L’assouplissement de la loi Littoral et le comblement des dents creuses.

Par Pierre Jean-Meire, Avocat.

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Explorer : # urbanisation # loi littoral # dents creuses # loi elan

Les tentatives d’assouplissement des contraintes la loi Littoral, par l’ouverture à l’urbanisation des dents creuses ont été nombreuses. Plusieurs parlementaires, par le biais de propositions de loi, ont tenté de faire infléchir en ce sens, l’obligation d’urbaniser en continuité avec les agglomérations et les villages, prévue à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. Par ailleurs, des élus locaux ont essayé d’intégrer dans leurs documents d’urbanisme, notamment dans les SCOT, des dispositions de « transposition » à l’échelle locale de cette disposition pour permettre le comblement des dents creuses.
Ces tentatives avaient toujours échoué.
C’est finalement l’article 42 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », qui autorisera l’urbanisation des dents creuses, en modifiant significativement cet article L. 121-8.

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L’obligation d’extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées, prévue à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, est sans doute la règle la plus connue de la loi Littoral.

Le fait qu’elle soit applicable sur l’intégralité du territoire communal, indépendamment de la localisation du projet de construction par rapport au littoral, a sans doute largement contribué à cette renommée.

En vertu de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme (auparavant L. 146-4-I), dans les communes littorales « l’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants (…) ».

Très vite la question s’est posée de savoir ce que recouvrait ces notions juridiques d’agglomération et de village.

Il faudra cependant attendre vingt ans pour que le Conseil d’État juge « qu’il résulte de ces dispositions (L. 121-8 du Code de l’urbanisme) que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » [1].

Une instruction gouvernementale du 7 décembre 2015 avait également apporté des précisions sur ces notions. Selon cette instruction, l’agglomération se définit comme : « un ensemble à caractère urbain composé de quartiers centraux d’une densité relativement importante comprenant un centre-ville ou un bourg et des quartiers de densité moindre présentant une continuité dans le tissu urbain ». Par ailleurs, elle définit un village comme « un noyau traditionnel, assez important pour avoir une vie propre tout au long de l’année [qui] se distingue du hameau par une taille plus importante et par le fait qu’il accueille encore ou a accueilli des éléments de vie collective, une place de village, une église, quelques commerces de proximité ou services publics, même si ces derniers n’existent plus compte tenu de l’évolution des modes de vie » [2].

Avant l’adoption de l’article 42 de la loi ELAN, les choses étaient relativement simples.

Soit le terrain en cause était situé en continuité avec une agglomération ou un village, et alors son urbanisation était possible.

Soit, tel n’était pas le cas, et la parcelle était totalement inconstructible.

La loi ELAN est venue prévoir un assouplissement pour permettre, en dehors des agglomérations et villages, l’urbanisation des dents creuses dans les secteurs déjà urbanisés.

Qu’est-ce qu’une dent creuse ?

Le concept urbanistique de dent creuse n’est pas uniquement lié à la loi Littoral.

Il s’agit d’une notion plus large, qui n’a pas véritablement de définition juridique.

Les dents creuses sont des parcelles vierges, d’une superficie relativement modeste, entourées de constructions sur ses côtés.

Ainsi, l’urbanisation d’une dent creuse ne conduit en principe pas à un étalement urbain. Cela signifie que l’enveloppe du bâti environnant (le hameau ou encore le lieu-dit dans lequel s’insère la parcelle) n’est pas augmentée du fait de la nouvelle construction.

L’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme a pour objectif de lutter contre le mitage urbain, c’est-à-dire la dispersion anarchique des constructions dans le paysage.

Il oblige à un regroupement des immeubles et à garantir la cohérence de l’urbanisation.

L’assouplissement de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme par la loi ELAN se situe donc dans le prolongement de l’esprit de cette disposition.

Comment la loi ELAN permet l’urbanisation des dents creuses hors agglomération et village ?

Dès lors que la dent creuse était située dans une agglomération ou un village, la loi Littoral n’a jamais empêchée son urbanisation.

En situation inverse, quelques jurisprudences administratives de première instance avaient, pendant un temps, semblé admettre que des dents creuses puissent faire l’objet d’une urbanisation.

D’après ces jurisprudences, dès lors qu’elle ne constituait pas une augmentation de l’enveloppe bâtie, le comblement d’une dent creuse n’était pas considéré comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Ce courant jurisprudentiel a été censuré par les juges administratifs d’appel [3] revenant alors à une conception beaucoup plus stricte et littérale de l’article L. 121-8 précité.

