » [18].
Au-delà de la définition de ces différentes catégories, certains auteurs ont pu s’interroger sur la faculté pour le juge de condamner in solidum plusieurs responsables pour une même action de groupe au regard des termes de l’article L1143-1 du Code de la santé publique. À ce propos, l’emploi du singulier est utilisé pour qualifier le manquement du responsable. Cet emploi du singulier ne peut toutefois suffire à écarter la faculté d’une pluralité de responsables pour une même action de groupe. Un auteur défendant la solution d’un unique responsable considère que
« les textes relatifs à la procédure d’action de groupe ne permettent pas, en outre, au juge de constituer plusieurs sous-groupes de victimes, ce qui apparaîtrait pourtant nécessaire - au moins dans certaines hypothèses - si plusieurs manquements et/ou plusieurs professionnels pouvaient être visés par une action de groupe » [19].
Cependant cette position apparaît difficilement tenable au regard des liens qui existent entre les litiges impliquant plusieurs responsables pour une affaire donnée qui en cas de pluralité d’actions pourraient faire l’objet d’une jonction d’instance.
Certes, le cadre légal ne prévoit pas la possibilité de constituer plusieurs sous-groupes de victimes mais il ne l’interdit pas non plus [20].
b. Le préjudice : des préjudices corporels subis par des usagers du système de santé.
L’exigence d’un dommage corporel individuel - L’alinéa 3 de l’article L1143-2 du Code civil prévoit que l’action « (...) ne peut porter que sur la réparation des préjudices résultant de dommages corporels subis par des usagers du système de santé ». Ainsi, l’action de groupe a pour objet de réparer les atteintes à l’intégrité physique et/ou psychique. La réparation des préjudices est donc large et peut donc concerner des préjudices temporaires et/ou permanents et de préjudices patrimoniaux et/ou extrapatrimoniaux.
En conséquence, l’expertise médico-légale occupe une place centrale dans le cadre de ce dispositif et une attention particulière doit être portée à la conduite des opérations expertales.
L’adjectif « individuel » utilisé marque une volonté de législateur de distinguer les préjudices individuels des usagers du système de santé du préjudice collectif subi par ces mêmes usagers [21].
Des préjudices subis par des usagers du système de santé - La notion d’usagers du système de santé ne fait l’objet d’aucune définition légale ou réglementaire [22].
L’usager du système de santé ne doit pas être confondu avec le malade tous deux évoqués par le Code de la santé publique [23]. Ainsi, à titre d’exemple, « une femme enceinte est bien un usager du système de santé sans pour autant être malade » [24].
Cette notion soulève un certain nombre de difficultés mises en exergue par un auteur.
Cet auteur s’interroge ainsi sur la qualification à donner à certaines personnes : « consommateur de produits homéopathiques ; patient d’une thalassothérapie ; les personnes ayant recours à la chirurgie esthétique ou à des circoncisions rituelles » [25].
S’agit-il d’usagers du système de santé au sens de l’article L1143-2 du Code de la santé publique ?
La question de l’admission des victimes indirectes peut également se poser dans le cadre de l’action de groupe. Une réponse favorable semble avoir été donnée par le Tribunal judiciaire de Paris [26].
c. Le facteur de rattachement au groupe : des usagers du système de santé placés dans une situation similaire ou identique.
Le facteur de rattachement au groupe - Au-delà du triptyque classique de responsabilité [27] une condition supplémentaire marquant la particularité de l’action de groupe est exigée : il est nécessaire que les usagers du système de santé aient été placés dans une situation similaire ou identique. Il s’agit de la condition de rattachement au groupe.
Une situation similaire ou identique - Les usagers du système de santé doivent avoir été placés dans une situation similaire ou identique. Selon un auteur, « la similarité ou l’identité des situations est à rechercher avant tout dans le lien qui unit les victimes et le responsable, ainsi que dans le fait générateur de responsabilité de ce dernier » [28].
Il peut s’agir par exemple d’usagers du système de santé « (...) auxquels un même médicament aura été prescrit, indépendamment de la posologie et de la durée de prise » [29].
B. Les règles procédurales de l’action de groupe en matière de produits de santé
a. La qualité pour agir.
Une association agréée - L’article L1143-2 du Code de la santé publique réserve cette action aux associations d’usagers du système de santé agréée. Il s’agit d’associations ayant une activité dans le domaine de la qualité de la santé et de la prise en charge des malades agréée par une autorité administrative compétente soit au niveau régional, soit au niveau national [30].
b. La phase d’introduction de l’instance.
Les juridictions compétentes - L’action de groupe peut être intentée devant la juridiction judiciaire ou administrative en fonction des règles de répartition des compétences.
