L’auteur et le robot : perspectives juridiques sur le statut des œuvres créées au moyen de l’IA.

Par Efrain Fandiño, Docteur en Droit.

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Explorer : # œuvres automatisées # droit d'auteur # intelligence artificielle # originalité

Durant l’année 2023, le débat concernant la qualification juridique des créations issues de l’intelligence artificielle a commencé à se cristalliser à travers l’émergence de jurisprudence sur le sujet. Dans cette perspective, le présent texte vise à analyser divers jugements rendus par des cours étrangères, afin d’identifier les principes cardinaux qui s’en dégagent.

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L’année 2023 s’avère être déterminant pour le statut des œuvres créées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle. Effectivement, à la suite de plusieurs délibérations aux niveaux national, communautaire et international, l’année en exergue inaugure l’avènement des premiers jugements de justice relatifs aux créations réalisées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle.

Bien entendu, il peut être encore trop tôt pour parler d’une doctrine sur les œuvres automatisées. Néanmoins, nous estimons qu’il existe suffisamment d’éléments pour identifier des éléments en commun qui pourraient se révéler utiles aux juges et aux législateurs dans les mois à venir.

Gardant cela à l’esprit, nous examinerons tout d’abord les divers jugements prononcés jusqu’à ce jour que nous avons identifié sur le sujet (1). Puis, nous identifierons et analyserons les points de convergence entre ces décisions (2).

1. Les décisions judiciaires rendues à l’égard de l’IA.

En dépit que l’an 2023 fut témoin de plusieurs décisions judiciaires concernant la titularité des œuvres créées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle, nous verrons que les toutes premières décisions sur ce sujet ont, en fait, été prononcées en Chine (1.1). Par la suite, nous nous concentrerons sur l’analyse du jugement rendu aux états-uniens sur ce sujet durant l’année en cours (1.2). Enfin, nous étudierons la décision rendue par le juge italien (1.3).

1.1. Les jugements prononcés en Chine.

Depuis 2019, les tribunaux de la République Populaire de Chine se sont penchés sur les contentieux relatifs aux créations issues de l’intelligence artificielle, en se prononçant notamment via deux jugements significatifs : l’affaire Tencent contre Yingxun, tranchée le 24 décembre 2019 (1.1.1.), et le cas Feilin contre Baidu (1.1.2), décidé le 25 avril 2019 [1].

1.1.1. Feilin c/ Baidu (25 avril 2019).

Par un arrêt du 25 avril 2019 [2], la Cour d’internet de Beijing, a statué que les droits d’auteur d’une œuvre générée par un système d’intelligence artificielle ne pouvaient pas être octroyés au cabinet d’avocats Beijing Feilin.

En l’espèce, ce dernier avait diffusé un rapport créé de manière automatisée par un système d’IA, lequel fut ensuite légèrement modifié et partagé par un utilisateur sur un service de Baidu. Cela a incité Feilin à engager des poursuites pour contrefaçon à l’encontre de Baidu.

Dans son arrêt, la cour a examiné le processus de création de l’œuvre, mettant l’accent sur le degré d’intervention humaine dans la production automatique du rapport. Il a été établi que ledit texte était en grande partie le résultat des opérations exécutées de manière autonome par la machine, et la contribution de l’agent humain se cantonnait à l’incorporation de mots-clés déterminants et à l’initialisation du programme informatique.

Dès lors, la juridiction a statué qu’en vertu des dispositions du droit d’auteur en vigueur en Chine, l’œuvre ne remplissait pas la condition d’originalité requise pour bénéficier de la protection accordée aux œuvres de l’esprit. Toutefois, elle a admis une forme de protection restreinte, en considération des investissements consentis par le requérant, ce qui a conduit à un jugement défavorable pour Baidu.

Cette décision, bien que controversée en raison du monopole accordé malgré l’absence d’originalité de la création automatisée, est notable pour son analyse approfondie du processus de création, évaluant la contribution humaine dans les œuvres générées par IA.

Après avoir examiné cette première décision, nous aborderons ensuite un cas où le juge chinois a accordé la protection du droit d’auteur à une œuvre automatisée réalisé à travers un système d’intelligence artificielle.

