Les augmentations de capital réservées aux salariés : sortir de l'absurdité ! Par Stéphane Michel, Avocat

Les augmentations de capital réservées aux salariés : sortir de l’absurdité !

Par Stéphane Michel, Avocat

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L’article L. 225-129-6 du Code de commerce prévoit un double mécanisme d’incitation à l’actionnariat des salariés, d’une part, une obligation « permanente » de se prononcer sur la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés, lors de toutes décisions d’augmentation de capital en numéraire, et d’autre part, une obligation « triennale » de se prononcer sur la réalisation d’une telle augmentation de capital.

La motivation de cet article n’est pas d’apporter un jugement de valeur sur ces deux mécanismes apparemment généreux pour les salariés.

On peut simplement noter qu’en pratique, compte tenu du caractère trop systématique de cette obligation, la réponse des actionnaires est le plus souvent négative, ce qui ne contribue pas à améliorer les relations entre salariés et actionnaires, me semble-t-il.

Il convient toutefois d’attirer l’attention sur les incertitudes et certaines applications absurdes de ces deux dispositifs.

1. L’obligation « permanente » de se prononcer sur la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés

L’article L. 225-129-6, alinéa 1er prévoit que « lors de toute décision d’augmentation du capital par apport en numéraire, (…) l’assemblée générale extraordinaire doit se prononcer sur un projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation de capital dans les conditions prévues aux articles L. 3332-18 à L. 3332-24 du Code du travail », c’est-à-dire réservée aux salariés adhérant à un plan d’épargne entreprise (P.E.E.).

Il s’agit d’une obligation de proposer aux actionnaires une telle augmentation de capital réservée aux salariés ; bien évidemment, l’assemblée générale peut refuser cette décision d’augmentation de capital.

Il est également précisé que l’assemblée générale extraordinaire doit se prononcer sur un tel projet de résolution lorsqu’elle délègue sa compétence « pour réaliser » (curieusement, non pas « pour décider ») l’augmentation de capital, conformément à l’article L. 225-129-2 du Code de commerce.

On comprend que cette obligation de se prononcer sur une augmentation de capital réservée aux salariés s’applique systématiquement lors de toutes augmentations de capital en numéraire (auxquelles on assimile naturellement les augmentations par incorporation de créances).

(a) Hypothèses où la consultation des actionnaires est obligatoire

Cette obligation de proposer aux actionnaires une augmentation de capital réservée aux salariés (adhérents à un PEE) s’applique notamment :

-  en présence de toute augmentation de capital en numéraire des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées (sur renvoi de l’article L. 227-1, alinéa 3 du Code de commerce) et des sociétés en commandite par actions - SCA (sur renvoi de l’article L. 226-1, alinéa 2 du Code de commerce) ;

-  a priori, dans le cadre d’une attribution d’options de souscription d’actions ; on peut se demander à quel moment, l’obligation de proposer une augmentation de capital réservée aux salariés doit être réalisée : soit au moment de l’octroi des options de souscriptions d’actions (opinion généralement admise par la pratique), soit au moment de leur levée (dans la mesure où c’est à ce moment que l’augmentation de capital est réalisée) ;

-  même si la société n’a pas préalablement mis en place un PEE, ce qui oblige à proposer également aux actionnaires de créer un PEE au sein de la société ;

-  et en théorie (même si c’est totalement absurde et totalement incompris par les dirigeants de sociétés), dans l’hypothèse où la société n’a pas de salarié, la loi ne prévoyant pas d’exception en pareil cas et la plupart des praticiens appliquant le dispositif par précaution, compte tenu du risque de nullité de l’augmentation de capital.

