Bail commercial : l’obligation de délivrance, une obligation essentielle pesant sur le bailleur.

Par Louise Bargibant, Avocat.

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Explorer : # obligation de délivrance # bail commercial # entretien du bien loué # sanctions

Un bail commercial est un contrat lourd d’engagements pour les deux parties. Il impose diverses obligations pour chacune des parties : l’obligation essentielle pour le bailleur étant celle de délivrance et pour le locataire celle du paiement du loyer.

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En réalité, l’obligation de délivrance est une obligation qui résulte de la nature même du contrat de louage : le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au locataire le bien loué, de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué et d’en faire jouir paisiblement le locataire pendant la durée du bail conformément à l’article 1719 du Code civil.

Le caractère essentiel de l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur est régulièrement rappelé par la jurisprudence et vient d’être rappelé dans un arrêt récent (Cass. Civ. 3e, 18 janv. 2018 n° 16-26.011).

Mais quels sont les contours de l’obligation de délivrance ?

La délivrance de la chose louée

Il s’agit tout d’abord de la « délivrance de la chose louée ».

Cette délivrance est logique : le bailleur doit mettre à la disposition de son locataire les biens loués et cela suppose que le bailleur remette au locataire le local principal mais aussi ses accessoires (caves, greniers etc…).
Cette obligation de délivrance de la chose louée se matérialise notamment par la remise des clefs au locataire.
L’usage veut aussi que le bailleur mette à la disposition de son locataire un local clos et couvert.
La délivrance oblige également le bailleur à délivrer au locataire un local conforme à sa destination contractuelle.

En clair, le bailleur doit s’assurer que le locataire puisse exercer son activité dans le local conformément à la destination du bail.
Ainsi, un bail pourra être résilié aux torts exclusifs du bailleur pour manquement à son obligation de délivrance dès lors que le local ne peut être affecté à l’usage prévu.

A titre d’illustration, un bailleur qui donne à usage de snack-bar un local alors qu’il sait que cette activité nécessite un changement d’affectation du local exige une autorisation administrative laquelle a d’ores et déjà été refusée méconnait l’obligation de délivrance conforme du local.

La remise d’un bien en bon état

Il s’agit également pour le bailleur de remettre un bien loué « en bon état de réparations ».

Mais s’agissant de ce principe, il n’est pas impératif de sorte que les parties peuvent valablement y déroger en prévoyant par exemple que le locataire prend les lieux loués dans l’état où ils se trouvent sous réserve cependant que les lieux loués permettent la destination autorisée par le bail.

Néanmoins, ces clauses sont à rédiger avec la plus grande prudence car si une telle clause peut prévoir que le locataire s’engage à prendre les lieux dans l’état où ils se trouvent lors de l’entrée en jouissance, la présence d’une telle clause est interprétée strictement par les tribunaux et en tout état de cause ne dispense pas le bailleur de son obligation d’entretenir le bien en état de servir à l’usage auquel il est destiné pendant toute la durée du bail.

A ce titre, en matière de bail commercial, en l’absence de clause contraire dans les contrats conclus avant le 5 novembre 2014, et dans tous les cas pour les baux conclus ou renouvelés après cette date (loi Pinel), le bailleur est tenu des grosses réparations.

L’obligation d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée est donc inhérente à l’obligation de délivrance conforme.

Les sanctions de l’inexécution de l’obligation de délivrance

La charge de la preuve de l’obligation de délivrance pèse sur le bailleur : ainsi il lui appartient de prouver qu’il s’est libéré de cette obligation et lorsque le locataire allègue une délivrance partielle, le bailleur doit établir qu’il a satisfait entièrement à son obligation.

Il existe un véritable arsenal de sanctions pour le locataire victime de manquements de son bailleur à l’obligation de délivrance.

Ainsi, les sanctions peuvent aller de l’action en exécution forcée (par exemple de délivrer les lieux en bon état), de l’action en exception d’inexécution (libérant le locataire de son obligation de payer le loyer jusqu’à la délivrance de la chose louée) à l’action en résiliation du bail et même à la demande de dommages-intérêts.

Illustration du non-respect de l’obligation de délivrance par un bailleur

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation rappelle que le bailleur doit respecter l’obligation de délivrance notamment s’agissant de l’entretien du bien afin qu’il soit conforme à sa destination contractuel (Cass. Civ. 3e, 19 octobre 2017, 16-14.134).

