Les règles d’urbanisme et les rapports entre colotis.

Par Emmanuel Lavaud, Avocat.

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Explorer : # urbanisme # lotissement # caducité # contrat

Dans un arrêt du 21 janvier 2016, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence sur les règles d’urbanisme comprises dans les cahiers des charges d’un lotissement en jugeant qu’un cahier des charges « constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues, la cour d’appel a décidé à bon droit qu’il n’y avait pas lieu à question préjudicielle devant la juridiction administrative et que ces dispositions continuaient à s’appliquer entre colotis ».

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L’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme, dans sa version issue de la Loi n°2014-366 du 24 mars 2014, plus connue sous le nom de loi ALUR, dispose que :

« Les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu.

De même, lorsqu’une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s’appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu, dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes ».

La nouveauté de cette rédaction réside, notamment, dans le fait que sont désormais également caduques passé le délai de 10 ans les règles d’urbanisme contenues dans «  les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé ».

La philosophie de la réforme paraissait relativement claire, mettre fin à la contractualisation des règles d’urbanisme. C’est-à-dire faire obstacle à ce que passé le délai de 10 ans les règles d’urbanisme contenues dans le cahier des charges puissent être invoquées devant l’administration, devant le juge administratif, mais également dans le cadre d’un contentieux privé, devant le juge civil.

Comme l’écrivait un confrère au sujet de cette réforme «  il s’agit ici de faire obstacle à l’application après dix ans, de clauses contraires à la densification et la mixité sociale dans les lotissements par le juge judiciaire, après qu’elles aient perdu toute force normative à l’égard de l’autorité administrative compétente » (Patrice Cornille, Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – Impact sur le dossier du lotissement – De l’impact sans précédent de la loi ALUR sur le dossier du lotissement, Jurisclasseur Construction – Urbanisme, 10 aout 2014).

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation vient pourtant de juger le contraire (Cass. 3ème Civ., 21 janvier 2016, n°15-10566).

Dans cet arrêt publié au bulletin, un coloti avait obtenu la condamnation de son voisin à faire démolir l’extension de sa maison au motif qu’elle ne respectait pas les dispositions de l’article 15 du cahier des charges du lotissement limitant la superficie des constructions pouvant être édifiées sur chaque lot.

Le voisin contestait cette condamnation devant la Cour de cassation en arguant du fait que les règles d’urbanismes contenues dans le cahier des charges devaient être regardées comme caduques en application de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme.

Cet argument aurait sans doute été soutenu par une majeure partie de la doctrine et des praticiens.

La Cour de cassation a pourtant censuré ce raisonnement, en confirmant la condamnation à démolir prononcé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence et en retenant que « ayant exactement retenu que le cahier des charges, quelle que soit sa date, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues, la cour d’appel a décidé à bon droit qu’il n’y avait pas lieu à question préjudicielle devant la juridiction administrative et que ces dispositions continuaient à s’appliquer entre colotis  ».

Par cette solution, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure et le fait que les règles d’urbanismes perdurent aussi longtemps que le document contractuel qui les contient.
Si cet arrêt est discutable, il n’est pas tout à fait une surprise.

D’abord parce que le tribunal de grande instance de Grasse a retenu la même solution en jugeant que « si les règles d’urbanisme propres à un lotissement sont toutes frappées de caducité du point de vue du droit de l’urbanisme et cessent de produire effet à l’égard de l’administration qui n’a plus à en tenir compte pour délivrer des autorisations, elles subsistent néanmoins à titre contractuel dans les rapports des colotis entre eux, lorsqu’elles procèdent du cahier des charges  » (TGI de Grasse, 13 avril 2015, n°2015/117).

Ensuite parce que le gouvernement avait laissé entendre dans une réponse ministérielle ambigüe que l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme ne modifie pas les rapports entre colotis pour lesquelles les dispositions contractuelles restent applicables.

« Dans la mesure où ces dispositions relatives à la caducité des documents du lotissement portent uniquement sur les règles d’urbanisme, elles ne sauraient remettre en cause les stipulations de cahier des charges de lotissement régissant les rapports entre colotis. De telles stipulations sont en effet de nature conventionnelle. Elles relèvent ainsi de la liberté contractuelle dont jouissent les colotis. Par ailleurs, elles ne peuvent par définition pas entrer en contradiction avec les règles édictées dans un PLU ou un document d’urbanisme en tenant lieu. Ces documents ont en effet pour objet d’édicter des règles d’urbanisme, par essence de portée générale, dans les conditions fixées par le Code de l’urbanisme  » (Rép. min. n°82539 : JOAN Q, 10 novembre 2015, p. 8247).

Cette réponse n’était pas satisfaisante. Le gouvernement répond en effet en faisant une distinction entre « règles d’urbanisme » et « stipulations de cahier des charges de lotissement régissant les rapports entre colotis ».

La classification d’une disposition dans l’une de ces deux catégories serait donc pour le gouvernement exclusif de l’autre catégorie.

Rien n’est pourtant moins certain. En effet, une règle d’urbanisme peut être également une stipulation de cahier des charges de lotissement régissant les rapports entre colotis.
C’était d’ailleurs tout l’enjeux de la question qui a été posée le 3 novembre 2015 par Patrick Labaune (Q. n°90849 publiée au JO le 3 novembre 2015, page 8066).

