Achat immobilier en crypto : enjeux juridiques et fiscaux.

Par Elias Bourran, Avocat.

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Explorer : # cryptoactifs # fiscalité # droit immobilier # notaire

L’achat immobilier en cryptomonnaie est légal et possible en France, mais soumis à un cadre réglementaire strict. Alors que certains pays facilitent ces transactions, la France conserve des règles précises en matière de fiscalité et de conformité. Cet article analyse en détaille les aspects légaux et fiscaux de l’achat immobilier en cryptomonnaie, en mettant en lumière les défis et les opportunités pour les investisseurs et les professionnels du secteur.

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I. Le cadre juridique de l’achat immobilier en cryptomonnaie.

1. Une obligation légale de paiement en euros.

En France, en principe, les cryptomonnaies ne peuvent être utilisées directement comme moyen de paiement dans une transaction immobilière, car elles ne sont pas reconnues comme une monnaie ayant cours légal.

L’article 1343-3 du Code civil impose en effet que :

« Toute obligation de somme d’argent en France doit être exécutée en euros ».

Cela signifie que, par défaut, un bien immobilier doit être payé en euros, et qu’un acquéreur ne peut pas exiger de régler un vendeur en cryptomonnaie. La situation est différente si acheteur et vendeur se mettent d’accord.

2. La dation en paiement : un mécanisme qui ouvre une possibilité.

Bien que l’euro soit la seule monnaie de paiement reconnue en France, le droit permet une certaine flexibilité grâce au mécanisme de la dation en paiement. L’article 1342-4 du Code civil prévoit que : « Le créancier peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû ».

Ainsi, dans le cadre d’une transaction immobilière, un vendeur peut accepter volontairement d’être payé en cryptomonnaie au lieu d’euros. Cette alternative repose sur un accord mutuel entre l’acheteur et le vendeur et doit être formalisée dans l’acte notarié.

Cependant, un tel choix soulève plusieurs enjeux juridiques et fiscaux, qui nécessitent une attention particulière pour éviter tout risque de requalification par l’administration fiscale.

3. Les cryptomonnaies : des actifs numériques soumis à un cadre juridique précis.

Si les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies ayant cours légal, elles sont toutefois reconnues juridiquement en tant qu’actifs numériques, une catégorie définie par l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier.

Cette catégorie regroupe deux types d’actifs :

  • Les jetons : actifs numériques enregistrés sur une blockchain et pouvant conférer certains droits à leurs détenteurs (exemple : tokens d’investissement).
  • Les monnaies virtuelles : représentations numériques de valeur, non émises par une banque centrale, mais acceptées comme moyen d’échange entre parties privées (exemple : Bitcoin, Ethereum).
    Dans le cadre d’un paiement immobilier en cryptomonnaie, c’est la seconde catégorie qui est concernée.

4. Deux modes d’utilisation des cryptomonnaies dans l’achat immobilier.

4.1. Achat immobilier : paiement 100% en cryptomonnaie (dation en paiement).

Mécanisme juridique.

Dans ce cas, l’acquéreur transfère directement les cryptomonnaies au vendeur, qui accepte de les recevoir comme règlement du bien immobilier.

L’acte notarié doit mentionner explicitement que la transaction repose sur une dation en paiement et préciser les éléments suivants :

  • La nature de la cryptomonnaie utilisée (ex. Bitcoin, Ethereum)
  • Le taux de conversion retenu (ex. cours du jour de la transaction)
  • La date de référence de cette conversion
  • Les modalités de transfert et de preuve de transaction.

Précautions juridiques.

  • Qualification juridique : l’acte notarié doit être soigneusement rédigé pour éviter tout risque de requalification fiscale.
  • Frais de notaire : ceux-ci devront être réglés en exclusivement en euro.
  • Volatilité des cryptos : une clause spécifique doit être prévue pour gérer les fluctuations du cours entre l’accord et le transfert effectif.
  • Sécurité du paiement : la transaction doit être traçable sur la blockchain pour garantir une preuve de paiement irréfutable.

4.2. Achat immobilier : paiement en cryptomonnaie avec conversion en euros.

Une alternative plus sécurisée consiste à convertir les cryptomonnaies en euros avant de payer le vendeur.

Mécanisme juridique.

1. Les cryptos de l’acheteur sont converties en euro via un prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) agréé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou un prestataire de services sur crypto-actifs (PSCA) depuis le règlement MiCA.
2. Le notaire reçoit ensuite la somme en euros et procède à la transaction selon les règles classiques.