En conséquence, hors agglomération et village, les dents creuses étaient inconstructibles, quand bien même elles étaient situées à plusieurs kilomètres du littoral.

Le législateur est alors intervenu avec l’article 42 de la loi ELAN pour prévoir, par une modification des articles L. 121-3 et L. 121-8 du Code de l’urbanisme, la possibilité de combler les dents creuses hors agglomération ou village.

Aux termes de la nouvelle rédaction de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme « dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages (…), des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti ».

Ainsi désormais, en dehors des agglomérations ou villages, dans des secteurs déjà urbanisés, les dents creuses sont rendues constructibles.

Toujours selon le législateur « ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

Dans le cadre des travaux parlementaires, ces secteurs urbanisés étaient également qualifiés de secteur urbain intermédiaire.

Le nombre de construction ne semble pas être un critère à prendre en compte pour qualifier juridique une zone de « secteur urbanisé » au sens du nouvel article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

L’utilisation de la locution « entre autres » laisse toutefois une porte ouverte pour permettre, notamment aux magistrats administratifs, d’exiger un certain nombre de construction pour apposer la qualification de secteur déjà urbanisé.

Par ailleurs, « l’autorisation d’urbanisme est soumise pour avis à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Elle est refusée lorsque ces constructions et installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages ».

Enfin, le législateur a prévu que ces secteurs déjà urbanisés devront être « identifiés par le schéma de cohérence territoriale (SCOT) et délimités par le plan local d’urbanisme (PLU) ».

Faudra-t-il attendre un changement du SCOT ou du PLU pour bénéficier de cet assouplissement de la loi Littoral ?

Afin de ne pas être contraint d’attendre une modification des documents d’urbanisme pour bénéficier de cet assouplissement de la loi Littoral, le législateur est venu prévoir un régime transitoire.

Ainsi, aux termes de l’article 42 III de la loi ELAN et « jusqu’au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, dans les secteurs mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, mais non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d’urbanisme en l’absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la présente loi ».

En conséquence, il est possible dès aujourd’hui de bénéficier de l’autorisation de combler les dents creuses dans les secteurs urbanisés des communes littorales, sans attendre une modification du SCOT ou du PLU.

Il suffit de déposer, par exemple, une demande de permis de construire ou de certificat d’urbanisme en indiquant le souhait de se prévaloir des nouvelles dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme et de l’article 42 III de la loi ELAN.

Le cas échéant, vous pouvez avoir recours aux services d’un avocat, au stade de l’instruction de ces demandes pour garantir que la commune ou l’intercommunalité prendra bien en compte ces nouvelles dispositions.

En outre, en cas d’arrêté de refus, vous avez la possibilité de le contester devant les juridictions administratives, en ayant recours à l’assistance et à l’expertise d’un avocat spécialisé dans le contentieux de l’urbanisme et de la loi Littoral.

Cabinet d\’avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE
Avocat au Barreau de Nantes
www.olex-avocat.com
https://twitter.com/MeJEANMEIRE

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Notes de l'article:

[1CE 9 novembre 2015 Commune de Porto Vecchio n° 372531, V. auparavant CE 27 septembre 2006 Commune du Lavandou n° 275924.

[2Instruction du Gouvernement du 7 décembre 2015 Annexe relative à l’extension de l’urbanisation en continuité.

[3V. notamment CAA Nantes 11 octobre 2013 Commune de Landéda n° 12NT01355.

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Discussions en cours :

  • je me suis vu refuser un permis de construire dans un hameau , sous prétexte qu’avec la loi ELAN , la construction dans les dents creuse n’est plus toléré ; hors après lecture de votre article , il me semble que cette décision soit contestable ; quelle procédure doit ont mettre en oeuvre afin de retrouver la possibilité de construire sur ce terrain .

    • par Maître Pierre JEAN-MEIRE , Le 27 mars 2020 à 17:27

      Cher Monsieur,

      Je fais suite au message que vous avez posté sur le site village de la justice.

      Je vous invite à me contacter pour que nous fassions le point ensemble sur votre situation.

