I. Sémantique et autres conséquences entre homologation et transaction.
Si le recours à la médiation – ou pour le moins son incitation – foisonne aujourd’hui dans les textes législatifs et réglementaires, rien dans ces derniers ne définit la nature juridique de l’ écrit transposant les accords en médiation. Communément et simplement appelé « accord » celui-ci recèle cependant bien des complexités aux incidences juridiques particulièrement sensibles pour le justiciable jusqu’à pouvoir devenir préoccupantes.
Le Tribunal Administratif de Poitiers le 10 juillet 20181 [1] donne aujourd’hui l’occasion de quelques pistes de clarification sur la nature de l’accord de médiation et sur les conditions qui en découlent pour l’homologation dudit accord.
Cette décision, bien que parcellaire sur le fond de la question des écrits issus de la médiation, a pour mérite de poser, a contrario, la nature juridique de l’écrit ici concerné et les principes propres à l’homologation.
Depuis des années la rédaction de l’accord de médiation, soumis (ou pas) à l’homologation du magistrat, suscite tant commentaires que textes réglementaires plus ou moins adaptés à cette particularité de l’écrit en médiation.
La jurisprudence a pu s’emparer de cette question, articulant avec plus ou moins de bonheur les notions de dénomination et d’homologation sans vraiment se pencher sur ce que devrait être la nature de cet écrit, ni comment le rédiger. Certes la matière est sensible et saisir la médiation dans tous ses aspects n’est pas toujours chose simple pour le juriste comme pour le justiciable, mais les résultantes n’en sont pas moins décisives.
II. L’accord de Médiation n’est pas (de facto, par nature, automatiquement)… une Transaction.
La jurisprudence procède plutôt par élimination de ce que n’est pas l’accord et, à ce titre, la décision du Tribunal Administratif de Poitiers en date du 12 juillet 2018 en est un exemple récent et pertinent.
Le Tribunal Administratif de Poitiers exprime sans détour que l’accord de médiation n’est pas une Transaction car ce dernier ne nécessiterait donc pas des concessions (juridiques) réciproques entre les parties.
La formulation est surprenante et demande un focus sur ce point.
A ce stade, il est utile de rappeler la fragilité de la Transaction compte tenu de la modification des termes de l’article 2052 du Code civil modifié par la loi « Justice 21 » du 18 novembre 2016 [2] : « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ». Dès lors la Transaction n’a plus l’autorité de la chose jugée en dernier ressort comme antérieurement [3]
De plus la Cour de Cassation par un arrêt du 28 septembre 2017 a jugé que « l’homologation d’un accord transactionnel qui a pour seul effet de lui conférer la force exécutoire ne fait pas obstacle à une contestation de la validité de cet accord devant le juge de l’exécution » [4].
La sécurité juridique des transactions en toute matière est donc plus que perturbée par la réforme et cette décision.
Or, personne n’ignore que ce terme de Transaction est utilisé de manière exponentielle pour certains accords de médiation devenant alors des engagements formels signés par les parties aux fins d’homologation. La difficulté en apparaît de facto.
Un accord en médiation obéit à une logique et une finalité de l’essence même du travail mené en médiation, que l’on peut qualifier de « sui generis » : la construction de l’accord résulte des options élaborées en médiation pour une mutuelle satisfaction des personnes ayant contribué et aménagé ensemble le contenu et l’esprit de cet accord grâce à l’accompagnement du médiateur.
L’accord de médiation prend trop souvent et systématiquement la forme d’un acte juridique sous-seing privé animé de toutes les conséquences propres à la qualification d’un tel acte. La responsabilité du médiateur s’en voit engagé automatiquement et sans ce que ce dernier ne puisse -la plupart du temps- se prévaloir de la garantie obligée du rédacteur d’acte [5].
C’est la raison pour laquelle le médiateur ne doit pas être le rédacteur d’un acte juridique sous-seing privé, acte qui, présenté aux fins d’homologation, confronté au regard du juge, pourrait même se voir rejeté dans cette demande, si la forme et le fond de l’accord ne convenaient à l’analyse des magistrats. L’accord doit prendre une forme adéquate dès lors que les parties en ont décidé ainsi, en fonction de tous les aspects de son contenu, et que cette rédaction soit effectuée par des professionnels du droit.
III. De l’homologation : accord bien conçu, accord homologué.
En circonvenant le contrôle du juge sur la demande d’homologation et les conséquences en découlant, le tribunal a particulièrement noté qu’il doit vérifier dans l’accord :
- Le consentement effectif des parties,
- La licéité de l’objet,
- Le respect des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition,
- La méconnaissance d’autres règles d’ordre public.
Et surtout, dans le cas d’espèce, ceci se comprend à la lecture de la cause, que l’accord « ne constitue pas une libéralité de la part de la collectivité publique » en contrepartie des aménagements ayant permis de résoudre le fond du différend.
Dans une telle hypothèse le rôle du tribunal aurait alors consisté à homologuer une Transaction en application des articles 2044 et 2052 du Code civil.