(b) Hypothèses où la consultation des actionnaires est écartée

A contrario, cette obligation de consulter les actionnaires sur la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés n’a pas vocation à s’appliquer :

-  en présence d’une augmentation de capital en numéraire des sociétés d’une autre forme que les SA, SAS et SCA (SARL, SNC, sociétés civiles, etc.) ;

-  en présence d’une augmentation de capital par apport en nature ;

-  lors d’une augmentation de capital par incorporations de réserves ou de primes ;

-  lors de toute augmentation de capital résultant d’une fusion, d’une scission ou d’un apport partiel d’actif ;

-  dans le cas où l’augmentation de capital en numéraire « résulte d’une émission au préalable de valeurs mobilières donnant accès au capital » (article L. 225-129-6, alinéa 1er in fine) ;

-  et, à titre anecdotique, l’article 20 de la loi « MURCEF » du 11 décembre 2001 avait également écarté cette obligation de consultation des actionnaires, lorsque l’augmentation de capital était la conséquence d’une conversion du capital social ou de la valeur nominale des actions en euros, à condition que la conversion de la valeur nominale soit effectuée à la dizaine de centimes d’euro supérieure au plus.

Techniquement, cette dispense de la consultation des actionnaires par la loi était malheureuse, dans la mesure où, compte tenu de son impact totalement symbolique (conversion de la valeur nominale d’une action effectuée à la dizaine de centimes d’euro supérieure « au plus »), elle revient à renforcer le caractère contraignant de l’article L. 225-129-6 du Code de commerce. On en déduit : « pas de dispense sans la loi », même pour les sociétés dépourvues de salariés, notamment...

En-dehors de ces cas strictement énumérés, l’obligation de proposer aux actionnaires de voter une résolution en faveur d’une augmentation de capital réservée aux salariés adhérant à un PEE s’applique donc systématiquement.

(c) Sanctions

Le non respect de cette obligation contraignante des actionnaires est sanctionné par la nullité de la décision d’augmentation du capital (article L. 225-149-3, alinéa 3 du Code de commerce). Il s’agit a priori d’une nullité absolue rendant même recevable l’action intentée par les actionnaires minoritaires (T. com. Bordeaux, 15 nov. 2002, SA Valbel et a. c/SA Sema technologies).

Cette action en nullité se prescrit par trois mois (fort heureusement) à compter de l’assemblée générale suivant la décision d’augmentation de capital (article L. 235-9, alinéa 3 du Code de commerce). Bien évidemment, une assemblée générale ultérieure peut toujours se prononcer, aux fins de régularisation, sur un projet de résolution conforme à l’article L. 225-129-6 du Code de commerce.

(d) Le cas des émissions de valeurs mobilières donnant accès au capital

Dans le cas où l’augmentation de capital en numéraire « résulte d’une émission au préalable de valeurs mobilières donnant accès au capital » (article L. 225-129-6, alinéa 1er in fine du Code de commerce), l’obligation de consulter les actionnaires n’a pas lieu d’être, mais la question se pose de savoir si elle est également écartée au moment de la décision d’émettre des valeurs mobilières donnant accès au capital.

Il pourrait être logique de proposer aux actionnaires une résolution relative à une émission réservée aux salariés (adhérant à un PEE) si le titre initial est une action et d’écarter ce dispositif lorsque le titre initial n’est pas un titre de capital (obligation, option de souscription), même si le titre final est une action.

La pratique reste excessivement prudente et recommande, au regard notamment du risque de nullité de l’augmentation de capital (rappelons toutefois la durée plutôt courte de la prescription de trois mois…), d’appliquer cette obligation en cas d’émission de valeurs mobilières donnant accès à terme au capital, y compris lorsque le titre initial n’est pas une action.

2. L’obligation triennale de se prononcer sur la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés

En application de l’article L. 225-129-6, alinéa 2 du Code de commerce, une assemblée générale extraordinaire doit être convoquée tous les trois ans, pour se prononcer sur un projet de résolution tendant à réaliser une augmentation de capital réservée aux salariés adhérant à un PEE, si, au vu du rapport présenté à l’assemblée générale par le conseil d’administration ou le directoire en application de l’article L. 225-102 du Code de commerce, les actions détenues par le personnel de la société et des sociétés qui lui sont liées au sens de l’article L. 225-180 du Code de commerce représentent moins de 3 % du capital de la société.

Le non respect de cette obligation est sanctionné par une injonction de faire (article L. 225-149-3 du Code de commerce).

