“Lorsqu’un internaute téléchargera illégalement une œuvre musicale ou cinématographique depuis Internet, il sera rappelé à l’ordre, d’abord par l’envoi de mails d’avertissement puis, en cas de récidive, d’une lettre recommandée, d’une suspension et enfin d’une résiliation de son abonnement Internet s’il persévère". La première des deux lois Hadopi qualifiée de “clivante“ par François Hollande, “s’est avérée inefficace et négative“, comme le déclarait en décembre dernier Aurélie Filippetti, nouvelle Ministre de la Culture.
Oui mais voilà, si la position de la Ministre ne laissait aucun espoir à l’avenir de la Haute Autorité, aujourd’hui la donne a sensiblement changé et on parle davantage de concertation que de suppression. “Les travaux de l’Hadopi seront suspendus le temps que dure cette concertation“, avançait-t-elle le mois dernier. Le temps pour la commission de préparer l’acte II de l’exception culturelle à partir de juillet avec comme objectif de "remettre la culture au coeur des politiques publiques en adaptant le modèle économique français à l’ère du numérique", selon Aurélie Filippetti.
Pilotée par Pierre Lescure (ex-PDG de Canal +), cette commission s’attachera à étudier l’ensemble des dossiers sujets au numérique, en dépassant le simple cadre d’Hadopi, pour lutter contre la contrefaçon commerciale et chercher de nouvelles sources de financement auprès des principaux acteurs d’internet mais aussi des fabricants de matériel informatique.
Ainsi offre légale, copie privée, financement de la création, accès à la culture, défense de la diversité artistique, lutte contre la concentration, naissance d’un portail public regroupant les vidéos de l’INA ou le catalogue de la Cinémathèque française... c’est tout le paysage de la culture et de l’audiovisuel qui doit être revisité pour rejoindre les pratiques des internautes-consommateurs (comme la vidéo à la demande ou le streaming). Si la promesse est tenue, et après un long processus qui doit aboutir devant le Parlement fin 2013, c’est un nouveau cadre légal et commercial qui naîtra.
Un nouveau cadre légal qui pourrait bien être la licence globale, chère à Martine Aubry. Aujourd’hui Xavier Blanc, directeur des affaires juridiques et internationales de la Spedidam (société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes), va dans ce sens : « Beaucoup de choses ont été dites sur la licence globale qui est devenue, comme Hadopi, un débat politique. Je rappelle qu’elle concerne exclusivement l’exploitation non commerciale d’une création afin de la rendre licite à l’inverse de l’Hadopi qui veut faire payer ce qui a été obtenu de manière illicite. »
Mais qu’est-ce que la licence globale ? L’internaute moyennant un supplément (modique, estimé par ceux qui le proposent entre 2 et 6,90 euros/mois) à son abonnement, obtient le droit de télécharger (download) et de diffuser librement sur Internet (upload), de façon illimitée, tout type d’œuvres, notamment les œuvres musicales, cinématographiques, littéraires, graphiques, les jeux, etc.
Ce système est optionnel pour l’internaute, qui choisit ou non l’option "licence globale", et donc son paiement. Son fournisseur d’accès est chargé de percevoir cette redevance et de la reverser à une société de gestion collective, qui la reverse aux sociétés de gestion collective existantes, avant qu’elle ne soit enfin reversée aux ayants droit de la musique, du cinéma, des arts graphiques et littéraires, etc.
À partir de là, pourquoi cette licence globale fait polémique ? Et bien parce que les artistes se voient ainsi expropriés de leurs droits sur leurs œuvres contre une rémunération forfaitaire dérisoire, et ceci au profit de la liberté de consommation des internautes. Un mécanisme qui s’avère quoi qu’il en soit irréaliste puisqu’il serait impossible de répartir ce prélèvement forfaitaire entre les ayants droit, compte tenu des milliards de fichiers (musiques, films, logiciels, jeux vidéos, livres, photos...) qui seraient échangés sans limite sur les réseaux du monde entier. Par ailleurs, comment vérifier qu’un internaute ayant choisi de ne pas régler son abonnement "licence globale" ne téléchargera pas ? De plus pourquoi payer une option, alors que techniquement rien n’empêche de se servir en toute liberté, et gratuitement ?