On notera de plus la motivation de la décision du Tribunal Administratif de Poitiers en matière d’homologation qui est claire, et dans la logique juridique et judiciaire de cette notion elle-même : le refus de l’homologation a pour effet la nullité de l’accord et permet alors au juge de statuer sur le fond du dossier qui lui est soumis.
Enfin le même tribunal est demeuré dans le droit-fil de l’acceptation ou du refus de l’homologation, confirmant le fait qu’il ne saurait exister juridiquement d’homologation partielle, hypothèse où le tribunal homologuerait une partie de l’accord et modifierait de lui-même les aspects qui ne lui conviendraient pas [6].
Chacun est donc confronté à son rôle et à sa place : les médiateurs, les personnes, les rédacteurs de l’acte sous-seing privé accord de médiation, les partenaires juridiques, les magistrats…
Comme déjà exposé dans des articles de fond [7], la rédaction de l’accord de médiation dans une forme utilisant le conditionnel et concrétisant pour les personnes « l’intention de faire », permettrait à chacun d’y apporter la finalité ultime et concrète.
En y ajoutant le concours de tous les intervenants compétents dans chaque aspect du contenu de l’accord de médiation, ce dernier serait libéré ainsi, au moins dans son écriture, des difficultés qu’on peut faire subir, en d’autres lieux et en d’autres temps, à l’accord et au médiateur !
Une évidence s’impose aujourd’hui avec plus d’acuité encore : tant que le législateur ne clarifiera pas, sans ambiguïté ou sans formules interprétatives possibles, la nature spécifique et autonome du document issu de l’espace de médiation, ce dernier continuera à recevoir des formes et des dénominations totalement inadaptées voire contraire à l’esprit et à la logique de la médiation.
Discussions en cours :
L’article de Me Aufiere analyse bien la problématique de la nature juridique de l’accord de médiation en le distinguant de la transaction. Il aurait pu être complété par quelques données de la pratique. Quand un accord de médiation est signé, quel que soit son intitulé, il comprend généralement une clause aux termes de laquelle le demandeur se désiste de son action. C’est, au demeurant, ce que souhaitent les juges, car la procédure d’homologation est presque aussi lourde que celle au fond et prend donc une place à l’audience, ce qui retarde d’autant les autres affaires et fait perdre de son intérêt à la médiation en termes de traitement des procédures.
Une fois le désistement enregistré, la procédure ne peut plus se poursuivre, même si le juge, saisi d’une demande d’homologation refuse d’y faire droit. On se trouve dès lors dans une impasse. Cette situation peut aussi se présenter lorsque l’autorité de tutelle conteste la régularité de l’accord. Il est donc capital que les avocats se préoccupent de la régularité juridique de l’accord de médiation et que le médiateur, le cas échéant, attire leur attention sur ce point. Heureusement, il est très rare qu’il y ait une demande d’homologation et le plus souvent les accords sont spontanément exécutés.
S’il doit y avoir une demande d’homologation, il vaudrait mieux qu’elle intervienne avant le désistement. Mais en tout état de cause, selon la jurisprudence, le jugement d’homologation ne préjuge pas de la régularité de l’accord. Le juge se borne à exercer son imperium pour permettre l’exécution forcée. L’homologation n’interdit pas aux parties de contester la régularité de l’accord au fond, de sorte qu’il existe toujours une petite porte dérobée pour continuer le duel judiciaire. il appartiendra alors aux juges de sanctionner les comportements abusifs.
Cet article co-écrit avec Me Aufière- a pour objet de pointer l’extrême vigilance à apporter dans la rédaction de l’écrit issu de l’espace de médiation qui - comme tout écrit et quelle qu’en soit sa dénomination- produit des effets de droit . Ce soin particulier doit animer tout accord de médiation qu’il soit, ou non, suivi d’une requête en homologation.
La médiation repose en effet sur la coopération et son issue, corrélativement, sur la volonté exécutoire des personnes justifiant de ce que le juge ne soit que peu souvent saisit en homologation.
Selon un constat issu de ma pratique (qui a également impulser la rédaction de cet article), l’intérêt pour l’ homologation est grandissant en même temps que se développe le recours à la médiation.
La question est donc assurément, d’actualité.
bonjour
Qu’advient il lorsque une partie s’est engagée à agir sous un délai d un an lors d’un accord de médiation, et que, au bout de ce délai de un an, cette partie n’a toujours pas exécuté les engagements qu’elle avait pris ?
Est il alors possible possible de réintroduire la demande d’origine auprès du tribunal administratif ?
Bien cordialement
Jean François Andrieux
Merci d’avoir pointé l’importance pour le médiateur de s’assurer du consentement effectif des parties, de la licéité de l’objet, du respect des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition et le respect de l’ordre public.
Il est également important de souligner la responsabilité du rédacteur d’acte . Son obligation est une obligation de résultat.
Il faut également noter qu’en matière administrative la situation est différente qu’en matière de droit privé.
Lors de la formation dispensée par Monsieur Jouguelet Conseiller d’Etat honoraire, sur la médiation administrative il a beaucoup insisté sur l’omniprésence de l’ordre public en matière administrative.