Arbres en limite de propriété et transfert : de l'importance des clauses de désignation et de protection. Par Benoît Hartenstein, Notaire.

Arbres en limite de propriété et transfert : de l’importance des clauses de désignation et de protection.

Benoît Hartenstein, Notaire à Metzervisse.

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Explorer : # protection des arbres # transfert de propriété # contrat privé # droit immobilier

Les arbres, êtres vivants au rôle fondamental dans l’équilibre écologique de notre planète, ne bénéficient en France pour le moment, d’aucun statut juridique général protecteur.
Dans l’attente d’une mise à jour impérieuse de la loi, chacun peut y remédier, volontairement, à son niveau.
Le droit permet de réaliser des actes concrets de protection des arbres en limite de propriété ou encore à l’occasion des transferts de propriété de biens immobiliers.

NDLR : Article initialement publié dans la revue Defrénois : DEF 16 févr. 2023, n° DEF209j3 [1]

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I. Préserver juridiquement les arbres en limite de propriété.

Les racines des arbres ou leurs branches s’étendent souvent bien au-delà des limites de propriété établies artificiellement par l’Homme. On ne maîtrise pas non plus la proximité, ni la hauteur des arbres, par rapport aux propriétés voisines.

Il est possible, par contrat privé, de concilier ces évidences naturelles avec les principes (surannés) de notre Code civil.
L’alinéa 1ᵉʳ de l’article 672 du Code civil précise en effet que :

« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre (...) ».

Par le mot « titre » , il faut ici entendre « contrat entre deux parties ». Une simple lettre entre deux voisins a même été reconnue, à titre dérogatoire, par la cour d’appel de Paris [2].

L’article 673 du Code civil ajoute que :

« Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. (...) Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible ».

Si les droits résultant de cet article sont imprescriptibles, ils ne sont pas d’ordre public. Il est ainsi possible d’y déroger, par contrat.

Des propriétaires voisins, soucieux de préserver les arbres limitrophes et ayant la chance d’entretenir entre eux de bonnes relations, peuvent ainsi, par contrat, renoncer réciproquement au droit de couper eux-mêmes les racines empiétant sur leur terrain et/ou à demander la coupe des branches surplombant leur propriété – tant qu’il n’y a pas de danger avéré. Sous cette même réserve, ils peuvent encore s’interdire de demander la réduction de la hauteur des arbres ou l’arrachage des arbres voisins.
En signant un tel acte, ces personnes responsables et engagées reconnaîtront leur absence de préjudice ou l’acceptation de leur préjudice personnel supportable, quand bien même les racines ou les branches avancent sur leurs fonds.
Sur la base d’un acte notarié, ces renonciations feront l’objet d’une publicité foncière, garantissant leur opposabilité aux propriétaires à venir.

Rappelons que ces protections contractuelles devront néanmoins s’effacer si les arbres en question viennent un jour, malheureusement, causer des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage. Les tribunaux y veillent, en présence de dommages excessifs démontrés.

La volonté contractuelle de protection des arbres peut encore trouver à s’exprimer, à l’occasion des transferts de propriété de biens immobiliers, notamment s’agissant des maisons.

II. Préserver juridiquement les arbres à l’occasion des transferts de propriété.

En France, chaque année, sur tout le territoire national, les transferts de propriété de maisons où se trouvent des arbres se comptent par millions ; autant d’occasions de sensibiliser à leur présence.

A. Identifier les arbres lors des transferts de propriété.

L’une des nombreuses propositions formulées par le CAUE 77 (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Seine-et-Marne) et l’association ARBRES (Pour Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde), vise, précisément, à inciter à l’identification des arbres, lors des transferts de propriété de biens immobiliers.
Dans tout acte de transfert de propriété de maison avec des arbres, la clause de désignation du bien immobilier pourrait très aisément et sans aucune difficulté être rédigée comme suit :
« Désignation du bien :
Une maison à usage d’habitation située à (...), comprenant :

  • au sous-sol, (...) ;
  • au rez-de-chaussée, (...) ;
  • à l’étage, (...).
    Edifiée sur un terrain cadastré : Ban de (...).
    Section n° (...), pour (...) ares et (...) ca.
    Sur lequel terrain se trouvent enracinés au sud, notamment, un cerisier, et au nord-est un magnolia et un saule pleureur.
     »

Le simple fait de mentionner la présence des arbres les plus significatifs témoignerait déjà d’une forme de reconnaissance et de considération à leur égard, en tant qu’éléments naturels en place, au même titre que les artefacts humains se trouvant sur le bien objet de la transmission.
L’identification des arbres pourrait même déjà figurer en amont des transferts de propriété, dans les offres de vente ou les mandats de vente.
À l’appui de la rédaction de la clause de désignation, des photographies des arbres en question pourraient être annexées aux actes, pour illustration, valorisant concrètement le patrimoine végétal transmis avec les maisons.

Mentionner la présence des arbres au paragraphe « désignation du bien » devrait devenir un réflexe, tout comme celui de mentionner la présence de « biens meubles », tels des éléments de cuisine ou de salle de bains, pour diminuer la base imposable des droits de mutation. On indique ainsi la présence de planches de bois débitées et assemblées pour le simple rangement d’objets du quotidien.
Ne serait-il pas aussi souhaitable de mentionner la présence des arbres encore vivants sur les terrains transmis, sachant qu’ils nous procurent gratuitement maintien et nourriture des sols, captation du gaz carbonique (facteur du réchauffement climatique), production d’oxygène pur, ombre et fraîcheur, abris pour les oiseaux et les insectes pollinisateurs, barrière de bruit, bienfaits pour notre santé physique et psychique ?

