Étymologiquement, le terme « sépulture » vient du latin sepultura qui signifie « derniers devoirs ». La sépulture peut alors recouvrir l’action de mettre un défunt en terre [1]. En la matière, la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles dispose que toute personne, majeure ou mineure émancipée, peut « régler les conditions de ses funérailles […] ». Cependant, cette liberté est encadrée. En effet, l’article L2223-19 du Code général des collectivités territoriales énonce que le service extérieur des pompes funèbres prévoit « la fourniture des housses, des cercueils […] ainsi que des urnes cinéraires ».
Ainsi, la loi française n’admet que deux modes de sépultures [2] : l’inhumation et la crémation (il convient de relever qu’il existe une autre destination du cadavre - qui ne sera pas ici l’objet de notre analyse - le don de corps à la science [3].
Tandis que l’on assiste, ces dernières années, à une prise de conscience écologique, on ne peut ignorer que certaines pratiques funéraires sont extrêmement polluantes. En effet, la crémation d’un corps implique une consommation d’énergie fossile considérable et entraîne d’importants rejets de CO2 dans l’atmosphère. L’inhumation, de son côté, pollue les nappes phréatiques en raison des produits utilisés lors de la mise en bière, et elle mobilise des terres qui pourraient être cultivées. Selon une étude réalisée par la fondation des services funéraires de la ville de Paris [4] , l’inhumation pourrait en effet entraîner jusqu’à environ 1252 kg de CO2, ce qui représente 11% des émissions d’un français moyen sur un an ou bien 84% d’un aller-retour Paris/New York. D’après cette même étude, la crémation pourrait, quant à elle, générer plus de 233 kg de CO2, ce qui équivaut à 1124 km en voiture ou bien à 72 677 km en train.
Un sondage réalisé en septembre 2022 révèle que 73% des Français souhaiteraient pouvoir bénéficier d’une mort écologique [5]. Depuis quelques années, on remarque que, dans le domaine funéraire, des évolutions tendent vers un plus grand respect de l’environnement. En effet, on a pu voir apparaître de nouveaux types de cimetières comme des cimetières écologiques ou bien des forêts cinéraires. Dans le cas des cimetières écologiques, ces derniers n’accueillent que des défunts enterrés dans des cercueils ou urnes fabriqués en matériaux biodégradables, dans des tenues en fibres naturelles et n’ayant pas reçu de soins de préservation à la suite de leur décès. En effet, le formol (utilisé sur le défunt après la mort pour qu’il soit « présentable » à sa famille) est très polluant car il contamine les sols et est rejeté dans les nappes phréatiques. Il est possible de retrouver ce type de cimetières écologiques en France, notamment à Niort depuis 2014 [6] et à Ivry-sur-Seine depuis 2019 [7]. Les forêts cinéraires sont, elles, des sites forestiers dans lesquels les familles de défunts, ou même les défunts avant leur mort, peuvent acheter un arbre dans le but d’y enterrer ou d’y disperser à ses pieds les cendres du défunt [8]. Ce concept est notamment assez présent en Allemagne : la première forêt cinéraire allemande a vu le jour en 2001 dans le Land de la Hesse [9]. Des forêts cinéraires voient également le jour en Belgique, notamment dans la ville de Fleurus [10].
De plus, on a également pu voir apparaître des alternatives écologiques aux cercueils et aux urnes notamment dans des cercueils en carton recyclé [11] ou bien dans des urnes fabriquées à 100% en matériaux biodégradables [12]. Néanmoins, ces modes de sépultures, plus verts, restent insuffisants au regard de l’urgence de la situation écologique. En effet, depuis les années 1970, la pollution et la dégradation de l’environnement, l’épuisement des ressources et le changement climatique menacent la sécurité alimentaire, les ressources en eau, la santé et la survie des humains, ainsi que des autres espèces vivantes.
Compte tenu de l’urgence de la crise écologique, quelles sont les alternatives à nos modes de sépultures traditionnels, très polluants ? Quels enjeux juridiques et éthiques ces nouvelles techniques soulèvent-elles ?
