Les points à retenir de la définition du harcèlement moral et qui doivent être nécessairement présents pour que le juge puisse retenir une telle qualification à l’encontre de l’employeur résident :
1) dans le caractère répétitif des agissements de harcèlement ;
2) leurs conséquences (dégradations des conditions de travail portant atteinte à la santé physique et mentale du salarié, compromission de l’avenir professionnel du salarié) ;
3) l’absence de désignation du harceleur, ce qui conduit à adopter la conception la plus large possible. Le harceleur n’est pas forcément l’employeur.
Le harcèlement moral peut avoir deux origines :
- le comportement inacceptable d’un ou plusieurs individus ;
- l’environnement de travail.
Exemple : la Cour de cassation a affirmé qu’un style managérial pouvait être générateur de harcèlement (Cass. soc., 10 nov. 2009, no 07-45.321).
Ont aussi été retenus par les juges : des propos injurieux ou à caractère sexuel, des persécutions injustifiées, le dénigrement devant les autres salariés, des procédures disciplinaires systématiques et non abouties, des retraits de missions, prérogatives et moyens de travail, des procédés d’isolement, une surcharge de travail, le non respect des arrêts de travail, le non respect des liens hiérarchiques, etc.
1. Le caractère répétitif
Les tribunaux se sont, jusqu’à maintenant, attachés à vérifier que les agissements que le salarié mettait en avant étaient bien répétitifs (Cass. soc., 4 avr. 2006, no 04-43.929).
Un acte isolé ne peut donc satisfaire à la définition légale du harcèlement moral au travail.
Cette exigence d’actes répétitifs va continuer à être exigée dans les cas où la victime ne peut pas relier le harcèlement moral dont elle se plaint à une discrimination prohibée.
Cette répétition est admise même sur une courte période.
Outre le caractère répétitif requis, selon l’article L. 1154-1 du Code du travail, « le salarié établit des faits permettant présumer des agissements de harcèlement moral ».
La seule obligation du salarié dans l’administration de sa preuve est donc d’établir la matérialité de faits précis et concordants, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral (Cass. soc., 15 nov. 2011, no 10-10.687).
Conseil : Salariés, vous pouvez par exemple produire des témoignages de vos collègues ou anciens collègues attestant de votre harcèlement. Vous pouvez aussi faire attester les interlocuteurs de la société (fournisseurs, clients etc.)
Vous pouvez produire les correspondances avec votre employeur (messagerie interne, SMS, messages laissés sur un répondeur, courriers de sanctions disciplinaires, de rappel à l’ordre). Attention, l’enregistrement à son insu de votre employeur ne constitue pas une preuve admissible en justice car cela constitue un mode de preuve déloyal.
Pensez aussi à notifier par écrit à votre employeur que vous êtes victimes de harcèlement sur votre lieu de travail, qui plus est, lorsque votre notification est restée sans réponse ou action de sa part.
Par ailleurs, vous pouvez produire vos courriers d’alerte auprès des institutions représentatives du personnel (Ddlégués du personnel, délégués syndicaux, CHSCT,) du médecin du travail et de l’inspection du travail.
2. La conséquence des actes de harcèlement
L’article L.1152-1 prévoit que la dégradation des conditions de travail doit « être susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Par conséquent, il n’y a aucune obligation à ce que le dommage se soit déjà produit pour prouver un harcèlement.
En outre, la volonté du législateur a été de ne pas être restrictif quand il parle de dégradations des conditions de travail mais il semble évident qu’il a voulu viser ici les conditions psychologiques de travail.
Sur les conséquences du harcèlement qui ont déjà produit leur effets et en premier lieu l’altération de la santé physique et mentale, dans bien des cas, le harcèlement moral est souvent rejeté par l’employeur au motif que les seuls arrêts de travail fournis par le médecin traitant de ce dernier ne sauraient sous entendre à eux seuls l’existence d’un harcèlement moral au travail.
Néanmoins, si le juge ne peut se fonder uniquement sur l’altération de l’état de santé, à l’inverse, il ne doit pas non plus négliger cet aspect des choses, aussitôt que le salarié l’a soulevé (Cass. soc., 26 mai 2010, no 08-43.152).
Il ne doit négliger aucun des éléments apportés par le salarié. Ainsi le juge doit examiner la pièce médicale produite par la salariée.
En effet, le médecin du travail n’a, en matière de harcèlement moral, aucun monopole et les certificats des médecins traitants doivent être pris en compte par les tribunaux (Cass. soc., 16 juin 2011, no 09-40.922).
Il est à noter qu’un harcèlement n’a pas besoin forcément d’être volontaire pour être retenu par les juges.
Avenir professionnel compromis : sont visées ici par le législateur la perte de chance pour le salarié de tout espoir de promotion interne mais aussi les vexations publiques qui pourraient mettre en cause un reclassement à l’extérieur de l’entreprise.