Dans cet arrêt, il était question d’un locataire qui avait pris à bail des locaux à usage de boulangerie au rez-de-chaussée d’un immeuble dont le bailleur était propriétaire.
Le plancher de l’appartement situé au premier étage avait cédé et avait endommagé le local commercial et les installations nécessaires à l’exploitation de la boulangerie.

En réalité, le sinistre était la conséquence de l’humidité dégagée par l’utilisation du four à buée du boulanger.
S’en était suivi une procédure au titre de laquelle allait être déterminée les responsabilités des uns et des autres dans la survenance de ce sinistre.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le propriétaire a manqué à son obligation d’entretenir les lieux en état de servir à l’usage pour lequel ils avaient été loués et doit donc supporter les conséquences dommageables liées à l’effondrement du plafond.

En effet, selon la Haute Juridiction : le preneur avait régulièrement entretenu le four, l’état de vétusté de ce matériel n’était pas établi, « la nature du plancher en bois aggloméré était incompatible avec l’exploitation d’un fournil », et « l’humidité, qui se dégageait du four à buée, même si elle avait été partiellement à l’origine de l’état du plafond, était la conséquence d’un usage normal des locaux destinés exclusivement à l’exploitation d’une boulangerie  » retenant « qu’il incombait au bailleur de faire procéder à des travaux pour assurer la solidité de la structure du plafond » (Cass. Civ. 3e, 19 octobre 2017, 16-14.134).

En clair, tout local doit, matériellement, permettre la réalisation effective de l’activité pour laquelle la location a été prévue au risque pour le bailleur d’engager sa responsabilité au regard de son obligation de délivrance.

Maître Louise BARGIBANT
Avocat en droit immobilier et de la construction
Barreau de Lille
www.lba-avocat.com

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Discussions en cours :

  • par Mar Eve , Le 5 février 2024 à 22:08

    Fermée depuis 11 mois suite un triplé sinistre,
    Mon activité commerciale est a l’arrêt.
    Le bailleur, le syndic de copropriété n’ont toujours pas réhabilité le local et les parties communes.
    Quand est il de l’obligation de délivrance et du trouble de jouissance paisible.
    Est il possible d’obtenir la résiliation du bail, pour fermeture prolongée, mérule et absence de remise en état.

  • L’arrêt qui sert à la réflexion (Cass. Civ. 3e, 18 janv. 2018 n° 16-26.011) ne portait pas sur un bail commercial.
    Dans les baux commerciaux, la rédaction peut prévoir deux articles différents, l’un pour l’objet du bail, l’autre pour la spécialisation indiquant une liste d’activités autorisées, voire une absence de spécialisation "tous commerces".
    L’obligation de délivrance porte sur l’objet.
    Elle ne peut pas porter sur des modifications rendues nécessaires par une évolution de l’activité qui dépend de la seul volonté du preneur, dans le cadre des spécialisations autorisées.

    • L’arrêt qui sert à la réflexion portait bien sur un bail commercial : "Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 20 septembre 2016), que l’association La Nouvelle étoile des enfants de France (l’association) a pris à bail commercial un immeuble appartenant à la société du [...], destiné à usage de crèche (...) Qu’en statuant ainsi, alors que les obligations pesant sur le promoteur immobilier envers le preneur, au titre des travaux de réhabilitation d’un immeuble loué, n’exonèrent pas le bailleur, tenu d’une obligation de délivrance, de la prise en charge des travaux nécessaires à l’activité stipulée au bail, sauf clause expresse contraire, la cour d’appel, qui s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser une exonération du bailleur, a privé sa décision de base légale ;"

  • par Sandra MOREAU , Le 8 septembre 2020 à 10:18

    Est-ce-que l’obligation de délivrance est liée ensuite à la mise en conformité des lieux ? En effet, souvent dans nos baux, nous lisons que le preneur s’engage à ce que les locaux loués soient toujours conformes aux réglementations.... il doit se charger de la mise aux normes... de sorte que le bailleur ne puisses être inquiété, ni même recherché sur ce sujet.
    Si cette conformité est nécessaire dans l’’exercice de son activité cela a du sens mais quid des mises aux normes générales (accès handicapés, rénovation énergétique etc...) Ces charges et travaux sont uniquement imputables au bailleur ou pas ?

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