Nous verrons que les nouveaux modes de sépultures que sont l’aquamation, l’humusation et la promession sont, certes, plus écologiques, mais ces méthodes, très éloignées de nos méthodes traditionnelles de sépultures posent de nombreuses questions juridiques et éthiques.
Présentation de l’aquamation (ou bio-crémation).
L’aquamation est une technique développée par Amos Herbert Hobson à la fin des années 1880 aux États-Unis, alors qu’il travaillait sur la dissolution d’animaux décédés. Ce procédé a été par la suite modernisé par Gordon I. Kaye et Peter B. Weber, deux scientifiques américains, dans les années 1990 afin de pouvoir être appliqué à l’Homme [13].
La technique de l’aquamation consiste, dans un premier temps, à déposer le corps du défunt dans une solution en mouvement composée de potassium et de sodium. Pour que le processus d’aquamation puisse avoir lieu, la solution doit être portée à la température de 93°C à pression normale et ce pour une durée allant de 5 à 10 heures. Cette durée est notamment nécessaire pour que tous les tissus composant le corps humain puissent être dissous. Le processus utilisé dans le cadre de l’aquamation est assez proche de la technique dite de la résomation : dans cette dernière, le corps du défunt est placé dans un caisson sous pression et la solution aqueuse utilisée est portée à une température allant de 150 à 180°C, ce qui permettrait notamment de réduire la durée du processus. Une fois le processus d’aquamation terminé, les ossements de la personne décédée sont recueillis, réduits en cendres, puis placés dans une urne [14].
Actuellement, l’aquamation est autorisée dans de nombreux États fédérés des États-Unis comme par exemple dans l’État de Californie depuis 2017 [15], dans l’État de Washington depuis 2019 [16] et dans l’État d’Arizona depuis 2022 [17], mais aussi dans quatre provinces canadiennes [18].
Concernant la France, la question de la technique d’aquamation a pu se poser à l’occasion d’une question écrite posée au Gouvernement par le député Éric Pauget en 2018 [19]. Dans cette question, M. Pauget a interrogé le ministre de l’Intérieur de l’époque pour connaître le positionnement de l’État s’agissant de cette nouvelle pratique funéraire. Cette dernière n’étant pas possible au regard des dispositions du Code général des collectivités territoriales, le député souhaitait savoir si le Gouvernement envisageait une possible modification de ces dispositions afin de permettre la mise en œuvre de cette nouvelle pratique. À l’occasion de sa réponse [20], le Gouvernement a indiqué que : « en tant que technique alternative de traitement du corps des défunts, la résomation fait actuellement l’objet d’une réflexion approfondie dans le cadre d’un groupe de travail dédié au sein du Conseil national des opérations funéraires. Il conviendra, à l’issue de ces travaux qui traitent des enjeux éthiques, écologiques et économiques liés à ce nouveau procédé d’inhumation, d’envisager l’opportunité, et, le cas échéant, les modalités d’évolution du droit dans ce domaine ».
Par ailleurs, à l’occasion de la première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale [21] en 2021, les députés Stéphane Claireaux, Stéphanie Atger et Guillaume Vuilletet ont déposé le 30 novembre 2021 un amendement qui prévoyait la possibilité d’autoriser la pratique de l’aquamation dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à titre expérimental, et ce pour une durée de trois ans. Néanmoins, cet amendement a été rejeté en décembre 2021 [22].
D’un point de vue environnemental, la technique de l’aquamation a l’avantage de relâcher moins de gaz à effet de serre que dans le cadre de la crémation classique et de nécessiter une dépense énergétique moindre que celle nécessaire pour la crémation. De plus, à l’issue du processus, la solution aqueuse serait stérile et pourrait être utilisée en tant que fertilisant [23].
Présentation de la technique de l’humusation.