1.1.2. Tencent c/ Yingxun (24 décembre 2019).

Le Tribunal populaire du district de Shenzhen, dans un jugement rendu le 24 décembre 2019 [3], a accordé au développeur du système d’IA les droits d’auteur sur une création automatisée. Tencent, le développeur, a créé un système d’IA, Dreamwriter, qui génère des articles automatiques basés sur des données fournies par les employés de l’entreprise. Un tel article a été reproduit sans autorisation par Yingxun, conduisant à une action en justice.

Le jugement a mis l’accent sur l’implication humaine dans le processus de création, en soulignant plusieurs phases où l’intervention humaine s’est révélée cruciale, notamment dans le choix des données, l’établissement des paramètres et la révision des textes produits. Il a été déterminé que, même si le logiciel avait « participé » à l’acte créatif, l’apport significatif de l’homme avait conféré à l’œuvre une originalité suffisante pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, conformément au droit chinois.

Par conséquent, la juridiction a statué que l’article réalisé de manière automatisée entrait dans le champ d’application de la protection conférée par le droit d’auteur et a prononcé une décision favorable à l’égard de Tencent, le développeur du système d’intelligence artificielle, reconnaissant que l’intervention des employés durant le processus créatif était assez significative pour conférer le monopole du texte à Tencent.

Nous mettons particulièrement en exergue la démarche du tribunal qui a distingué les créations automatisées et les œuvres issues d’un processus non automatisé, en considérant les divergences procédurales du processus créatif. Selon le juge, dans le cas d’espèce, l’œuvre automatisée émane des choix libres et créatifs des programmateurs au moment de la formation de l’IA, dont les décisions délibérées ont conduit postérieurement à la production automatisée du texte.

Après avoir analysé les deux premiers jugements concernant le statut des œuvres automatisées créées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle, nous nous pencherons sur le cas correspondant aux États-Unis.

Le 18 août 2023, la Cour de district de Columbia, aux États-Unis, a rendu l’une des premières décisions de jurisprudence de ce pays traitant de la reconnaissance des droits d’auteur pour les créations issues de systèmes d’intelligence artificielle. Ce jugement s’inscrit en continuité avec les directives émises par l’Office du Copyright des États-Unis, dont l’analyse fut détaillée en notre étude de février précédent : ["Zarya of the Dawn" et l’originalité des œuvres réalisées avec intelligence artificielle- >45373].

En effet, plusieurs mois après la position prise par l’Office du Copyright des États-Unis concernant la titularité des œuvres créées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle, nous voici à présent confrontés à une décision inédite, cette fois, émanant de l’arène judiciaire [4]. En l’occurrence, le plaignant, Stephen Thaler, est simultanément le développeur et le propriétaire d’un système informatique surnommé « la machine créative ».

Monsieur Thaler soutient que son appareil est un dispositif doté de la faculté de générer des images de manière totalement indépendante. Sur cette base, il a formulé une requête auprès de l’Office du Copyright des États-Unis, visant à obtenir la reconnaissance de son système computationnel en tant qu’auteur de l’œuvre picturale dénommée « Une entrée récente au paradis ». En outre, il a sollicité que ladite œuvre soit subsumée sous la catégorie des « works-made-for-hire » [5], se prévalant de la position d’« employeur » en vertu de sa propriété sur la machine, ce qui lui conférerait de facto la possession des droits d’auteur relatifs à l’image.

Néanmoins, l’office administratif a rejeté sa requête, invoquant que l’attribution de la qualité d’auteur ne pourrait être conférée qu’aux personnes physiques, réfutant ainsi toute éventualité d’élargir cette prérogative aux entités computationnelles. En riposte à cette décision, le requérant a avancé l’argument selon lequel le dispositif d’intelligence artificielle à l’origine de l’image devrait être « reconnu […] comme auteur lorsqu’il satisfait aux exigences de protection, avec les droits d’auteur revenant au propriétaire de l’IA » [6].

Cependant, l’autorité administrative en matière de copyright a ratifié sa décision.

Face à ce refus, Monsieur Thaler a porté l’affaire devant les tribunaux, qualifiant la décision de l’office comme « arbitraire, capricieuse, abusive et contraire à la loi » [7].