Devant le juge judiciaire, le chapitre Ier de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 précise les règles de procédure applicables. Pour le reste, il s’agira de se référer aux dispositions des articles 848 à 849-21 du Code de procédure civile.
Devant le juge administratif, le chapitre II de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 précise les règles de procédure applicables. Ces règles ont été codifiées au sein des articles L77-10 à L77-10-25 du Code de justice administrative.
L’assignation devant le tribunal judiciaire - Au-delà des règles classiques liées à la procédure écrite devant le tribunal judiciaire [31], il est nécessaire de produire la copie de l’agrément de l’association demanderesse. En l’absence d’agrément, une exception de nullité pour irrégularité de fond pourrait être soulevée en application de l’article 117 du Code de procédure civile.
Aussi, l’assignation doit exposer expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action [32]. Il convient de préciser que l’association agréée peut agir directement contre l’assureur garantissant la responsabilité civile du responsable en application de l’article L124-3 du Code des assurances [33].
La requête devant le tribunal administratif - L’action est introduite et régie selon les règles prévues au Code de justice administrative. Autrement dit, les règles classiques liées à la procédure devant le tribunal administratif sont applicables.
Préalablement à l’introduction de l’instance, l’association agréée doit mettre en demeure celle à l’encontre de laquelle elle agit de réparer les préjudices subis et l’action de groupe ne peut être introduite qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la réception de cette mise en demeure [34]. La faculté d’introduire une action à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile du responsable est également possible devant le tribunal administratif.
À l’instar de la procédure devant le tribunal judiciaire, il est nécessaire de produire la copie de l’agrément de l’association demanderesse. Aussi, le requête doit exposer les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action [35].
c. La phase de jugement.
La recevabilité de l’action - L’article L1143-3 du Code de la santé publique prévoit que le juge constate que les conditions mentionnées à l’article L1143-2 du même Code sont réunies. Autrement dit, le juge s’assure dans un premier temps que l’action intentée est recevable. Avant de se prononcer sur la responsabilité du défendeur, le juge vérifie notamment que l’association bénéficie d’un agrément ; que les usagers ont été placés dans une situation similaire ou identique ; que les dommages corporels individuels ont été causés par un produit mentionné au II de l’article L5311-1 du Code de la santé publique et qu’il s’agit bien du producteur ou d’un fournisseur ou du prestataire de service de ce produit.
Le jugement sur la responsabilité - L’article L1143-3 du Code de la santé publique prévoit que le juge statue, dans cette même décision, sur « la responsabilité du défendeur au vu des cas individuels présentés par l’association requérante ».
La détermination du groupe - Après avoir statué sur la responsabilité du défendeur, le juge détermine le groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée [36]. Il peut par exemple s’agir d’une catégorie spécifique des usagers du système de santé participant à l’action exposée au produit pour une période donnée et ayant entraîné certains troubles identifiés par le juge [37].
Après avoir défini ce groupe, le juge fixe les critères de rattachement au groupe pour les victimes qui souhaitent se joindre à l’action de groupe [38].
La détermination des dommages corporels réparables - L’article L1143-3 du Code de la santé publique prévoit que le juge détermine « les dommages corporels susceptibles d’être réparés pour les usagers constituant le groupe qu’il définit ». Il s’agit d’identifier les atteintes à l’intégrité physique ou psychique susceptibles d’être indemnisées [39].
La faculté d’ordonner toute mesure d’instruction - L’alinéa 3 de l’article L1143-3 du Code de la santé publique prévoit que le juge « (...) saisi de la demande peut ordonner toute mesure d’instruction, y compris une expertise médicale ».
Néanmoins, selon un auteur, le mesure d’expertise dont il est question « ne vise que les cas soumis et n’a pas pour objet de fixer l’indemnisation mais uniquement la responsabilité. Elle devrait permettre de mieux définir les critères de rattachement au groupe » [40]
La faculté de condamner le défendeur au paiement d’une provision - Le juge a la faculté de condamner le défendeur au paiement d’une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens exposés par l’association agréée, y compris les frais d’avocat [41].
La faculté d’ordonner la consignation d’une partie des sommes dues par le défendeur - Lorsque le juge considère qu’une consignation est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, celui-ci peut ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d’une partie des sommes dues par le défendeur [42].
L’adhésion à l’action de groupe des autres usagers du système de santé - Dans cette décision, le juge fixe le délai dont disposent les usagers du système de santé remplissant les critères de rattachement pour adhérer au groupe [43]. Ce délai ne peut être inférieur à six mois ni supérieur à cinq ans et commence à courir à compter de l’achèvement des mesures de publicité ordonnées [44]. Concernant les mesures de publicité ordonnées, celles-ci sont à la charge du défendeur [45].
d. La phase indemnitaire.