Comment faire à partir de là pour susciter un “legal spirit“ auprès des utilisateurs ? Adapter l’offre de téléchargement légal pourrait être une solution, la rendre vraiment compétitive. Le marché de la VOD, par exemple, entre dans sa septième année d’existence et cela fait sept ans qu’on tourne en rond autour des mêmes problèmes. Pour favoriser son essor, des points tels que le prix (4,99 € pour un film en SD, disponible 48 heures ; 15,99€ pour un film en téléchargement définitif) ou la chronologie (mise en ligne des films 4 mois après la salle pour la VOD et 36 mois pour la SVOD) devront nécessairement être modifiés. Pourquoi ne pas penser à rémunérer ensuite l’artiste à chaque film vu sur internet ? Cela satisferait les deux parties.
Internet constitue le réseau d’avenir pour la diffusion et la distribution des œuvres. C’est pourquoi il faut lui donner un cadre légal solide qui permette l’expansion et la création de modèles innovants (vente en ligne, P2P monétisé...), qui, eux, maintiendront une rémunération juste et directe des artistes afin de garantir la prise de risque des artistes. Un chantier auquel devra s’atteler le nouveau gouvernement dans les mois qui viennent.
Suite du dossier "VoD, Streaming : les offres légales doivent évoluer !"
Discussion en cours :
Je suis cité de façon inexacte, comme était inexacte la phrase reprise d’un autre article sur internet.
Je n’ai jamais indiqué que "l’Hadopi" (...) veut faire payer ce qui a été obtenu de manière illicite".
Hadopi ne fait rien payer à personne, Hadopi met en oeuvre un mécanisme d’avertissement et, in fine, de suspension possible de connexions à Internet.
Ce mécanisme vient se superposer aux sanctions pénales, disproportionnées d’ailleurs, existant dans la loi du 1er août 2006.
Sur la licence globale, qui concerne l’illicite effectivement, il s’agit bien de mettre un terme à ces pratiques répressives en contrepartie d’un paiement perçu des abonnés à Internet.
Si elle a été conçue comme optionnelle, elle est évoquée aujourd’hui comme pouvant s’appliquer à tous les abonnements.
Indiquer qu’il s’agirait d’une "expropriation" pour les artistes n’est pas très pertinent. Que se passe-t-il aujourd’hui ?
Les artistes sont, pour la plupart, "expropriés" de leurs droits par les producteurs dans les contrats individuels, sans contrepartie.
Au surplus, tous les ayants droit, sont "expropriés"... par les pratiques illicites. Comment donc peuvent-ils exercer leurs droits auprès des millions d’utilisateurs individuels d’Internet ?
Interdire ? On voit l’échec des politiques de répression...
Autoriser ? C’est bien ce que propose la licence globale, autrement plus positive et respectueuse des droits de chacun.
Le "legal spirit" des utilisateurs évoqué par l’article, c’est avoir aujourd’hui le choix entre l’abstinence, les sanctions correctionnelles et une touche d’Hadopi.
Quant à la répartition des sommes perçues, elle ne pose pas de problème particulier.
Des outils statistiques et d’échantillons existent permettant de connaître, en respectant la vie privée des internautes, les titres et enregistrements échangés.
Parallèlement, il faut effectivement changer les pratiques relatives aux exploitations dites "légales" et commerciales. En créant des garanties et des modes de rémunération des artistes interprètes qui aujourd’hui, à quelques exceptions près, ne sont rémunérés ni sur l’illicite bien sûr, ni sur le licite. Savoir que les artistes interprètes sont rémunérés, voici qui pourrait générer davantage de "legal spirit"..
Xavier Blanc