(a) Modalités de calcul du seuil des 3 % du capital

Afin de calculer le seuil des 3% du capital, il convient de tenir compte non seulement des actions détenues par les salariés de la société, mais aussi par salariés des sociétés qui lui sont liées au sens de l’article L. 225-180 du Code de commerce, c’est-à-dire :

-  les membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d’intérêt économique dont 10 % au moins du capital ou des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement, par la société (filiales au sens large) ;

-  les membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d’intérêt économique détenant, directement ou indirectement, au moins 10 % du capital ou des droits de vote de la société (sociétés mères au sens larges) ;

-  les membres du personnel salarié des sociétés ou des groupements d’intérêt économique dont 50 % au moins du capital ou des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement, par une société détenant elle-même, directement ou indirectement, au moins 50 % du capital de la société (sociétés sœurs).

(b) Champ d’application de l’obligation triennale

Cas des sociétés anonyme, des SAS et des sociétés en commandite par actions (SCA)

Sociétés anonymes

Bien évidemment, cette obligation triennale s’applique aux sociétés anonymes par définition.

Sociétés par actions simplifiées

Si l’article L. 225-129-6, alinéa 2 du Code de commerce est indiscutablement applicable aux SAS, sur renvoi de l’article L. 227-1, alinéa 3 du Code de commerce, il n’est pas de même de l’article L. 225-102 du Code de commerce, auquel renvoie l’article L. 225-129-6, alinéa 2 et dont l’application est exclue expressément pour les SAS.

En effet, la SAS n’est pas tenue d’établir le rapport visé par l’article L. 225-102 du Code de commerce ; il en ressort logiquement que le mécanisme de détection du seuil de 3% d’actionnariat des salariés ne s’applique pas aux SAS.

Le débat devrait être clos et la SAS bénéficierait, dans le meilleur des mondes, d’une mesure de simplification par rapport aux sociétés anonyme, ce qui est habituellement son signe distinctif.

Toutefois, deux réponses ministérielles ont adopté une position contraire (Rép. Brunel : A.N. 30-3-2004, page 2570 et Rép. Zochetto : Sénat 3-1-2008, page 38).

Pour résumer, alors que les deux parlementaires insistent sur le fait que les SAS ne sont pas tenues d’établir le rapport prévu par l’article L. 225-102 du Code de commerce, les réponses ministérielles se contentent de rappeler que l’article L. 225-129-6, alinéa 2 du Code de commerce est, quant à lui, applicable aux SAS.

On aura compris qu’il ne peut rien ressortir de bien convaincant de ce dialogue de sourds et, en particulier, du contenu de ces réponses ministérielles.

Pour couronner le tout, ces réponses ministérielles, dépourvues de valeur juridique en soi, sont confirmées par une position prudente de la Compagnie Nationale des commissaires aux comptes qui préfère retenir les positions ministérielles, dans l’attente d’une décision des Tribunaux (Bull. CNCC, décembre 2004, page 714).

Dont acte.

En l’état actuel de la pratique, l’obligation triennale de proposer une augmentation de capital réservée aux salariés adhérant à un PEE, tant que les salariés ne détiennent pas plus de 3% du capital de la société s’applique donc aux SAS, avec toutes les aberrations habituelles relatives à ce régime (même s’il n’existe pas de PEE au sein de la société, même si la société n’a pas de salarié, etc.).

Tout cela est absurde et va totalement à l’encontre de la philosophie simplificatrice de la SAS.

Sociétés en commandites par actions - SCA
L’obligation triennale de proposer aux actionnaires une augmentation de capital réservée aux salariés adhérant à un PEE) s’applique aux SCA, les articles L. 225-129-6 et L. 225-102 du Code de commerce leur étant applicable sur le renvoi de l’article L. 226-1, alinéa 2 du Code de commerce.

Sociétés d’une autre forme que les SA, SAS et SCA

Aucune disposition ne rend applicable cette obligation de consulter tous les trois ans les associés, sur la réalisation d’une augmentation de capital réservée aux salariés, aux sociétés d’une autre forme que les SA, SAS et SCA (SARL, SNC, sociétés civiles, etc.).

Stéphane Michel, Avocat

stephane.michel chez michel-avocats.com

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