Avantages de cette approche.

  • L’acte notarié reste conforme à la règle de paiement en euros.
  • La plus-value éventuelle est directement gérée lors de la conversion en euros.
    • Moins de risques liés à la volatilité des cryptos.

Points de vigilance.

  • Les frais de conversion : les prestataires appliquent des commissions.
  • L’impact fiscal : l’acheteur résident fiscal français devra s’acquitter de l’imposition sur les plus-values lors de la conversion en euros. La situation est différente pour les non-résidents.
  • Le choix du prestataire : il est essentiel de passer par un PSAN ou PSCA dûment agréé par un régulateur (AMF ou équivalent dans un autre pays de l’UE) pour sécuriser l’opération.

5. Le rôle du notaire et de l’avocat dans la sécurisation de la transaction.

Les notaires ont un rôle central dans la sécurisation des transactions immobilières en cryptomonnaie. Ils doivent s’assurer que l’origine des fonds est licite et conforme aux réglementations relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT), en application des articles L561-2 et suivants du Code monétaire et financier. À ce titre, ils exigent des justificatifs détaillés permettant d’établir la provenance des fonds utilisés pour l’achat (rapport de traçabilité de l’origine des cryptos, etc.).

Dans le cas d’un de l’achat d’un bien immobilier en crypto (paiement 100% en cryptomonnaies), le notaire peut exigera que les fonds nécessaires au règlement des frais de notaire soient d’abord convertis en euros via un PSAN/PSCA enregistré auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). En effet, les frais de notaire étant constitués à 80% d’impôts et taxes, ils doivent être payés à l’administration fiscale en euro car celle-ci n’accepte pas le règlement en crypto à ce jour. Cette conversion permet de garantir la traçabilité des transactions et d’éviter tout risque juridique lié à des fonds d’origine inconnue ou illicite.

Dans le cas de l’achat d’un bien immobilier en crypto (paiement en crypto 100% converti en euro), la situation est plus simple car la transaction suit un processus classique.

Par ailleurs, le notaire joue un rôle essentiel dans la rédaction et l’authentification des actes de vente. Il s’assure que toutes les clauses du contrat encadrent correctement l’utilisation des cryptomonnaies et qu’aucune ambiguïté juridique ne subsiste, notamment en matière de fiscalité et de droits de mutation.

Enfin, l’avocat intervient en amont pour conseiller l’acheteur et le vendeur sur les implications fiscales et contractuelles d’une transaction en crypto-actifs. Il aide à structurer l’opération pour éviter toute requalification fiscale défavorable et sécuriser l’ensemble du processus. Son rôle est particulièrement crucial pour anticiper les obligations déclaratives et optimiser les éventuelles plus-values imposables. Comme le notaire, l’avocat est également soumis aux mêmes obligations LCB-FT et devra réaliser une analyse de l’origine des fonds en cryptomonnaies afin d’éviter tout risque juridique lié à des fonds d’origine inconnue ou illicite.

6. Une option envisageable : l’utilisation d’un compte séquestre.

Le dépôt d’actifs numériques, incluant le séquestre, est un mécanisme intéressant pour sécuriser les transactions en cryptomonnaie. En confiant les fonds à un tiers de confiance, il protège les parties et facilite l’intégration des actifs numériques dans les opérations immobilières. L’utilisation d’un compte séquestre permet ainsi de sécuriser une transaction immobilière en cryptomonnaie en garantissant la conservation des fonds jusqu’à la finalisation de l’opération.

Deux étapes préalables sont nécessaires à la mise en œuvre du dépôt :
1) Insérer une clause spécifique dans le compromis de vente, précisant le recours à un séquestre conventionnel et la possibilité de paiement en cryptomonnaie.
2) Signer un contrat entre le dépositaire et l’acheteur, qui formalise la conservation des fonds et leur transfert au vendeur une fois l’opération réalisée.

Le dépôt est signé après le compromis de vente. Certaines sommes doivent obligatoirement être converties en euros, notamment l’indemnité d’immobilisation et les honoraires du notaire, celui-ci ne pouvant inscrire des cryptomonnaies dans sa comptabilité.

Une fois le contrat signé, les fonds sont déposés chez le séquestre jusqu’à la réalisation ou l’échec de la transaction :

  • Si la vente aboutit : le vendeur choisit de recevoir son paiement en euros (via conversion par un PSAN) ou en cryptomonnaie (transaction directe de wallet à wallet).
  • Si la vente échoue : les fonds sont restitués à l’acheteur sans taxation, puisqu’aucun transfert de propriété n’a eu lieu.