Aujourd’hui, un diagnostic de performance énergétique, propre aux caractéristiques environnementales des maisons transmises, est annexé aux actes de vente.
Ne pourrait-on pas également faire mention dans ces mêmes diagnostics de la présence des principaux arbres se trouvant sur la propriété, avec indication des bienfaits essentiels qu’ils offrent tant aux habitants des lieux qu’à tous ceux alentours – se trouvant bien au-delà des limites du terrain transmis ?

Songeons encore à l’impact psychologique bénéfique, quand des dizaines d’années plus tard, les lointains ayants droit des parties viendront à ressortir les actes notariés, photographies d’arbres à l’appui. Ils pourront comparer sur le terrain leur évolution et mesurer concrètement qu’ils nous dépassent dans l’espace et dans le temps ; raison de plus de les respecter en tant que tel.

B. Le maintien et la conservation des arbres.

La simple mention de la présence des arbres dans les actes de transfert de propriété de biens immobiliers serait déjà une reconnaissance minimale de bon sens de leur présence vitale pour nous.

À charge morale ou juridique de les conserver et de les rendre.

Sur ce dernier point, rappelons qu’il est déjà possible juridiquement pour les plus responsables d’imposer le maintien et la conservation des arbres lors des transferts de propriété [3].

Un exemple récent emblématique nous vient du département de la Loire. Une famille a vendu, le 31 janvier 2023, un terrain à construire à un promoteur ; celui-ci a pris l’engagement, devant notaire, de maintenir et de conserver un noyer de près de 120 ans. Les futurs habitants pourront profiter des nombreux bienfaits essentiels de cet arbre plus que centenaire. Un très bel exemple qui ne manquera pas d’en appeler d’autres.

Compte tenu du réchauffement climatique, la végétalisation des villes et des villages est l’une des solutions pour nous protéger des impacts à venir. Les maisons pourvues d’arbres bienfaiteurs vont prendre de la valeur. Nous avons donc tous intérêt à prendre les arbres en considération et à les respecter, y compris sur le plan juridique.

Dans certains pays, comme en Inde par exemple, tout est déjà fait pour favoriser l’intégration des arbres dans les projets de construction publics ou privés. Les routes sont déviées pour ne pas avoir à les abattre ; les murs des maisons sont construits autour d’eux, pour les inclure et les conserver.
Pour les Hindous en particulier, les arbres sont sacrés ; au-delà d’être vivants, les arbres sont considérés comme des êtres sensibles ayant même une conscience...
En France, si nous sommes encore très très loin de cette dévotion envers les arbres, cessons enfin de toute urgence, au XXIe siècle, d’être le meilleur ennemi de notre meilleur ami.
Acte I...

Pour aller plus loin...

  • Sur le droit imprescriptible d’élagage établi par l’article 673 du Code civil, v. Cass. 3e civ, 30 juin 2010, n°09-16257 : Bull. civ. III, n°137 ;
  • B. Hartenstein, La protection des arbres lors de la vente de l’immeuble, (DEF21 janv. 2021, n°DEF167j4) ;
  • Sur le projet de proposition visant l’amélioration de la législation des arbres hors forêts de l’association ARBRES et du CAUE 77, voir « Améliorer la législation des arbres hors forêts » (DEF 14 janv. 2021, n° DEF167m1).

Cet article a été rédigé avec le soutien de professionnels du droit :
Chambre départementale des notaires des Alpes-Maritimes, Chambre départementale des notaires de la Moselle, Katia Blairon, professeur de Droit à l’Université de Lorraine, Samuel Camisan, notaire à Fegersheim, Catherine Claudel, notaire à Courcelles-Chaussy, Pascal Conradt, notaire à Rombas, Florence Cornier, notaire à Albestroff, Laure Demey, juriste collectivité territoriale, Anouck Ferté-Devin, avocate à Vannes, Justine Gérard-Costella, notaire à Jarny, Gilbert Graziosi, notaire à Vigy, Pierre Hasser, notaire à Mondelange, Myriam Junger, notaire à Hagondange, Nadège Karpp, notaire à Freyming-Merlebach, Gilles Kimmel, notaire à Bischeim, Mickaël Kleyer, notaire à Nice, Pierre Mazerand, notaire à Creutzwald, Laurent Mazeyrie, notaire à Paris, Edith Michaux, notaire à Mondelange, Dominique Petit, notaire à Bordeaux, Natacha Petit, notaire à Cattenom, Gilles Raoul-Cormeil, professeur de Droit à l’Université de Caen Normandie, Marion Thiebaut, notaire à Mulhouse, Emmanuelle Thiriet, notaire à Montigny-lès-Metz, Ophélie Touze, doctorante à l’Université de Rouen et juriste au CAUE 77, Marine Yzquierdo, avocate au barreau de Paris.

Benoît Hartenstein, Notaire à Metzervisse.

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Notes de l'article:

[2CA Paris, 7 mai 2009, n° 05/10067.

[3V. à ce sujet l’article « Protection des arbres : une nouvelle voie juridique qui s’ouvre et que chacun peut emprunter », - n° 52/53, 30 juin/3 juill. 2020

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