Également appelée compostage humain, l’humusation désigne un mode de sépulture au cours duquel le corps du défunt se décompose dans une boîte avec d’autres matériaux biodégradables (notamment des fleurs, des copeaux de bois broyés, des feuilles mortes, etc.) pour être transformé à la fin du processus en compost naturel et fertile. Concrètement, après avoir retiré vêtements et bijoux, le défunt est enveloppé dans un linceul biodégradable. Son corps est ensuite déposé sur un lit végétal composé de bois d’élagage et de lignite broyés, imprégnés d’eau de pluie. Il sera ensuite recouvert de 2 m3 du même mélange, puis d’une couche de paille et de feuilles mortes broyées afin de garder l’humidité et accélérer la décomposition du corps. Au bout de quatre mois, les humuseurs (micro-organismes et bactéries se trouvant dans le sol) auront digéré les chairs. C’est après une année de décomposition que les os et les dents seront digérés par le sol. À ce moment-là, la famille du défunt pourra récupérer un seau du compost créé par la décomposition du corps du défunt [24].
Cette méthode se veut la plus écologique car elle ne nécessite pas d’apport externe d’énergie, permet une décomposition rapide de la dépouille et il en résulte un seau de compost, que la famille peut utiliser afin de faire pousser un arbre en mémoire du défunt. Aux États-Unis, ce mode de sépulture coûte entre 5 000 et 7 000 dollars [25], soit entre 4 600 et 6 486 euros, contre un coût moyen de 3 350 euros [26] pour une sépulture par inhumation ou crémation.
L’humusation est, pour l’instant, interdite en France. Le sondage OpinionWay révèle cependant que 46% des français seraient prêts à recourir à cette pratique [27]. En ce sens, on peut également noter qu’une pétition [28] a été déposée en 2022 sur la plateforme de pétitions de l’Assemblée nationale, en faveur de la légalisation de la technique de l’humusation en France. En outre, on voit poindre des initiatives en faveur de la légalisation de cette pratique. Elodie Jacquier-Laforge, vice-présidente MoDem de l’Assemblée nationale, a par exemple déposé une proposition de loi le 31 janvier 2023 [29], afin de permettre l’expérimentation du compostage humain. Cette proposition est succincte, elle renvoie à un décret pour fixer les modalités de mise en œuvre ainsi que la liste des communes volontaires. Cette proposition n’a, pour l’instant, pas aboutie.
Aux Etats-Unis, l’humusation est expérimentée depuis 2014 sur des corps humains. L’idée a notamment été reprise en 2017 dans le cadre du Urban Death Project à Seattle, ou Katrina Spade, architecte, imagine la création de bâtiments ou les cadavres humains se décomposeraient au contact de sciure de bois, dans un lieu ventilé [30]. La technique est légalisée dans les États de Washington depuis 2019 [31], du Colorado [32] et de l’Oregon [33] depuis 2021, du Vermont [34], de la Californie [35] et de New York [36] depuis 2022. Aux Etats-Unis, c’est en général une technique high-tech qui est utilisée : le corps est placé dans un cylindre en acier ventilé par de l’oxygène, dont la température est surveillée par des capteurs. Cela permet d’obtenir du compost dans un délai d’un mois. Cette mécanisation du processus de compostage du corps humain et notamment la ventilation et la surveillance de la température des cylindres sont cependant énergivores et remettent en cause l’intérêt écologique de cette technique.
Si la technique de l’humusation venait à être légalisée en France, il faudrait adapter notre droit.
Actuellement, le corps humain est protégé par le Code civil durant la vie (l’article 16-1 prévoit la protection du corps) et après la mort (l’article 16-1-1 du même Code énonce que le respect dû au corps humain « ne cesse pas avec la mort »).
Le Code civil prévoit que
« Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à la crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Ainsi, il prévoit le cas de la crémation, mais il ne prévoit pas le cas où les restes du corps consistent en un seau de compost. En 2016, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve soulignait la nécessité de mener une réflexion approfondie sur le sujet, en collaboration avec le Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF). Depuis cette date, les choses n’ont pas avancé, le dossier semble enterré [37].
Présentation de la promession (ou cryomation).
La promession est une technique ayant pour finalité de transformer le cadavre en particules fines. Développée par la biologiste suédoise Susanne Wiigh-Mäsak, cette technique implique de congeler le cadavre à -18°C pendant une période de dix jours puis de l’immerger dans de l’azote liquide portée à -196°C. En raison de ces températures très basses, le corps du défunt va se fragmenter et devenir friable. Il sera par la suite déposé sur une table vibrante qui aura pour effet de réduire le corps en fines particules. À l’issue de ce processus, et après avoir été placées dans une chambre à vide, les cendres du défunt seront filtrées afin d’extraire toute matière étrangère (prothèses, broches), puis seront remises à la famille dans une urne [38].