Cependant, dans un arrêt prononcé le 18 août 2023 par la juge Beryl Howell de la Cour de district de Columbia, le tribunal a rejeté la requête de Monsieur Thaler. Nous mettrons en exergue les aspects que nous jugeons les plus importants de cette décision.

Pour commencer, la juge a d’abord fait valoir que la législation sur le droit d’auteur est intrinsèquement conçue pour évoluer avec le temps. Cette flexibilité est explicitement ancrée dans la formulation actuelle de la législation états-unienne sur le droit d’auteur, qui précise que celui-ci protège les « œuvres originales de l’auteur fixées dans un support tangible d’expression, existant ou à venir » [8].

Ceci implique que le droit d’auteur est intentionnellement prévu s’adapter et embrasser les nouvelles modalités de création et les avancées technologiques.

Pour illustrer la manière dont le droit d’auteur s’applique aux créations à l’aide d’appareils ou de technologies, la juge a invoqué l’exemple de la photographie. Il est souligné que, bien qu’une photo soit capturée par un appareil mécanique tel qu’un appareil photo, elle bénéficie néanmoins de la protection du droit d’auteur, car le photographe (un être humain) exerce des choix artistiques. Ces prérogatives englobent des paramètres tels que l’orientation de la prise, la gestion de la lumière et des ombres, le choix du sujet, ainsi que d’autres facteurs qui incarnent la « composition intellectuelle originale » de l’auteur [9].

Ainsi, elle énonce que, dans l’esprit du droit états-unien, l’octroi de droits exclusifs sur cette propriété intellectuelle est destiné à promouvoir l’intérêt général en stimulant la créativité et l’innovation [10]. Voilà pourquoi le corpus législatif régissant le droit d’auteur a été rédigé, dans cette juridiction, en envisageant principalement l’agent humain créateur, plutôt que des agents non humains tels que des systèmes d’intelligence artificielle [11].

Sur la base de cette analyse, la juge a réaffirmé le principe de l’« autorat humain ».

Elle a invoqué des précédents judiciaires qui établissent que la nécessité d’un auteur humain constitue un fondement du droit d’auteur. Elle a évoqué des cas précédents où les juridictions ont rejeté la reconnaissance de droits d’auteur pour des œuvres sans auteur humain identifié, y compris des affaires avec des messages d’origine spirituelle et des créations attribuées à des animaux [12].

Ces considérations conduisent à la problématique de la protection de l’image au cœur du litige. La juge pose alors la question de la « mesure de l’intervention humaine » requise pour qu’une œuvre puisse prétendre à la protection par le droit d’auteur. Sur ce point, elle insiste sur la condition sine qua non d’une contribution créative humaine pour l’octroi de la protection juridique. Pour la cour, la simple utilisation d’un appareil ou d’une technologie dans le processus créatif n’est pas suffisante ; il est impératif que l’œuvre manifeste une empreinte significative de la personne physique [13].

La contradiction manifeste entre la déclaration initiale d’une création autonome par une machine et la revendication postérieure d’avoir dirigé l’intelligence artificielle constitue une discordance qui mine la prétention à une titularité primaire de l’œuvre. Par conséquent, la juge a considéré que les tentatives du demandeur pour reconstruire a posteriori le récit de création de l’œuvre afin de se conformer aux impératifs légaux du droit d’auteur s’avéraient contradictoires et ne pouvaient pas être admis comme fondement pour asseoir la contribution humaine requise pour la protection par le droit d’auteur [14].

Dans le jugement analysé, plusieurs éléments notables méritent d’être mis en lumière : d’une part, la confirmation du principe de l’ « autorat humain ». Comme l’énonce la juge dans cette affaire, une contribution créative de la part de l’individu revendiquant la titularité de l’œuvre est indispensable pour bénéficier de la protection juridique.

Comme nous l’avons souligné dans un précédent article [15], ce principe n’est rien d’autre que la concrétisation de la condition d’originalité. D’autre part, pour qu’une image, un texte ou une chanson faite au moyen de l’IA soient protégés par le droit d’auteur, ils ne doivent pas être le fruit d’un traitement algorithmique automatisé. Il est essentiel que l’œuvre découle des choix et des décisions du créateur.

