Une journaliste en CDD obtient en appel 145.000 euros pour licenciement abusif et différents rappels de salaires.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # licenciement abusif # requalification de contrat # indemnités salariales # heures supplémentaires

Entre 2009 et 2013, Madame X a été engagée par la société France Télévisions par 63 contrats de travail à durée déterminée en qualité de chroniqueuse puis de journaliste pigiste.

Le 30 septembre 2013, Madame X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de diverses demandes parmi lesquelles la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, la requalification de la rupture du contrat de travail le 10 octobre 2013 en licenciement nul et subsidiairement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la rémunération d’heures supplémentaires.

Dans un arrêt du 13 avril 2016, la cour d’appel de Paris a condamné la société France Télévisions à payer à une journaliste employée sous CDD d’usage depuis 4,5 ans, 145 000 euros à titre d’indemnités de rupture et de rappel de salaires.

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La société France Télévisions reconnaît à Madame X la qualité de journaliste et la classification de cadre.

1.1) Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et ses conséquences.

1.1) Sur la requalification.

Madame X a été engagée par la société France Télévisions au cours des années 2009 à 2013 par 63 contrats de travail à durée déterminée d’usage pour collaborer à l’émission « Thé ou Café » diffusée 2 fois par semaine ; entre le mois de septembre 2009 et le mois de septembre 2013, elle a collaboré à cette émission presque chaque mois ; elle a effectué, pour les années pleines, entre 222 et 255 jours de travail par an ; les tâches qui lui étaient confiées au cours de chacun des contrats de travail à durée déterminée étaient identiques.

Eu égard à l’activité de la société France Télévisions qui diffuse des émissions télévisées suivant une grille de programmation régulière et aux tâches confiées à Madame X dans le cadre d’une seule émission à diffusion périodique, les fonctions de journaliste exercées par cette dernière durablement et régulièrement durant plusieurs années consécutives, sont inhérentes à la préparation et la diffusion de l’émission « Thé ou Café » et ne peuvent être qualifiées de temporaires.

Le contrat de travail, résultant de contrats de travail conclus en violation des dispositions de l’article L 1242-1 du Code du travail, est réputé à durée indéterminée. Le jugement est confirmé.

1.2) Sur l’indemnité de requalification.

Compte tenu du montant du salaire mensuel convenu entre la société France Télévisions et Madame X, le montant de l’indemnité au titre de l’article L 1245-2 du Code du travail allouée par conseil de prud’hommes est confirmé.

1.3) Sur la rupture du contrat de travail.

Au cas d’espèce Madame X a, le 30 septembre 2013, dernier jour de son contrat de travail, saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée précédemment conclus entre elle et la société France Télévisions, mais aussi de demandes d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité légale de licenciement, ce qui établit que dès cette date, la salariée considérait rompues les relations contractuelles de travail.

Au regard de cette position, dont l’employeur avait été informé par la réception de la convocation devant le conseil de prud’hommes, la société France Télévisions qui a constaté que la salariée tenait pour acquise la rupture des relations contractuelles dès le 30 septembre 2013, établit que sa décision de ne plus proposer postérieurement à cette date à Madame X la poursuite de la relation de travail, était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par la salariée, de son droit d’agir en justice. La décision du conseil de prud’hommes est confirmée.

En l’absence de toute lettre de licenciement, la rupture par l’employeur du contrat de travail à durée indéterminée de Madame X s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, lui ouvrant droit à l’allocation des indemnités suivantes :

1.3.1) Indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

Sur la base d’un salaire moyen mensuel de 3.625,05 euros, le montant de l’indemnité compensatrice de préavis s’élève à 10 875,15 euros.
Il s’y ajoute une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis d’un montant de 1087,51 euros.

1.3.2) Indemnité conventionnelle de licenciement et indemnité pour licenciement sans cause.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, supérieur à 10 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Madame X, de son âge de son ancienneté, 4,5 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L.1235-3 du Code du travail, une somme de 34.660 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2) Sur les demandes salariales.

2.1) Sur la prescription.

Au cas d’espèce, Madame X a introduit son action devant le conseil de prud’hommes le 30 septembre 2013, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. A la date de la promulgation de cette loi, le 17 juin 2013, la prescription quinquennale sur toute demande de rappel de salaire dû à compter de la date de conclusion du premier contrat de travail à durée déterminée de Madame X, le 18 mars 2009, n’était pas acquise, de sorte que le nouveau délai de 3 ans a commencé à courir à cette date, sans toutefois que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée de 5 ans prévue par la loi antérieure.
Il en résulte que l’action de la salariée engagée par la saisine de la juridiction prud’homale le 30 septembre 2013, soit dans les cinq ans qui ont suivi la conclusion du contrat de travail, l’a été dans le délai de la prescription et a interrompu la prescription de toutes les actions procédant de l’exécution du contrat de travail, y compris pour ce qui regarde les créances salariales.

2.2) Sur les heures supplémentaires.