Quoi qu’il en soit, il demeure aujourd’hui encore que les règles d’urbanisme comprises dans un cahier des charges permettent d’obtenir la démolition de la construction édifiée sur un lot voisin, alors même que le permis de construire qui l’a autorisée est définitif, et que les règles d’urbanismes qu’elle violent ont plus de 10 ans.

La contractualisation des règles d’urbanisme a donc encore une longue vie devant elle.

Il est étonnant qu’il puisse y avoir un tel consensus sur une idée simple : faire obstacle à la contractualisation des règles d’urbanisme. Et qu’il soit si compliqué d’y mettre fin par une réforme législative claire.

Emmanuel Lavaud,
Avocat au barreau de Bordeaux
legide-avocats.fr

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Discussions en cours :

  • La jurisprudence de la Cour de Cassation n’est pas surprenante en la matière. Il est par contre surprenant que le gouvernement, qui a fait de la loi ALUR un élément capital devant faciliter la densité urbaine, se soit démontré incapable de résoudre le problème d’incompatibilité entre l’alinéa 3 de l’article L442-9 du code de l’urbanisme , écrit en contradiction avec les 2 alinéas antérieurs ! ceci entrainant des interprétations ambiguës dans les lotissements, des co-lotis estimant de bonne foi pouvant procéder à des constructions autorisées par ailleurs par un permis de construire...

    • par Enkidou , Le 16 janvier 2017 à 16:39

      Bonjour.

      La Cour de Cass semble dans son arrêt ignorer totalement (et volontairement) la loi ALUR. Elle semble donc considérer qu’une loi n’a par hypothèse aucun effet sur l’opposabilité d’une convention privée à l’égard de l’un des co-contractants, quel que soit le contenu de l’une et de l’autre - ce qui est un curieux principe, puisqu’il semble faire fi de l’existence de dispositions d’ordre public.

      Si l’on poursuit le raisonnement : dès lors que la convention en question (le cahier des charges du lotissement) est de durée indéterminée, il n’est aucunement besoin pour les colotis de renouveler ces règles au bout de 10 ans : on se demande alors pour quelle raison des générations de colotis l’ont fait.

      Par ailleurs, il faudrait aussi en conclure que la disposition "balai" de l’article 442-9 ("Toute disposition non réglementaire ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire [...] cesse de produire ses effets dans le délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 précitée si ce cahier des charges n’a pas fait l’objet, avant l’expiration de ce délai, d’une publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier") est également inopposable entre colotis.

    • par lucien , Le 7 janvier 2021 à 14:52

      bonjour,
      les obligations entre colotis sont elles toujours d’actualité, malgré les dernières lois qui abolissent tout ?
      le cahier des charges (1968) obligeait de construire à 4.00 minimun des limites avec 6.00 hauteur max .
      une toiture (40m2) sur pilier a été édifié en limite plein sud.
      avec ces changements de loi, j’aurai construit et orienté ma maison différemment.
      quel argument faut il avancer , et contre qui, la mairie ou le voisin "colotis" , pour ne pas engorger inutilement les tribunaux et faire des frais pour rien.
      merci.

  • Dernière réponse : 3 septembre 2017 à 10:07
    par pierre , Le 10 août 2016 à 11:55

    Je comprends la volonté du législateur de densifier les communes mais quid de la notion de lotissement
    Si vous achetez une maison dans un lotissement vous savez que vous avez un cahier des charges a respecter
    Vous achetez aussi un environnement qui donne une certaine valeur a votre maison et un cadre de vie
    Et puis y a un gouvernement qui vient vous dire que c’est fini et que votre voisin peut diviser son terrain presque comme il veut en contravention du cahier des charges du lotissement
    Est ce normal ??
    Pour moi on touche aux limites du contrat qui est la base des économies occidentales et presque à la notion de propriété
    Dans la commune ou je vis, j"habite un lotissement et autour de nous il y a plusieurs lotissements de style très diffèrent
    Je n’ai pas forcément envie que mon lotissement devienne comme celui d"a cote où les maisons se touchent presque
    Questions de point de vue

    • par Yves , Le 3 septembre 2017 à 10:07

      J’approuve l’analyse précédente.
      Seul dans les pays totalitaires il serait simple d’effacer ce qui a fait l’histoire des lotissements.
      Nous sommes bien dans un pays où l’urbanisation s’est organisée très souvent par la création de lotissements privés.
      L’Etat et les collectivités ont de tout temps "délégué" cet aménagement du territoire.
      Pour mener à bien ces projets, des règles ont été créées entre colotis au travers de Cahiers des charges.
      Il faudrait maintenant qu’on efface cette histoire et qu’on accepte de ne pas tenir compte par exemple des actes de ventes qui mentionnent l’obligation de respecter les stipulations inscrites dans les Cahiers des charges ???
      J’habite en Bretagne dans un lotissement de bord de mer avec un cahier des charges qui limite les constructions. Des investisseurs ont vu avec la loi Alur la possibilité de bétonner et de ne pas tenir compte du Cahier des charges .
      Un grand merci à la Cour de cassation d’avoir confirmé l’obligation qui est faite aux colotis de respecter le cahier des charges et donc nos engagements..

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