Examinons maintenant ce que la Cour de cassation italienne a statué dans un arrêt récent sur la question.

1.3. Italie : RAI c/ Biancheri (16 janvier 2023).

Avant d’aborder le fond de l’arrêt, il est important de souligner que, nonobstant l’absence de mention explicite des termes « intelligence artificielle », la décision de justice concerne intrinsèquement les productions visuelles conçues au moyen de dispositifs d’IA.

L’affaire [16] qui a vu s’opposer Rai à Biancheri se présente comme une des premières décisions judiciaires en Europe à statuer sur la question des œuvres automatisées. Cette décision devrait servir de référence pour les litiges futurs liés aux créations produites par intelligence artificielle.

Dans cet ordre d’idée, la controverse judiciaire s’est articulé autour l’utilisation non autorisée d’une œuvre générée de manière automatisée. En l’espèce, la RAI (Radiotelevisione Italiana S.P.A.) a employé l’œuvre graphique de Chiara Biancheri intitulée « The scent of the night » comme toile de fond fixe pour le Festival de Sanremo en 2016 sans avoir obtenu l’autorisation de l’autrice.

Celle-ci était une illustration numérique florale de type fractal, caractérisée par la récurrence de motifs à diverses dimensions, générés automatiquement [17].

L’élaboration de cette œuvre s’est opérée au moyen d’un logiciel s’appuyant sur des séquences algorithmiques mathématiques pour sculpter l’architecture de l’illustration, ses coloris et ses particularités. Biancheri avait sélectionné un algorithme spécifique pour la création de l’image et a validé le produit final issu de l’ordinateur à travers des choix personnels qui ont conduit à l’œuvre finale [18].

En conséquence, l’artiste a saisi le Tribunal de Gênes, sollicitant réparation pour le préjudice subi du fait de l’exploitation non consentie de son œuvre. La RAI a réfuté cette demande devant la justice, contestant la caractérisation de l’image en tant qu’œuvre de l’esprit, en arguant que celle-ci avait été produite par un logiciel et n’était donc pas le résultat d’un processus créatif propre à son prétendu auteur [19].

Le Tribunal de Gênes a rendu un jugement favorable à Chiara Biancheri, reconnaissant sa titularité sur l’œuvre et statuant sur la violation des droits d’auteur imputable à la RAI.

Cette dernière a formulé un recours devant la Cour d’appel de Gênes, lequel fut rejeté. La cour a considéré que diverses preuves étayaient l’attribution de l’œuvre à Biancheri et a reconnu la nature créative de celle-ci (notamment à travers les choix réalisés par l’autrice), que la RAI avait d’ailleurs elle-même mise en valeur.

En raison de cette décision, la RAI a formé un pourvoi en cassation. Néanmoins, la Cour de cassation a refusé d’accueillir le recours présenté par la partie défenderesse.

La haute juridiction a justifié son arrêt en soulignant que l’œuvre en question n’était pas une simple reproduction d’un motif floral. En vérité, elle constitue une interprétation originale, ce qui lui conférait un mérite de protection juridique en tant qu’œuvre de l’esprit pour son caractère créatif.

La cour a accentué que, pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, il est essentiel que l’œuvre exprime la personnalité de son créateur, reflétant ses choix artistiques et ses facultés créatives. Elle a réitéré que l’originalité et la créativité sont des critères primordiaux pour obtenir cette protection.

Dès lors, la Cour de cassation a indiqué que la reconnaissance de l’emploi d’un logiciel pour créer l’image n’est pas en elle-même déterminante pour invalider le caractère créatif d’une œuvre. Il aurait été nécessaire de procéder à une analyse factuelle afin de déterminer dans quelle mesure l’outil logiciel avait subsumé le travail créatif de l’artiste l’employant.

En synthèse, bien que l’œuvre ait été élaborée au moyen d’un logiciel s’appuyant sur des algorithmes mathématiques, le tribunal a estimé que la démarche créative comportait une amplitude de choix et d’originalité suffisante pour conférer à l’œuvre une éligibilité à la protection conférée par le droit d’auteur.