      Dans cette attente.
      Bien cordialement.
      Maître Pierre JEAN-MEIRE

    • par duc0007@orange.fr , Le 17 septembre 2023 à 15:19

      Bonjour Gildas OLLIVIER
      Si "village justice" qui a toujours d’excellentes publications, veut bien publier ma réponse : combler les espaces libres dans un hameau ne fait pas une politique d’aménagement du territoire . Toute construction nouvelle a un impact sur les ressources et sur l’environnement ; vous pouvez lire les lois relative à la lutte contre l’artificialisation des sols pour une approche globale cohérente des politiques publiques : il vaut mieux densifier (construire en hauteur), plutôt en extension des assez grandes urbanisations existantes pour mieux préserver les sol ; l’eau, la terre, les prairies, les forêts des puits de carbone qui luttent efficacement contre les effets du réchauffement climatique.
      Signé :un propriétaire terrain citoyen écologue qui a renoncé à bâtir sur ses propres terres pour préserver l’environnement

  • par HERVE , Le 6 mars 2020 à 18:38

    j’ai fait l’acquisition d’un terrain constructible en 2004 avec un certificat urbanisme ,j’avais l’intention de construire un pavillon pour ma retraite. Aujourd’hui je ne peux rien faire avec ce terrain celui ci se trouvant dans un espace proche du rivage .La loi littoral datant de 1986 comment se fait il q’une commune a signé un cu sur ce terrain ,Je pense que je vais demander les services d’un avocat.

  • Dernière réponse : 5 janvier 2020 à 23:11
    par Pierre-Franz LECOCQ , Le 14 mai 2019 à 18:02

    cela est très clair , merci maitre pour cet éclaircisssement , en mairie cela n’a pas l’air aussi clair , on a l’impression qu’ils trainent les sabots sans vouloir de changement , et qu’il va falloir les bousculer un peu pour voir le changement dans la loi .

    • par kermorgant , Le 25 mai 2019 à 13:03

      oui en effet maitre c’est trés clair. hélas allez demander en mairie un certificat d’urbanisme sous couvert des nouvelles dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme et de l’article 42 III de la loi ELAN. . et bien bon courage !!!! la réponse est déja connu c’est non !! il y a de la mauvaise volonté , de la mauvaise fois a tous les étages maires , scott e,tc ... !!! la colére est grande !! la loi élan n’a rien absolument rien changé sur le terrain !!

    • par LE BERRE Jean-Pierre , Le 25 juin 2019 à 09:19

      Bonjour,
      Sur Quimper, nous sommes concernés par la loi ALLUR et non la loi littoral .Cet assouplissement concernant le comblement des dents creuses,peut il s’appliquer sur Quimper sachant que le nouveau PLU a été adopté au printemps 2018 ?

      Cordialement

    • par DUVAL , Le 4 septembre 2019 à 12:41

      Bonjour,

      Le maire nous a accordé un permis de construire tacite pour la construction de notre maison mais la préfecture demande au maire de le retiré.
      Le terrain a été acheté et sur mon acte de notaire est inscrit "terrain a bâtir " ce qui ne semble plus être le cas aujourd’hui .
      a noter que le permis d’aménagé a été fait en juin 2018 donc avant la loi et que le PLU a été suivi à la lettre
      comment je peux récupérer mon argent ou obtenir le permis de construire
      Merci d’avance

    • par Maître JEAN-MEIRE , Le 17 septembre 2019 à 18:21

      Merci pour vos commentaires.
      N’hésitez pas à me contacter par mail pour toute question (https://www.avocat-jean-meire.com/contact)
      La première prise de contact est toujours gratuite.
      Bien cordialement
      Maître JEAN-MEIRE

    • par ERIC SCARANO , Le 1er octobre 2019 à 16:23

      Bonjour

      Maire d’une commune littorale normande en cours d’élaboration d’un PLUI, je me heurte à une interprétation des services de l’ Etat qui reste très dure et qui continuent d’exiger une continuité d’urbanisation et excluent toute discontinuité ;
      Ex : Une rue séparée d’une autre par un parc est considérée comme isolée.
      L’esprit de la loi ELAN qui demande bien sur de la raison et de la responsabilité semble encore ignoré de l’administration.

    • par Paul N. , Le 5 janvier 2020 à 23:11

      Bonjour,

      J’ai eu la même chose avec un terrain acheté constructible et 6 mois après il est devenu inconstructible pour la Préfecture à partir de janvier 2018.
      Cela est malheureusement purement politique au regard des dates et de la nomination des nouveaux préfets par notre cher président EM.
      Dans la pratique ils bloquent des familles entières depuis déjà plus de 2 ans, c’est un scandale ! Je ne vais pas me laisser faire, une question au gouvernement sera poser prochainement par le Député du Médoc, j’ai saisie défenseur des droits et je monte une association pour rassembler des personnes qui se trouvent dans la même situation que moi afin d’attaquer l’Etat. La rétroactivité de la loi Elan est interdite.
      Il y a aura JUSTICE !

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