Extrait de : Droit des contrats

[Maroc] L’action oblique et l’action paulienne.

Par Ahmed Benattou.

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Explorer : # droit des créanciers # action oblique # action paulienne # insolvabilité

A l’issue d’un contrat conclu entre deux parties, une ou plusieurs obligations peuvent naitre. L’obligation est, au sens large, un lien de droit entre deux ou plusieurs personnes en vertu duquel l’une des parties, le créancier, peut contraindre l’autre, le débiteur, à exécuter une prestation.

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Quelle que soit l’importance de l’obligation, le débiteur est tenu de respecter ses engagements une fois le contrat formé. Pour établir une relation contractuelle de confiance, le débiteur est tenu d’accompagner son engagement de garanties afin de renforcer la sécurité du contrat et augmenter par la même occasion, la probabilité de son recouvrement.

Cependant, le droit de gage et sa consistance dépendent du bon vouloir et de l’honnêteté du débiteur. « Celui-ci, en cessant d’être sincère, pourrait modifier la consistance dudit patrimoine par des initiatives attentatoires à la sécurité des créanciers ». C’est le risque de dilapidation. Face à un débiteur insolvable qui ne dispose pas d’actif, ni astreinte ni saisie ne peuvent être efficaces contre lui. C’est la raison pour laquelle il faut donner au créancier, les moyens nécessaires pour se défendre. Toutefois, ces moyens ne peuvent être utilisés à tout moment, surtout lorsque le débiteur est solvable, dans la mesure où le créancier n’a aucunement le droit de s’immiscer dans la gestion de son patrimoine.

Il est important de rappeler que malgré l’envergure importante de l’interventionnisme étatique dans la liberté contractuelle, la majorité des contrats est restée régie par l’idée de liberté. Avec le renouvellement du phénomène contractuel, de nouvelles techniques conventionnelles originales ont fait leur apparition et font l’objet de stipulations dans le contrat telles qu’édictées par les parties. Les techniques en question sont l’action oblique et l’action paulienne.

Qu’est-ce que l’action oblique ? et qu’est-ce que l’action paulienne ? Et dans quelle mesure peuvent-elles protéger le créancier contre les carences de son débiteur ?

Afin de traiter ce sujet, il y a lieu de traiter dans une première partie de l’action oblique en tant que moyen de forcer le paiement (I), dans une deuxième partie de l’action paulienne en tant qu’instrument juridique protégeant les créanciers (II) et dans un troisième temps (III) le cadre juridique de l’action paulienne et jurisprudence.

I- L’action oblique en tant que moyen de forcer le paiement.

Le paiement forcé des obligations monétaires obéit à un schéma simple : quand un créancier souffre du non-paiement de sa créance par le débiteur, il peut saisir les biens de ce dernier en se faisant payer sur la valeur de ces biens, notamment au moyen d’une vente aux enchères. Mais pour ce faire, le patrimoine du débiteur ne doit pas être dégarni. Il y a lieu de donner une définition à l’action oblique avant de passer en revue les conditions devant être réunies pour qu’elle soit réalisée.

1- Définition de l’action oblique.

Le créancier, dans le but de se faire payer, doit veiller à ce que le patrimoine de son débiteur garde au moins un minimum de substance, notamment en renflouant positivement ce patrimoine, gage de paiement, ou en évitant qu’il ne se vide dangereusement. L’action oblique est donc ce qui permet de remettre en selle ce patrimoine quand la situation suivante se présente : d’un côté, un débiteur qui refuse de se lancer dans la récupération d’une somme qui ne servira en fin de compte qu’à payer ses dettes. De l’autre, un créancier qui souhaite justement récupérer son argent. De ce fait, l’action oblique permet au créancier d’exercer les droits et actions de son débiteur en agissant à sa place. C’est ce qui ressort du Code civil français dans son article 1166 qui dispose que

« lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ».

Imaginons maintenant une relation entre un créancier A et un débiteur insolvable B ayant des droits contre un tiers C. L’action oblique permet au créancier A d’agir en paiement forcé contre le tiers C, lequel doit de l’argent au débiteur insolvable B.

2- Les conditions de réalisation de l’action oblique.

La réalisation de l’action oblique suppose que certaines conditions soient observées, aussi bien du côté du débiteur que celui du créancier. Primo, le débiteur qui ne paie pas sa dette doit être obligatoirement insolvable parce que, autrement, le créancier n’aura aucune raison de forcer le paiement en allant chercher ailleurs des biens qui puissent répondre de ses dettes.

Secundo, le débiteur doit faire preuve de négligence parce que, s’il fait valoir ses droits, même sans succès, le créancier ne sera pas autorisé à le faire à sa place.

Tertio, la créance du créancier doit être certaine (incontestable), liquide (déterminé dans son montant) et exigible (dont le paiement est immédiatement dû). D’ailleurs, la réunion de ces conditions est ce qui permet au créancier de s’immiscer dans la gestion du patrimoine de son débiteur.