La technique de promession développée par Mme Wiigh-Mäsak a notamment pour avantage de relâcher peu voire aucun gaz à effet de serre et aucune particule dans l’atmosphère. De plus, comme les autres nouveaux modes de sépultures présentés, la promession consomme moins d’énergie comparée à la crémation [39]. Le corps du défunt étant réduit en cendres, cela limiterait également l’espace nécessaire dans les cimetières.
En droit français, la technique de promession n’est pas autorisée actuellement. Néanmoins, à l’instar de la technique d’aquamation, la promession a fait l’objet d’une question écrite, posée au Gouvernement [40] en 2016, par l’ancien député Jean Leonetti. À l’occasion de cette question, Monsieur Leonetti a interrogé le Ministre de l’Intérieur de l’époque sur une possible légalisation de la promession, qu’il décrivait comme présentant « des avantages moins polluants » et étant « éminemment écologique ».
Le député déplorait notamment que la France, contrairement à d’autres États comme le Canada, les États-Unis ou bien l’Afrique du Sud, ne fasse pas évoluer ses modes de sépultures.
Dans sa réponse [41], le Gouvernement indiquait que :
« la technique de la “promession”, permettant une désagrégation du corps par le recours à une technique éloignée des pratiques et rituels courants ne manquerait pas de provoquer les mêmes réticences [que celles soulevées concernant la pulvérisation des cendres au titre de l’article L. 2223-18-1 du Code général des collectivités territoriales]. Ainsi, les questions que soulève la “promession” nécessitent une réflexion approfondie qui pourrait se poursuivre dans le cadre du Conseil national des opérations funéraires ».
Conclusion.
La France semble ne pas prête à adopter ces nouveaux modes de sépultures. Plusieurs initiatives françaises (notamment le projet de loi concernant l’humusation et les différentes questions posées par des parlementaires au Ministère de l’Intérieur concernant ces nouveaux modes de sépultures) laissent penser que, dans un futur proche, les choses pourraient changer et que des modes de sépultures plus écologiques pourraient être légalisés. Néanmoins, cela nécessitera des aménagements législatifs, afin de rendre ces méthodes compatibles avec le droit français.
En attendant, des méthodes alternatives, plus écologiques que nos techniques traditionnelles et compatibles avec le droit français, pourraient être mises en œuvre.
À côté des nouveaux cercueils et des nouvelles urnes, fabriqués avec matériaux recyclés, on a pu voir apparaitre une pratique consistant à intégrer une graine d’arbre dans des urnes ou des sortes de cercueils biodégradables en forme d’œuf [42]. Néanmoins, ces nouvelles solutions plus respectueuses de l’environnement pourraient se heurter à certaines difficultés. En effet, par principe, il est possible de procéder à une inhumation, que ce soit sur une propriété appartenant au domaine public ou bien sur une propriété privée, sous réserves de réunir différentes conditions [43].
Dans le cas des urnes et cercueils biodégradables incorporant une graine d’arbre, l’inhumation sur le domaine public serait compliquée puisqu’il faudrait que des terrains publics y soient dédiés. En effet, nous ne pourrions pas faire pousser ces arbres au sein de cimetières classiques en raison du manque de place. Par conséquent, il serait plus simple de recourir à une inhumation sur une propriété privée. Des sites privés seraient dédiés à ces nouveaux cercueils et urnes, ainsi qu’à tous les nouveaux modes de sépultures écoresponsables. Certains imaginent déjà la création de « jardin-Forêt de la métamorphose » [44], qui rassembleraient les arbres issus de ce nouveau mode de sépulture.
Discussion en cours :
Il est plus que temps que la loi évolue en permettant la pratique de l’humusation, en levant les interdictions et les restrictions au droit pour chacun de disposer librement de son corps, y compris et surtout après la mort... Il existe déja des "jardins de mémoire" , au sein desquels il pourrait être possible de réaliserdes humusations associées à la plantation de nouveaux arbres, qui deviendraient alors , à leur tour , des " arbres de mémoire " ...