Les voies d’indemnisation possibles - Au-delà du recours à la médiation, il existe deux voies indemnitaires possibles : la procédure individuelle de réparation des préjudices et la procédure collective de réparation des préjudices.
La procédure individuelle de réparation des préjudices - L’usager du système de santé qui souhaite adhérer à l’action de groupe adresse une demande de réparation [46].
Cette demande de réparation est adressée au responsable soit directement par l’usager soit par l’association requérante [47] qu’il mandate à cet effet [48].
Une fois la demande de réparation reçue par le responsable, celui-ci procède à l’indemnisation individuelle des préjudices « résultant du fait générateur de responsabilité reconnu par le jugement et subis par les personnes remplissant les critères de rattachement au groupe et ayant adhéré à celui-ci » [49].
L’hypothèse du refus d’indemnisation par le responsable - En cas de refus du responsable de faire droit à la demande d’indemnisation présentée par l’usager du système de santé, celui-ci a la possibilité de saisir le juge ayant statué sur la responsabilité en vue de la réparation de leur préjudice dans les conditions et limites fixées par le jugement [50].
La procédure collective de réparation des préjudices - L’usager du système de santé qui souhaite adhérer à l’action de groupe dans le cadre de la procédure collective doit se déclarer auprès du demandeur à l’action, c’est-à-dire, l’association agréée, qui est chargée auprès du responsable la réparation du dommage [51]. L’adhésion au groupe vaut dans ce cas, mandat au profit de l’association agréée aux fins d’indemnisation [52]. Ainsi, l’association agréée négocie avec le responsable le montant de l’indemnisation [53].
L’homologation de l’accord de liquidation des préjudices par le juge - Le juge qui a statué sur la responsabilité est saisi aux fins d’homologuer l’accord de liquidation des préjudices, éventuellement partiel, intervenu dans le cadre de la procédure collective de réparation des préjudices [54].
Le juge peut refuser l’homologation de l’accord si les intérêts des parties et des membres du groupe lui paraissent insuffisamment préservés au regard des termes du jugement et peut renvoyer l’ensemble des parties à la négation pour une nouvelle période de deux mois [55].
En l’absence d’accord total, le juge est saisi dans un délai qui ne peut être inférieur à celui fixé par le jugement aux fins de liquidation des préjudices subsistants [56].
A défaut de saisine du tribunal à l’expiration d’un délai d’un an à compter du jour où le jugement mentionné à l’article 68 de la loi du 18 novembre 2016 a acquis force de chose jugée, les membres du groupe peuvent adresser une demande de réparation à la personne déclarée responsable par le jugement mentionné à l’article 66 de ladite loi [57]. La procédure individuelle de réparation des préjudices est alors applicable [58].
La sanction de l’absence de diligence des parties - Une amende civile d’un montant maximal de 50 000 euros peut être prononcée contre le demandeur ou le défendeur à l’instance lorsque celui-ci a, de manière dilatoire ou abusive, fait obstacle à la conclusion d’un accord sur le fondement du jugement mentionné à l’article 68 de la loi du 18 novembre 2016 [59].
Le paiement - A défaut de paiement directe à la victime, le responsable peut verser les indemnités au profit de l’association demanderesse [60].
e. La voie de la médiation.
La faculté de recourir à une médiation - Le juge saisi d’une action de groupe peut, avec l’accord des parties, donner mission à un médiateur de proposer aux parties une convention réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action [61].
La durée de la mission du médiateur ne doit pas excéder trois mois. Cependant, le juge peut la prolonger une fois, dans la même limite, à la demande du médiateur, soit une durée totale de six mois [62].
Le choix du médiateur - Le médiateur est choisi par le juge sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la santé [63]. Une commission de médiation peut être ordonnée par le juge, si ce dernier l’estime nécessaire [64]. Le médiateur et les éventuels membres de la commission de médiation sont tenus au secret professionnel [65].
La convention d’indemnisation amiable - La convention d’indemnisation fixe les conditions dans lesquelles le responsable assure aux personnes ayant subi un dommage corporel en raison d’un ou plusieurs faits qu’elle identifie la réparation de leur préjudice.
Point important : cette convention peut ne pas comporter la détermination des responsabilités [66].
L’homologation de la convention - La convention d’indemnisation amiable doit recevoir une homologation par le juge. Cette homologation met fin à l’action entre les parties signataires de la convention [67].