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accompli, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Madame X, pour étayer sa demande, produit aux débats son agenda pour les années considérées, dans lequel elle a fait figurer jour par jour ses horaires de travail, en précisant très souvent la nature de son activité, comme par exemple le nom de la personne concernée par le reportage, le sujet de celui-ci, ou le lieu de ses déplacements.

Elle verse également aux débats des réservations de train qui corroborent son agenda quant aux heures de début ou de fin d’activité pour une partie des jours travaillés. Ainsi Madame X étaye suffisamment sa demande en produisant des éléments précis quant à ses horaires, permettant à la société France Télévisions de fournir ses propres éléments.

La cour retient que Madame X a réalisé 67 heures supplémentaires en 2009, 445,50 heures supplémentaires en 2010, 667,75 heures supplémentaires en 2011, 369,25 heures supplémentaires en 2012 et 289,25 heures supplémentaires en 2013, ce qui détermine que l’employeur doit lui verser, sur la base du salaire convenu, 20.454,29 euros à titre de rémunération de ces heures supplémentaires, ainsi que 2.045,42 euros au titre des congés payés afférents et 1.704,52 euros au titre du 13ème mois.

2.3) Sur les demandes au titre du repos compensateur.

Madame X fait valoir qu’elle a travaillé un nombre d’heures supplémentaires excédant le contingent annuel de 220 heures prévu par l’article D 3121-14-1 du Code du travail mais qu’elle ne s’est pas vu attribuer le repos compensateur qui est la contrepartie obligatoire pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel.

La cour d’appel a retenu que Madame X avait réalisé au cours de l’exécution de son contrat de travail des heures supplémentaires dont le nombre a été précisé ci-dessus, ce qui détermine, pour les années 2010 à 2013, un dépassement du contingent réglementaire de 225,50 , 447,75 , 149,25 et 69,25 heures.

Sur la base des heures excédentaires ci-dessus quantifiées et du montant horaire de rémunération de Madame X, cette dernière est en droit d’obtenir, en compensation des repos compensateurs, le versement par la société France Télévisions d’une indemnité de 20.577,12 euros.

2.4) Sur les demandes relatives à la récupération des jours fériés travaillés.

Madame X fait valoir qu’en vertu de l’article 34 de la convention collective nationale des journalistes, le travail effectué les jours fériés donne lieu à récupération, que l’additif de l’audiovisuel public édicte que le repos compensateur prévu à l’article 34 de la C.C.N.T.J. donne lieu à l’attribution forfaitaire au journaliste de 15 jours ouvrés, ou 21 jour calendaires, de congés par an s’ajoutant aux congés prévus par l’article 31-2, qu’elle a travaillé 4 jours fériés en 2010, 4 jours fériés en 2011 et 2 jours fériés en 2012, sans qu’elle se soit vu attribuer forfaitairement 15 jours ouvrés de congés par an en compensation du travail effectué les jours fériés. Elle sollicite la condamnation de la société France Télévisions à lui verser 7.020 euros bruts à titre de rémunération compensatrice, outre 702 euros bruts au titre des congés payés afférents et 585 euros bruts au titre du 13ème mois.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, les demandes salariales afférentes à l’année 2010 ne sont pas prescrites.

Madame X n’a pas bénéficié des congés acquis auxquels elle pouvait prétendre en compensation du travail effectué au cours des jours fériés par application des dispositions conventionnelles et des accords alors en vigueur.

En cas de rupture du contrat de travail non provoquée par la faute lourde du salarié, celui-ci a droit, lorsqu’il n’a pas bénéficié de la totalité du congé auquel il avait droit, au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés. Il est dû à Madame X, à raison de 45 jours de congés non pris, sur la base d’une rémunération journalière de 156 euros, 7.020 euros outre 702 euros au titre des congés payés afférents et 585 euros au titre du 13ème mois.

3.6) Sur les demandes de rappel de salaire relatives au 2 mars 2012 et 25 mai 2013.

Madame X soutient qu’elle travaillé le vendredi 2 mars 2012 ainsi que le samedi 25 mai 2013, alors que pour ces journées, elle n’avait reçu aucun contrat ni aucune rémunération ; elle réclame la somme de 312 euros de rappel de salaire, 31,20 euros au titre de congés payés et 26 euros au titre du 13ème mois.

Madame X étaye ses demandes de façon suffisamment précise par la production de son agenda qui mentionne la nature de son activité pour les deux jours en question, ainsi qu’un planning de la journée du 25 mai 2013.

En conséquence, la cour retient que ces deux journées ont été effectivement travaillées par Madame X, ce qui lui ouvre droit à rémunération. Sur la base précitée de 156 euros par jour de travail, il est dû à Madame X 312 euros à titre de salaire, 31,20 euros à titre de congés payés afférents et 26 euros au titre du 13ème mois. Sur la demande de majoration de la rémunération du 1er mai 2010 Madame X sollicite le versement de 156 euros à titre de rappel de salaire, outre congés payés et 13ème mois afférents, pour avoir travaillé le 1er mai 2010.

3.7) Travail le 1er mai 2010.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, les demandes de nature salariale afférentes à l’année 2010 ne sont pas prescrites. Les salariés occupés le 1er mai, jour férié et chômé, ont droit, à la charge de leur employeur, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire.

