Amour au travail : est-ce risqué pour les salariés ?

Par Frédéric Chhum, Avocat et Léonie Aubergeon, Juriste.

25103 lectures 1re Parution: 4.72  /5

Explorer : # relations amoureuses au travail # vie privée # harcèlement sexuel # discrimination au travail

Même si 14% des couples se constituent au travail (sondage Ipsos 2018), il peut être compliqué de mélanger amour et travail.

Aux États-Unis, le règlement intérieur d’une entreprise peut interdire aux salariés d’entretenir une relation amoureuse avec l’un de leur collègue sous peine d’être congédié.

-

Licencié en novembre 2019 par le conseil d’administration de Mc Donalds, Steve Easterbrook, CEO, en a fait l’amère expérience ; tout comme le PDG d’Intel en 2018.

En France, les relations amoureuses au travail ne sont (heureusement) pas règlementées.

Pourtant, amour sur le lieu de travail peut être synonyme d’empiètement de la vie privée sur la vie professionnelle.

De même, il arrive qu’au sein de l’entreprise la frontière entre séduction et harcèlement sexuel soit vite franchie.

Conflits, tensions ou désorganisation de l’entreprise… comment concilier amour et travail ?

Si en principe les salariés sont libres d’entretenir des relations amoureuses, le bon fonctionnement de l’entreprise ne doit pas en être perturbé.

1) Principe : la liberté au travail.

1.1) Le droit du salarié au respect de sa vie privée.

L’article 9 du Code Civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

L’employeur au courant d’une relation amoureuse entre deux de ses salariés ne doit donc pas s’immiscer dans leur vie privée, même si cette vie privée a lieu sur le lieu de travail.

De même, en vertu d’un principe général de non-discrimination, l’employeur ne peut licencier ou sanctionner ces salariés.

En effet, selon l’article L.1132-1 du Code du travail, « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…) en raison de ses mœurs ou de son orientation sexuelle (..) ou de sa situation de famille (…) ».

Si la prise en compte des sentiments amoureux entre collègues n’y est pas expressément mentionnée, cet article protège indirectement la vie sentimentale du salarié.

Ainsi, le salarié qui entretient une relation avec un collègue, ou un supérieur hiérarchique ne peut être licencié pour ce seul motif (Cass. Soc. 21 décembre 2006 n°05-41140).

En l’occurrence, une caissière avait été licenciée en raison de sa liaison avec un collègue.

Les juges, affirmant que cette relation amoureuse n’avait pas créé de trouble caractérisé dans l’entreprise, considèrent que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

1.2) L’impossibilité pour l’employeur de prohiber en amont les relations amoureuses entre salariés.

De même, l’employeur ne peut prohiber en amont les relations amoureuses entre salariés.

D’une part, il est impossible de stipuler dans le contrat de travail une clause qui interdirait de telles relations sur le lieu de travail ; même en invoquant d’éventuels conflits futurs.

Une telle clause constituant une discrimination sur la situation de famille prohibée par l’article L.1132-1 du Code du travail

Ainsi, dans un arrêt en date du 7 février 1968 (Cass. Soc. n°65-40622), la Cour de Cassation a considéré que les clauses de célibat, interdisant le mariage ou le remariage des salariés, portaient atteinte à la liberté du salarié.

D’autre part, le règlement intérieur de l’entreprise ne peut empêcher que des conjoints soient tous les deux salariés au sein de l’entreprise.

En effet, le règlement intérieur ne doit pas apporter aux droits des personnes des restrictions excessives.

Selon l’article L.1121-1 du Code du travail « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Ainsi, la clause du règlement intérieur édictant que « des conjoints ne peuvent être employés simultanément dans l’entreprise » n’est pas valable (Cass. Soc. 10 juin 1982 n°80-40929 publié au bulletin).

2) Restrictions.

2.1) Devoir de neutralité du salarié.

S’il incombe à l’employeur d’être indifférent aux relations amoureuses du salarié, ce dernier doit respecter la démarcation entre vie privée et vie professionnelle.

C’est-à-dire que les salariés ne peuvent se manifester de manière trop explicite leurs sentiments sur le lieu de travail.

De même, il leur est interdit d’abuser des moyens professionnels mis à leur disposition dans un but autre que professionnel.

Les promotions et avantages accordés au sein de l’entreprise devant dépendre des compétences professionnelles, un salarié ne peut favoriser son conjoint au détriment des autres.

Lorsque l’employeur valide une telle promotion, il doit être en mesure de démontrer que les choix faits s’appuient sur des considérations étrangères à toute discrimination (L.1134-1).

Si des dérives sont constatées sur le lieu de travail, l’employeur peut après avoir recadré le salarié, lui adresser un avertissement ou toute autres sanction disciplinaire proportionnée et justifiée.

Enfin, la jurisprudence admet la validité du licenciement non disciplinaire pour des faits, relevant de la vie personnelle du salarié, ayant causé un trouble objectif caractérisé dans l’entreprise.

Ce trouble s’apprécie au regard des fonctions du salarié et des finalités propres de l’entreprise (Cass. Soc. 22 janvier 1992 n°90-42517).

En l’occurrence, un salarié de Renault avait été licencié pour avoir acheté une Peugeot 405.

La Cour de cassation rappelle la liberté « des biens et des services » et considère que le licenciement est sans cause car l’employeur ne démontrait « aucun trouble objectif à l’entreprise ».

En outre, la Cour de Cassation (Cass. Soc. 9 juillet 2002 n°00-45068) considère que « la violence d’un salarié envers sa concubine, également salariée de l’entreprise, qui avait donné lieu à son arrestation, a entrainé un trouble objectif caractérisé, même si ce fait relevait de la vie personnelle ; l’employeur pouvait redouter de nouveaux incidents et que la réputation de l’entreprise ainsi que l’image de marque auprès des salariés, pouvaient en être affectés ; que le licenciement était donc recevable ».

Ainsi, l’impact de la relation amoureuse sur le fonctionnement de l’entreprise et l’organisation du travail doit être mesuré.

2.2) Prohibition du harcèlement sexuel et des agissements sexistes.

Bien que les salariés soient libres d’entretenir des relations amoureuses, ces relations doivent être consenties.

En effet, la ligne de partage entre séduction et harcèlement est fine.

Les juges considèrent par exemple que le fait de tenter d’obtenir des faveurs sexuelles d’une salariée en multipliant les appels et les cadeaux, en se rendant à son domicile et en faisant intrusion dans sa vie privée, dans le but de la convaincre et même de la contraindre à céder à ses avances constitue un harcèlement sexuel (Cass. Soc. 3 mars 2009 n°07-44082).

Dans l’arrêt du 25 septembre 2019 (n°17-31171), la Cour de cassation considère que le « jeu de séduction réciproque » entre le supérieur hiérarchique et la salariée qui plaidait être harcelée sexuellement, permettait d’écarter cette qualification de harcèlement sexuel.

En cas de harcèlement, il incombe à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les salariés (L. 4121-1 du code du travail).

Voir aussi nos 3 articles :
- Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : que préconise la DGT ?
- Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : ce qui change avec les lois du 3 août et du 5 septembre 2018.
- Harcèlement par SMS pornographiques au travail : l’ambiguïté de la subordonnée disqualifie le harcèlement sexuel.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

29 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs