Avocats en entreprise : un pas en avant, trois pas en arrière ?

Avocats en entreprise : un pas en avant, trois pas en arrière ?

Rédaction du Village de la Justice

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Explorer : # avocat en entreprise # réforme juridique # secret professionnel # opposition des syndicats

Un marronnier, un serpent de mer, une pomme de la discorde [1]...
On ne compte plus les expressions imagées pour qualifier le sujet à la fois hautement polémique et jamais résolu de "l’avocat en entreprise".

Le sujet est revenu sur la table fin novembre 2020, à l’occasion des discussions sur le budget de l’aide juridictionnelle et dès les premiers jours de l’année 2021, avec le "pré-projet de loi" - on sent la prudence de la Chancellerie - sur son statut.
Au vu des réactions de toute part que nous vous livrons ici et de l’épilogue (provisoire) du printemps 2021, sans doute va-t-il falloir redoubler d’imagination pour renouveler les métaphores, tant le sujet semble loin d’être clos...

-

Premières réactions sur le vif.

- C’est le Cercle Montesquieu (Association des directeurs juridiques) qui a été le premier a réagir sur le sujet, faisant part de sa "grande satisfaction". Il salue dans son communiqué de presse "la volonté du ministre de la Justice d’engager une vérifiable modernisation des pratiques", ce pré-projet permettant "d’unifier les professions d’avocats et de juristes d’entreprises", mettant fin ainsi "à une situation absurde et bloquée depuis plus de trente années"
L’association a mis en ligne une tribune intitulée « L’avocat en entreprise, le droit au service de la souveraineté économique », qui peut être signée en ligne (300 personnalités l’ont déjà signée) [2].

Concrètement, le pré-projet prévoit "une expérimentation de cinq ans, sur certains barreaux choisis par arrêté du garde des Sceaux. Les barreaux seraient désignés sur proposition de leurs Conseils de l’Ordre. Parmi les lieux évoqués cet automne, les Hauts-de-Seine et Paris." [3]

Alors, le serpent de mer va-t-il enfin opérer sa mue ? Rien de moins sûr à en lire la réaction de quatre syndicats d’avocats (le SAF, la FNUJA, la CNA et l’ABF) qui se sont fendus d’un communiqué sans équivoque titré "Expérimentation de l’avocat salarié en entreprise, c’est unanimement non !".

- Ces syndicats dénoncent sur la forme l’absence de concertation préalable, une méthode "brutale et inacceptable". Sur le fond, cette expérimentation tend à créer selon eux une "créature" qui n’est "pas un avocat. Elle n’en a aucun des attributs. Elle ne sert qu’à permettre aux juristes de se prévaloir du secret professionnel de l’avocat, instrumentalisé pour faire échec aux règles juridiques et financières garantissant la moralisation de l’économie.".

- Côté institution, la conférence des Bâtonniers a opté elle aussi pour une position tranchée et unanime : "sans indépendance, sans secret professionnel, sans contrôle du Bâtonnier, le projet de Loi créant le statut d’avocat en entreprise contrevient gravement aux principes essentiels de notre profession et ne saurait voir le jour." [4]

- Le Bâtonnier des Hauts-de-Seine (Barreau largement dit "d’affaires" qui, comme dit précédemment, pourrait être choisi pour l’expérimentation), Michel Guichard, tient une position plus modérée en émettant des réserves quant à la mise en place de cette organisation, sans condamner toutefois le projet en lui-même : "Si l’avocat en entreprise permet l’élévation du domaine du droit dans l’entreprise, je le comprends. Cela ne se fera pas, à mon sens, au détriment des avocats. Une direction juridique ne pourra pas traiter tous les dossiers et aura toujours besoin des avis d’avocats qui ont de l’expérience sur leurs sujets. (...) Aussi si le droit peut prendre une place plus importante dans l’entreprise, tout le milieu du droit en bénéficiera, les avocats y compris."