Ce mécanisme évite à l’acheteur de convertir prématurément ses cryptomonnaies en euros et d’être imposé inutilement en cas d’échec de la transaction.

7. La jurisprudence et les évolutions législatives.

A ce jour, il n’existe aucune jurisprudence en lien avec une transaction immobilière en cryptomonnaie.

Bien que l’achat immobilier en cryptomonnaie demeure encore marginal, plusieurs transactions ont déjà été menées à bien en France. Conscients des enjeux croissants liés aux actifs numériques, les professionnels du secteur, notamment les notaires et avocats, appellent à une évolution du cadre juridique. Certains notaires ont d’ailleurs sollicité l’autorisation de recevoir des cryptomonnaies sur leurs comptes ouverts auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations, soulignant ainsi la nécessité d’un cadre réglementaire adapté à ces nouvelles pratiques.

II. Les implications fiscales d’un achat immobilier en cryptomonnaie.

Les règles fiscales exposées ci-après s’appliquent uniquement aux résidents fiscaux français. La situation est différente pour les non-résidents, qui sont soumis à la législation fiscale de leur pays de résidence.

1. La taxation des plus-values issues de la conversion des cryptos.

Lorsqu’un investisseur vend des cryptomonnaies pour acquérir un bien immobilier, un impôt doit être payé sur la plus-value de cession sur actifs numériques [1].

Le régime applicable prévoit :

  • Soit : une flat tax de 30% (12,8% d’impôt sur le revenu + 17,2% de prélèvements sociaux).
  • Soit : la possibilité d’opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu si cela est plus avantageux.

2. Les déclarations obligatoires à l’administration fiscale.

Tout détenteur de cryptomonnaies doit déclarer ses comptes ouverts auprès d’opérateurs étrangers sous peine de sanctions [2]. Par ailleurs, depuis peu, l’administration fiscale surveille de près les transactions en crypto-actifs pour éviter les tentatives d’évasion fiscale.

3. Les droits de mutation et frais notariés.

Même en cas de paiement partiel en cryptomonnaie, les droits d’enregistrement et frais de notaire doivent être acquittés en euros. Il est donc nécessaire d’anticiper ces coûts lors de la structuration de l’opération.

4. Optimisation fiscale : stratégies et précautions.

Plusieurs stratégies peuvent être envisagées pour limiter l’impact fiscal d’un achat immobilier en cryptomonnaie :
1) Anticiper la fiscalité en structurant l’opération (par exemple en utilisant les mécanismes de la donation de crypto-actifs, etc.)
2) Imputer d’éventuelles moins-values sur les transactions précédentes pour réduire l’assiette imposable.

Conclusion.

L’achat immobilier en cryptomonnaie en France est juridiquement possible, mais nécessite une structuration rigoureuse. Il convient de distinguer deux cas de figure :

  • Transaction 100% en cryptomonnaie : Dans ce scénario, l’acheteur et le vendeur s’accordent sur un paiement entièrement en cryptomonnaies. Toutefois, même dans ce cas, certaines sommes doivent obligatoirement être converties en euros, notamment les frais de notaire, qui correspondent majoritairement à des impôts et taxes devant être acquittés en monnaie ayant cours légal (euro). Cette conversion doit être anticipée pour éviter tout blocage administratif et fiscal.
  • Transaction avec conversion en euros : Ici, l’acheteur règle en cryptomonnaie, mais le vendeur accepte de recevoir des euros après conversion. Cette solution est plus simple car elle repose sur une conversion crypto/fiat réalisée via un PSAN/PSCA, garantissant ainsi la conformité aux exigences légales.

Dans les deux cas, il est impératif de respecter les obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Cela implique une traçabilité stricte des fonds, ainsi que la présentation de justificatifs d’origine des fonds aux autorités compétentes (AMF/TRACFIN/PNF) en cas de contrôle.

Face aux évolutions constantes du cadre juridique, réglementaire et fiscal, la structuration rigoureuse de l’opération est essentielle pour assurer sa conformité. La prise en compte des obligations déclaratives, la gestion des flux financiers et l’anticipation des impacts fiscaux permettent d’éviter les écueils juridiques susceptibles de compromettre la transaction.

Elias Bourran
Avocat associé
Barreau de Paris
Cabinet Beaubourg Avocats
https://beaubourg-avocats.fr/
contact chez beaubourg-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1Article 150 VH bis du Code général des impôts.

[2Article 1649 bis C du CGI.

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