Et sans que cela n’émeuve qui que soit, au Cameroun, l’on glisse subtilement mais fort indiscutablement d’un ordre juridique apparemment articulé à un désordre juridique accepté.
La Constitution camerounaise semble n’avoir jamais été le mur infranchissable à l’illégalité et aux pratiques juridiquement irrationnelles. Elle paraît avoir de tout temps été, un écran de fumée sur lequel, on souffle quotidiennement au gré de nos activités.
Il s’agit d’un problème qui commence sérieusement à semer l’inquiétude et amène à se poser la question de droit : que reste-t-il en 2023 de l’autorité de la Constitution ? La Constitution camerounaise a-t-elle jamais été au sommet de l’ordre juridique ?S’agit-il d’une commodité ou d’une réalité ?
En effet, une réflexion plus serrée sur la question aboutit à illustrer tout ce qui précède.
La première Constitution dont s’est dotée le territoire camerounais anciennement sous administration française a été celle du 04 mars 1960 laquelle a été sortie de vigueur au bénéfice de la Constitution du 1er octobre 1961 créant l’État fédéral, énonçait à son article 23 que : « la loi est votée par l’Assemblée nationale dans les conditions prévues au présent titre. Sont du domaine de la loi : […] - la procédure civile […] ».
L’article 24 (1) de poursuivre : « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ».
Ces deux énonciations constitutionnelles ont traversé les âges et aujourd’hui près de 63 ans après, elles demeurent en vigueur par le truchement des articles 26 (c.6) et 27 de la Constitution du 02 juin 1972 révisée par la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 modifiée et complétée par la Loi n° 2008/001 du 14avril 2008.
A la vérité, de tout temps, la procédure civile camerounaise enseignée et pratiquée n’a jamais été questionnée du point de vue de sa constitutionnalité. Le Code de Procédure Civile et Commerciale qui est cité et appliqué avec enthousiasme et assurance n’est nul autre qu’un règlement, en ce qu’il est conformément aux termes de son article 1er :
« le présent arrêté, qui sera exécuté sous le titre "Code de Procédure Civile et Commerciale ", codifie les dispositions des décrets relatifs à la procédure civile et commerciale devant les Tribunaux français du Cameroun et réglemente, en exécution de l’article 56 du décret du 27 novembre 1947, les matières non prévues auxdits décrets ».
Se sont donc toujours rendus complices de la violation ostentatoire et somme toute « normale », des articles 23 et 24 de la Constitution de 1960 devenus 26 et 27 de celle de 1972, les professionnels du droit et les détenteurs du savoir théorique.
La procédure civile relève du domaine de la Loi. Qu’est-ce qui justifie que six décennies après que la Constitution n’ait de cesse de le consacrer, le législateur ne se soit pas arrimé.
N’est-ce pas là, une banalisation de l’autorité de la Constitution ? La Constitution camerounaise est-elle matériellement au sommet de la pyramide normative ? Des questions qui sont posées en répétition au regard du caractère incompréhensif d’une telle ignominie juridique survivante depuis l’accession à la souveraineté du Cameroun.
Par conséquent, c’est une évidence solaire en dépit d’un survol analytique, que toutes les décisions de justice rendues en application du Code de Procédure Civile et Commerciale sont inconstitutionnelles et mettent inéluctablement en péril la structure même de l’ordre juridique camerounais surtout lorsque la Cour Suprême accorde son onction absolutiste à une telle pratique.
Certes, nous sommes face à une vérité glaciale, toutefois, il y a lieu de souligner que le pouvoir de changer les choses est en nous, il faut juste passer à l’action.
Le Ministère de la Justice pris en sa direction de la législation, laquelle est chargée de « l’élaboration des projets de textes législatifs et réglementaires en matière civile […] » (Cf. article 24 (1) du Décret n° 2012/389 du 18 septembre 2012 portant organisation du Ministère de la Justice), devrait pouvoir soumettre au Président de la République, un projet de Loi portant Code de Procédure Civile et Commerciale. À défaut, les parlementaires selon les formes prévues aux articles 29 et suivants de la Constitution en vigueur.
Simultanément, les juridictions doivent laisser inappliquées les prescriptions de l’actuel Code de Procédure Civile et Commerciale et les enseignants de droit, s’abstenir de distiller une règle juridique invalide dans l’ordre juridique camerounais car, cela est contradictoire avec la hiérarchie des normes enseignée dans le cours d’ « introduction au droit » programmé au niveau 1 de toutes les facultés de droit camerounaises.
D’aucuns, à la lecture de ce précédent paragraphe estimeront que c’est utopique d’envisager que l’on n’applique pas ce Code de Procédure Civile et Commerciale, au regard des dispositions de l’article 4 du Code civil punissant le déni de justice et des mécanismes de responsabilité administrative (mauvais fonctionnement du service public de la justice) ou pénale (refus d’un service dû - article 148 du Code pénal).
Seulement, dans ces hypothèses, il sied de noter que l’inaction des administrations et de ses agents ne saurait être sanctionnée parce qu’il y a un phénomène de neutralisation automatique des micro-ensembles normatifs dans l’ordre juridique.
L’inaction étant adossée sur l’inconstitutionnalité manifeste du texte à appliquer. Et certainement, ce blocage de l’ordre juridique déteindra sur l’équilibre social qui sera indubitablement rompu, provoquant par la même occasion la sortie du législateur de son coma sexagénaire.
La Constitution camerounaise a mal à son autorité, remédions y.
Discussions en cours :
Belle plume. Merci pour cette réflexion.
Merci d’avoir pris de votre temps pour lire ces lignes.
Je pense qu’il ne suffit pas de citer les dispositions du corps de la Constitution de 1960 pour conclure - à mon sens hâtivement - à l’inconstitutionnalité de la procédure civile et commerciale camerounaise. Il est tout aussi important de préciser que cette Constitution intervient dans un contexte d’indépendance législative, mais aussi de préservation des acquis juridiques.
C’est ainsi que l’article 51 de la Constitution du 4 mars 1960 prévoit que la législation résultant des lois, décrets et règlements applicables au Cameroun à la date de prise d’effet de la présente Constitution reste en vigueur dans ses dispositions qui ne sont pas contraires aux stipulations de celle-ci tant qu’elle n’aura pas été modifiée par la loi ou par des textes réglementaires pris par le Gouvernement dans le domaine de sa compétence.
Il est donc clair que le Constituant camerounais a opté pour une mise en œuvre progressive des textes juridiques. Aucune réforme de la procédure civile n’étant intervenue postérieurement à l’adoption de cette constitution, le Code de procédure civile et commerciale, bien que résultant d’un arrêté, est conforme à la Constitution (sauf si certaines dispositions particulières sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution).
Sur le fond, je regrette avec vous que, plus d’un demi siècle après les indépendances, le législateur n’a pas songé à remettre ce texte sur le métier afin de l’adapter aux réalités sociales contemporaines. Le Code de procédure civile et commerciale Cameroun appartient sûrement et incontestablement à un autre âge !