Il faut toutefois être conscient que l’action oblique comprend une faiblesse parce qu’elle ne bénéficie pas uniquement à celui qui aura fait l’effort d’agir, mais également à tous les créanciers du débiteur insolvable, dans la mesure où les biens rentrant dans son patrimoine sont saisissables par lesdits créanciers. Dans ce cas, il n’aura profité des sommes qui lui sont dues que très partiellement.

II- L’action paulienne en tant que mesure protégeant le créancier.

Tout débiteur tentant d’échapper aux poursuites ou saisies mobilières ou immobilières de ses biens ou préparant intentionnellement son insolvabilité en diminuant la valeur de son patrimoine par la cession frauduleuse d’un bien ou d’une somme d’argent, s’expose à une arme redoutable appelée « action paulienne ».

Les créanciers peuvent, en principe, saisir tous les biens de leur débiteur lorsque ce dernier n’exécute pas ses obligations. « Le patrimoine du débiteur est le gage général du créancier », le droit de gage général est une garantie étendue à toute la fortune du débiteur, sachant que les obligations ont effet, non seulement entre les parties elles-mêmes, mais aussi entre leurs héritiers ou ayants-cause. Mais il est également possible qu’un débiteur insolvable s’abstienne à exécuter ses engagements. Cette abstention, bien entendu, pourrait nuire aux créanciers.

Le débiteur peut passer des actes frauduleux avec autrui afin de priver le créancier de saisir les biens qui lui appartiennent, et vider ainsi son patrimoine. En faisant ainsi, le débiteur prépare son insolvabilité. Certes, il peut les saisir mais faut-il encore que ces biens soient disponibles. Le créancier ne peut aller rechercher les biens qui ont été donnés ou aliénés auparavant dans la mesure où il ne bénéficie pas d’un droit de suite et d’un droit de préférence. En d’autres termes, il s’agit d’un créancier chirographaire.

Les créanciers chirographaires disposent d’une action qui leur permet d’attaquer les actes passés par le débiteur en fraude de leurs droits. Cette action révocatoire dont l’origine remonte au droit romain, porte traditionnellement le nom d’action paulienne.

L’action paulienne permet de supprimer le dommage subi par un créancier, victime de la fraude de son débiteur, en rétablissant à son égard la situation antérieure. Pour que cette action soit recevable, il faut en premier lieu qu’il y ait un appauvrissement du débiteur. En second lieu, l’action paulienne est subordonnée à la preuve de la fraude du débiteur.

III- Le cadre juridique de l’action paulienne et jurisprudence.

Si le créancier souffre de l’irresponsabilité du débiteur, il peut utiliser quelques armes juridiques à sa disposition qui ont beaucoup plus d’intérêt en droit français qu’en droit marocain.

L’action paulienne est une arme efficace contre la fraude du débiteur et permet de protéger efficacement le créancier. La législation marocaine n’a jamais défini ce qu’est une action paulienne contrairement au droit français qui l’a prévue dans l’article 1167 du Code civil. Cet article donne la possibilité au créancier d’attaquer les actes accomplis par le débiteur en vue de provoquer ou d’accroitre son insolvabilité. Même si elle n’est pas expressément prévue dans le D.O.C, la jurisprudence a toujours autorisé les créanciers à attaquer les actes frauduleux accomplis par leurs débiteurs en voyant dans cette application particulière, des règles de la responsabilité civile délictuelle.

La législation marocaine prévoit d’autres moyens de protection du créancier à travers les articles 77 et 78 du D.O.C qui disposent que « tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’il est établi que ce fait en est la cause directe. Toute stipulation contraire est sans effet » et que

« chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe. Toute stipulation contraire est sans effet. La faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire, soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage ».

Si le droit français prévoit l’action paulienne, l’action oblique, les saisies et spécialement les saisies immobilières qui empêchent le débiteur saisi de disposer de son immeuble au détriment des droits de son créancier, la liquidation des biens et le règlement judiciaire et enfin les règles sur la simulation, le droit marocain ignore l’action paulienne, mais prévoit par contre certaines dispositions qui ne sont pas moins efficaces que celles du droit français.

« En application de l’article 1241 du D.O.C, la chambre commerciale de la Cour de cassation marocaine a considéré, dans une décision du 26 Juin 2008, la donation d’un bien immobilier, faite par un parent à ses enfants après la signature d’un acte de cautionnement, comme préjudiciable aux droits de son créancier. En disposant de son bien, le débiteur a appauvri son patrimoine qui constitue le gage général de ses créanciers. La cour a considéré que cette donation est inopposable au créancier et a motivé sa décision par le fait que la caution, en acceptant de consentir ce cautionnement, a placé l’ensemble de ses biens en gage de son créancier ».

Ahmed Benattou
Cadre administratif au Ministère Marocain de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation
Email : ahmedbenattou166 chez gmail.com

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