Après avoir analysé divers jugements concernant des œuvres automatisées créées au moyen des systèmes d’intelligence artificielle, nous procéderons à l’examen des points communs identifiés dans les décisions examinées.

2. Les points de convergence entre les décisions de justice.

Les décisions juridiques révèlent à notre avis des lignes de convergence méritant une analyse détaillée. Trois aspects principaux se dégagent : d’abord, la maxime de l’« autorat humain » (2.1) et l’importance du choix en tant que critère de caractérisation de l’originalité de l’œuvre automatisée (2.2).

2.1. La consécration du principe d’« autorat humain ».

Pour commencer, chacun de ces jugements réitère, de manière directe et indirecte, le principe d’ « autorat humain ». Celui-ci établit, selon le juge états-unien, que le droit d’auteur est intrinsèquement conçu pour protéger les créations de l’esprit humain.

Par conséquent, la reconnaissance du titre d’auteur ne peut être attribué qu’aux personnes physiques, excluant de fait les machines ou toute autre entité non humaine de cette prérogative.

À cet égard, nous avons vu, dans l’affaire opposant Feilin à Baidu, que le juge chinois a examiné l’implication humaine dans l’élaboration du rapport produit automatiquement par un système d’intelligence artificielle. Le tribunal a alors conclu que le texte émanait principalement d’un processus algorithmique, ne révélant pas de véritable créativité humaine. De même, dans le cadre du procès opposant Tencent à Yingxun, le juge ne s’est pas penché sur la question de savoir si le système d’IA était en lui-même un auteur.

Au lieu de cela, l’analyse s’est concentrée sur l’apport des individus impliqués pour déterminer si l’œuvre résultante était le fruit de leur liberté et créativité et si elle rencontrait les critères d’originalité requis.

Le juge italien se positionne dans la même ligne en indiquant que l’utilisation d’un ordinateur pour créer une œuvre ne l’exclut pas automatiquement de la protection du droit d’auteur. Ce qui est crucial, c’est si l’œuvre reflète une expression personnelle et créative de l’auteur, et non simplement l’application d’un algorithme. Autrement dit, même si une œuvre découle d’un traitement algorithmique, le critère déterminant est de savoir si le résultat de cet algorithme, l’œuvre, a été modelé par les choix délibérés de l’opérateur humain manipulant la machine informatique.

Le juge états-unien a étendu son raisonnement en établissant que la législation sur le droit d’auteur avait été élaborée dans l’optique de promouvoir la créativité, l’innovation et l’intérêt collectif. Bien que cette perspective puisse diverger de celle des systèmes de droit civil tels que le système français, où l’auteur, en tant que créateur, est au cœur du dispositif juridique, il nous semble que le raisonnement de base reste identique tant dans les juridictions anglo-saxonnes que continentales : le droit d’auteur est conçu pour le bénéfice de l’être humain, et par conséquent, la titularité première d’une œuvre ne saurait revenir qu’à une personne physique.

La consécration judiciaire du postulat selon lequel l’auteur doit être un humain signe le déclin de la notion théorique autrefois en vogue de l’auteur électronique, qui avait atteint son zénith entre 2017 et 2018. En effet, au cours des cinq dernières années, l’idée d’octroyer des droits d’auteur aux systèmes d’intelligence artificielle a été jugée plausible par de nombreux auteurs. L’auteur de ces lignes a soulevé des objections contre cette théorie, mettant en lumière plusieurs aspects problématiques [20].

Cependant, les juridictions ont choisi de rejeter totalement cette hypothèse, statuant que seules les personnes physiques peuvent être reconnues comme auteurs d’œuvres intellectuelles. Nous estimons que la tendance persistera, rejetant catégoriquement l’idée d’accorder des droits d’auteur aux entités mécaniques et préservant invariablement l’auteur humain comme épicentre des droits d’auteur.

Ayant vu la première convergence, nous allons maintenant nous concentrer sur un aspect plus pragmatique : le choix est le facteur pour caractériser l’originalité des œuvres créées au moyen des systèmes d’IA.