- Réaction également prudente du côté de l’Ordre des avocats au Barreau de Paris qui se contente de confirmer "son intérêt à poursuivre la réflexion sur le sujet" dans sa délibération du 19 janvier 2021, tout en souhaitant obtenir des modifications et la mise en place d’un groupe de travail, en vue d’obtenir des "garanties quant au respect des principes fondamentaux qui gouvernent la profession d’avocat". [5]

- Dernière réaction en date, des plus attendues : celle du CNB : retour à une position très tranchée et radicalement opposée à celle du Cercle Montesquieu !
En effet, lors de son assemblée générale du 22 janvier, l’instance nationale a adopté une motion qui vient :
« Rappeler que le Conseil national des barreaux s’est déjà opposé à plusieurs reprises à la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise ;
Dénoncer l’atteinte inacceptable que le projet communiqué porterait à l’indépendance de l’avocat et à son secret professionnel ;
Exiger le retrait de ce projet qui crée de réelles insécurités juridiques outre qu’il viole de très nombreuses règles d’ordre public (droit de la concurrence, droit du travail, principe d’égalité, etc.).
S’opposer à la création, même à titre expérimental, d’un statut d’avocat salarié d’une entreprise tel que préconisé dans cet avant-projet
 ».

- Le message est sans appel, et vient contraster avec les réactions plus prudentes, à l’image de celle du Bâtonnier Guichard qui rappelait : "nous avons du temps pour analyser le projet. Le texte devrait être examiné par le Parlement en mai." [6]

Rétropédalage ?

Lors de la conférence des Bâtonniers qui s’est tenue le 29 janvier, Eric Dupond-Moretti a été clairement interpellé par Hélène Fontaine, Président de la conférence, sur le sujet. Le Ministre a répondu en affirmant que le projet en était "au stade de la réflexion", en tâchant de ménager les avocats sans pour autant abandonner le projet : "Je sais les craintes que peut susciter ce projet, mais nous devons également mesurer les enjeux pour l’avenir de la profession, et au-delà pour notre pays et la protection de nos entreprises". [7]

Nouvelles prises de positions.

Celle de l’association Paris Place de droit qui dans un communiqué en date du 1er février annonce soutenir ce projet, "à l’unanimité de ses membres fondateurs, le Tribunal de Commerce de Paris, le Barreau de Paris, la CCI Paris, l’ICC, l’AFJE, Paris Arbitration, l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et le Cercle Montesquieu."
Le Barreau de Paris semblerait donc avoir pris position en faveur du projet, une position opposée à celle des autres institutions représentatives des avocats.

Tout ça... pour ça ?

Finalement, les "pour" comme les "contre" sont renvoyés dos à dos dans leur camp par le Ministre de la Justice lui-même, qui a opté à ce jour pour un abandon simple de ce projet, après avoir constaté "l’absence de consensus" sur le sujet, suite à la réunion qui s’est tenue à la chancellerie le 4 mars 2021 avec les représentants du Conseil national des barreaux (CNB), de la Conférence des bâtonniers, du bâtonnier de Paris, de l’Association française des juristes d’entreprise et du Cercle Montesquieu (association des directeurs juridiques) [8].

Tel des coups de bélier pour enfoncer une porte, les projets de lois qui se sont multipliés depuis vingt ans sur le sujet ont fini par créé une ouverture, celle d’une partie de la profession des avocats qui, c’est un euphémisme, ne s’est pas dite défavorable... La prochaine fois - puisqu’il y en aura une, nul besoin d’être devin - sera-t-elle la bonne ?

Rédaction du Village de la Justice

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Notes de l'article:

[1Voir à ce sujet dans notre calendrier de l’après 2021 l’article du 21 janvier 2021 "2021 sera-t-elle l’année de de la réconciliation avec la Chancellerie ?”

[4Source Twitter.

[5Source Twitter.

[6Source : Éditions législatives..

[8Source : Le Monde.

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