Madame X qui a travaillé le 1er mai 2010 est en droit d’obtenir à ce titre 156 euros à titre d’indemnité pour travail le 1er mai, outre 15,60 euros au titre des congés payés afférents et 13 euros au titre du 13ème mois. Le jugement est confirmé.

3.8) Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire.

Madame X fait valoir qu’elle a travaillé 13 jours consécutifs du 24 mai au 5 juin 2010 et 11 jours consécutifs du 21 au 31 mai 2013, soit plus de 6 jours de travail consécutif sans aucun jour de repos, de sorte que la société France Télévisions ne respectait pas les dispositions légales et réglementaires relatives au repos hebdomadaire.

Elle sollicite l’allocation de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts. Madame X étaye de façon suffisamment précise sa demande en versant aux débats le relevé de ses jours travaillés au cours de certains week-ends, entre deux semaines travaillées. La société France Télévisions ne produit pas d’élément contraire.

Ceci détermine la cour à retenir qu’à deux reprises, la salariée a travaillé plus de 6 jours consécutifs sans jours de repos, ce qui contrevient aux dispositions de l’article L 3132-1 du Code du travail.

Le non-respect des dispositions en cette matière par l’employeur cause à la salariée un préjudice qui n’est pas réparé par le simple paiement des salaires et qui le sera par l’allocation de dommages et intérêts d’un montant de 500 euros.

3.9) Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire de travail.

Madame X fait valoir que du fait des nombreuses heures supplémentaires effectuées, elle a dépassé régulièrement la durée maximale hebdomadaire de travail, en travaillant au-delà de 48 heures par semaine, ou 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives.

La société France Télévisions lui oppose les mêmes observations que celles faites relativement aux temps de repos hebdomadaire. Le tableau produit par Madame X étaye de façon suffisamment précise sa demande quant à l’existence des dépassements de la durée hebdomadaire du travail.

La cour retient en conséquence que la durée hebdomadaire de travail de Madame X a dépassé la durée maximale hebdomadaire de travail, en violation par la société France Télévisions des dispositions des articles L 3121-35 et L 3121-36 du Code du travail, ce qui a causé à Madame X un préjudice qui est réparé par l’allocation de dommages et intérêts d’un montant de 3.000 euros.

3.10) Sur la demande de rappel de 13ème mois entre le 16 mars 2009 et le 1er octobre 2010.

Faisant valoir qu’elle avait depuis son embauche la qualité de journaliste, et se fondant sur les dispositions de l’article 25 de la convention collective nationale des journalistes et de l’additif audiovisuel, Madame X demande la condamnation de la société France Télévisions à lui payer 3.068 euros bruts à titre de rappel de 13ème mois et les congés payés afférents d’un montant de 306,80 euros bruts.

La société France Télévisions admet qu’elle verse cette prime à ses collaborateurs permanents et occasionnels, mais que pour ces derniers, celle-ci est calculée prorata temporis.

En conséquence, il est dû à Madame X 6.063 euros au titre de la prime de fin d’année pour les trois années considérées.

3.11) Sur la demande de paiement du supplément familial.

Les créances au titre d’un supplément de salaire pour les années 2009 et 2010 ne sont pas prescrites. L’accord collectif du 28 mai 2013 prévoit lui aussi l’allocation d’un supplément familial pour les salariés qui ont des enfants à leur charge effective, ce qui était le cas de Madame X.
Pour la période d’emploi, il reste dû à Madame X par la société France Télévisions, compte tenu du nombre de ses enfants à charge effective, la somme de 156,42 euros x 55 = 8.603 euros.

3.12) Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du paiement tardif des salaires d’avril et septembre 2013.

Madame X fait valoir qu’à 3 reprises au cours de l’année 2013 son salaire lui a été versé avec retard, ce qui lui a créé un préjudice qu’elle estime à 15.000 euros dans le dispositif de ses conclusions. La société France Télévisions fait valoir que les retards de paiement de deux des salaires est dû à une erreur, et que s’agissant du paiement du mois de septembre, une régularisation est intervenue mi-octobre. Il appartient à l’employeur de respecter les règles fixant la périodicité de la paie.

La société France Télévisions ayant versé à 3 reprises le salaire de Madame X avec retard, elle a manqué à son obligation et occasionné à sa salarié un préjudice qui peut être chiffré, en tenant compte notamment d’un remboursement d’agios opérés par l’employeur, à 300 euros.

3.13) Sur la demande de dommages-intérêts pour mauvaise exécution du jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 6 octobre 2014

Aux termes de l’article R 1454-8 du Code du travail, est de droit exécutoire à titre provisoire le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer. La société France Télévisions ne justifie pas avoir remis à Madame X les bulletins de paie comme ordonné par le conseil de prud’hommes. Ce manquement a nécessairement causé un préjudice à Madame X, fondée à obtenir ces documents sans délai, préjudice qui sera réparé par l’allocation à titre de dommages et intérêts d’une somme de 800 euros.

La société France Télévisions sera condamnée à payer à Madame X la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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