2.2. Le choix : facteur de caractérisation de l’originalité de l’œuvre automatisée.

Le choix constitue un élément important dans la caractérisation de l’originalité d’une œuvre dans certains systèmes juridiques. Ainsi, la Cour de Justice de l’Union européenne, notamment dans les arrêts Infopaq [21] et Painer [22], a statué que les choix créatifs et non contraints de l’auteur sont essentiels à la détermination de l’originalité d’une œuvre.

Néanmoins, à partir de la lecture des décisions susmentionnées, on s’aperçoit que ce principe tend à se concrétiser dans les litiges afférents aux œuvres faites au moyen de systèmes d’intelligence artificielle.

Étant donné que la spécificité d’une œuvre automatisée réside dans le fait qu’une partie du processus créatif est, bien entendu, automatisée, nous avons observé, au sein des jugements prononcés par les juges chinois, une volonté marquée de discerner les actions émanant d’un traitement algorithmique de celles procédant d’une démarche humaine.

Cette distinction est essentielle pour établir si l’œuvre est uniquement le fruit du processus effectué par le système d’automatisation ou si elle est l’émanation de choix délibérés et substantiels de la personne physique qui ont présidé à son élaboration.

Dans le jugement rendu par la juge états-unienne, cette dernière n’a pas procédé à une analyse détaillée du processus de création de l’œuvre pour établir si elle découlait des choix de la partie requérante. Cette situation se justifie par le fait que l’auteur avait reconnu que les choix conduisant à la concrétisation de l’œuvre avaient été réalisés par la machine.

Cela ne signifie toutefois pas que le concept de choix soit absent de l’affaire en question. Il convient de relever que la juge a mentionné l’exemple de la photographie, notant que bien que la capture d’une image résulte de l’action d’appuyer sur le déclencheur de l’appareil, ce sont les éléments tels que l’angle de prise de vue ou la gestion de l’éclairage qui confèrent à l’œuvre son caractère créatif.

Par conséquent, le tribunal a reconnu que l’intervention humaine est déterminante pour accorder la titularité d’une œuvre automatisée, en estimant que celle-ci doit révéler une empreinte humaine significative.

Une empreinte qui, selon nous, se révèle dans les choix opérés par l’individu manipulant la machine. Ces choix ne doivent pas être banals, mais plutôt substantiels, de sorte que la personnalité du créateur se manifeste au travers de l’œuvre.

Enfin, nous observons que la Cour de cassation italienne a également déterminé qu’une œuvre réalisée au moyen d’un logiciel automatisé peut être protégé à condition que l’œuvre ait une intervention humaine significative. Dès lors, la cour a dit dans son arrêt que cette intervention devrait être analysé de manière factuelle.

Cette analyse se devrait réaliser à partir des choix effectués par la personne utilisant le système d’intelligence artificielle.

Toutefois, un défi majeur se profile pour les années à venir : la démonstration de l’intervention humaine significative. Prouver que la substance d’une œuvre automatisée provient des choix humains se révèle complexe, surtout lorsque l’opérateur du système manque de connaissances approfondies en informatique. De plus, le simple fait de rédiger une instruction de commande (« prompt ») ne saurait constituer une preuve irréfutable, car un « prompt » n’est, en essence, qu’une idée, qui ne bénéficie pas de la protection du droit d’auteur. Les modifications apportées aux productions de l’intelligence artificielle se doivent d’être d’une ampleur considérable.

Mais, la question émerge alors : à quel critère une modification peut-elle être jugée substantielle ?

Nous devrons nous en remettre à de futures décisions de justice pour clarifier ce point.

Efrain Fandiño,
Docteur en droit privé de l’Université Paris Cité

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Notes de l'article:

[1Ces affaires ont fait l’objet d’une étude approfondie dans le cadre de la thèse doctorale de l’auteur. Le présent texte en propose un résumé de ces propos qui pourront être consultés en intégralité : E. Fandiño Lopez, « Les œuvres automatisées à l’épreuve du droit d’auteur : réflexions sur les créations réalisées par des systèmes d’intelligence artificielle » [En ligne], Dir. C. Le Goffic, Paris : Université Paris Cité, thèse pour obtenir le diplôme de docteur en sciences juridiques - droit privé, 2023, Disponible sur :
https://theses.hal.science/tel-04120993v1. Consulté le 03/11/2023.

[2Cour d’internet de Beijing, 25 avr. 2019, réf. Jing 0491 Minchu n° 239. Disponible sur : https://www.bjinternetcourt.gov.cn/cac/zw/1556272978673.html, Obs. M. Chen, « Beijing Internet Court denies Copyright to works created solely by artificial intelligence », Journal of Intellectual property Law & Practice Vol. 14, n ° 8, 2019.

[3Tribunal populaire du district de Shenzhen, 24 déc., 2019, Tencent c/Yingxun Tech ; obs. J. Yoen Lee, « Artificial Intelligence Cases in China : Feilin v. Baidu and Tencent Shenzhen v. Shanghai Yingxin » [En ligne], China and WTO Review, 2021. Disponible sur : https://tinyurl.com/2nzttys2. Consulté le 03/11/2023.

[4Cour de district de Columbia, 18 août 2023, Thaler c/ USA Copyright Office, réf. n° 22-1564. Disponible sur : https://www.documentcloud.org/documents/23919666-thalervperlmutter?responsive=1&title=1.

[5Le terme « work-made-for-hire » désigne l’équivalent, dans le système juridique états-unien, des œuvres de commande, et entraîne des implications juridiques qui divergent de celles prévues par le droit français. Pour davantage de détails sur ces divergences, veuillez consulter E. Fandiño Lopez, « Les œuvres automatisées à l’épreuve du droit d’auteur : réflexions sur les créations réalisées par des systèmes d’intelligence artificielle », op. cit., p.p. 358-361.

[6Cour de district de Columbia, 18 août 2023, préc., p. 3.

[7Ibid, p.4.

[8Ibid, p. 8

[9Cour de district de Columbia, 18 août 2023, préc., p. 8. Pour voir les parallèles entre les œuvres automatisées et la photographie, v. E. Fandiño Lopez, « Les œuvres automatisées à l’épreuve du droit d’auteur : réflexions sur les créations réalisées par des systèmes d’intelligence artificielle », op. cit., p.p. 194 et s.

[10Cour de district de Columbia, 18 août 2023, préc., p. 10.

[11Ibid, p. 13.

[12Ibid, p. 12.

[13Ibid, p. 13.

[14Ibid, p.p. 13 y 14.

[15E. Fandiño Lopez, « "Zarya of the Dawn" et l’originalité des œuvres réalisées avec intelligence artificielle », préc.

[16Corte di Cassazione, 16 janvier 2023, RAI Radiotelevisione italiana S.P.A c/ Biancheri Chiara, réf. n° 2315/2021. Disponible sur : https://web.uniroma1.it/deap/sites/default/files/allegati/Cass_ord_1107_2023.pdf

[17Ibid, p. 2.

[18Ibid p. 6.

[19Ibid.

[20E. Fandiño Lopez, « Les œuvres automatisées à l’épreuve du droit d’auteur : réflexions sur les créations réalisées par des systèmes d’intelligence artificielle », op. cit., p.p. 235-312.

[21CJCE, 16 juil. 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening, obs. F. Pollaud-Dulian, « Note sous Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), 16 juillet 2009, Infopaq International contre Danske Dagblades Forenning, affaire C-5/08 », RTD Com n° 04, 2009, p.p. 715-717 ; L. Marino, « L’arrêt Infopaq : l’Europe s’affirme en droit d’auteur », Revue des affaires européennes, 2009, p.p. 361-365.

[22CJUE, 01 déc. 2011, C-145/10, obs. F. Pollaud-Dulian, « Portraits photographiques. Genre. Originalité », RTD Com n° 01, 2012, p. 109 ; F. Pollaud-Dulian, « Lithographie. Œuvre. Plaques à graver. Œuvre intermédiaire. Distinction propriété corporelle et incorporelle. Accession. Droit de divulgation. Droit de destination », RTD Com. 2012, p. 110 ; T. Revet, « Forme et matières dans l’œuvre artistique », RTD Civ., 2012, p. 131.

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