3. L’origine du harceleur
L’employeur reste responsable que le harcèlement moral provienne d’une personne qui exerce sur le salarié une autorité de droit ou de fait.
Contrairement aux idées reçues, le harcèlement ne provient donc pas forcément de l’employeur en personne.
Le harcèlement d’un salarié peut être commis par un supérieur hiérarchique, un collègue ou même un subordonné (Cass.crim, 06/12/2011, n°10-82.266).
De plus, le fait que l’auteur désigné du harcèlement ne soit pas un salarié de l’entreprise n’exonère pas non plus l’employeur de sa responsabilité.
Actualité : l’obligation de prévention de l’employeur : un point négligé par les dirigeants d’entreprise et mal exploité par les salariés en reconnaissance de leur harcèlement devant la justice.
La prévention du harcèlement moral est avant tout confiée au chef d’entreprise. Il lui appartient de prendre toute mesure en ce sens (article 1152-4 du Code du travail) ainsi que d’infliger des sanctions disciplinaires aux salariés auteurs de tels agissements (article 1152-5 du Code du travail).
La prévention doit donc bien être faite en amont, le fait de mettre fin, même rapidement, à des faits de harcèlement n’exonère pas l’employeur de sa responsabilité.
En effet, une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés incombe à l’employeur.
Pour faire simple, si un harcèlement a pu commencer à se produire au détriment d’un salarié, l’employeur est responsable dans tous les cas même en l’absence de faute de sa part (Cass. soc. 21.06.2006, n° 05-43.914 ; Cass. soc. 10.05.2012, n° 11-11.152).
Conseil : le salarié a alors tout intérêt à faire appel à un avocat pour prendre conseil s’il estime être déjà victime de harcèlement.
De plus, le manquement de l’employeur à cette obligation de résultat en matière de harcèlement justifie la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par la victime du harcèlement (Cass. soc., 23 janv. 2013, no 11-18.855 ; Cass. soc., 15 janv. 2015, no 13-17.374).
Vers une obligation de moyens renforcée ?
Un arrêt très récent de la Cour de cassation semble offrir la possibilité à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral mais uniquement s’il justifie de conditions très strictes ! (Cass, soc. 01/06/2016, n°14.-19.702)
En effet, il appartient à l’employeur de justifier :
- non seulement qu’il a pris, en aval, toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement.
Exemples : recevoir le salarié harcelé en entretien, mettre en place une une enquête interne pour prendre connaissance de la réalité des faits, organiser une visite du salarié auprès du médecin du travail même si celui-ci n’est pas en arrêt de travail, organiser une médiation entre les deux salariés en cause en faisant appel à un médiateur, sanctionner disciplinairement le salarié harceleur pouvant aller jusqu’à son licenciement pour faute grave comme la jurisprudence le permet, rédiger une note interne à l’ensemble des salariés pour ne pas ostraciser le harceleur présumé sur le harcèlement et ses conséquences en matière civile et pénale ;
- mais également qu’il a mis en place, en amont, une politique de prévention de qualité guidée par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail.
Et c’est sans doute cette dernière condition qui posera le plus de difficulté aux employeurs !
Conseil : employeurs, soyez donc très vigilants quitte à faire preuve de zèle si vous soupçonnez des problèmes relationnels dans votre entreprise. Cependant, même en l’absence de problèmes connus, vous devez mettre en place dans votre entreprise des actions de prévention et d’information à destination de vos salariés sur le harcèlement moral. Sinon vous pourriez être condamné si un de vos salariés était harcelé sans que vous le sachiez.
Faire reconnaitre son harcèlement : modalités pratiques
Salariés, vous êtes victime de harcèlement, vous pouvez :
- Décider de rappeler à l’ordre votre employeur son obligation de sécurité sur le harcèlement moral au travail, par courrier d’avocat, si vous désirez néanmoins rester à votre poste de travail et si vous estimez que la situation peut s’inverser en faisant valoir vos droits par un professionnel pour mettre fin à cette situation ;
- Alerter les institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, délégués syndicaux, comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail), la médecine du travail en sollicitant une visite médicale, l’inspection du travail ;
- Demander une procédure de médiation à votre employeur en application de l’article 1152-6 du Code du travail ;
- Prendre acte de la rupture de votre contrat aux torts de l’employeur même si vous êtes déjà placé en arrêt de travail du fait de la situation de harcèlement ;
- Demander la résiliation judiciaire de votre contrat de travail aux torts de l’employeur, dans ce cas vous restez dans les effectifs de la société jusqu’à la décision du juge qui marque la rupture du contrat si le harcèlement est reconnu ;
- Faire constater votre inaptitude à votre retour d’arrêt de travail de plus de 30 jours par le médecin du travail seul compétent en la matière.
La Cour de cassation considère comme nuls les licenciements prononcés pour inaptitude physique lorsqu’il était établi que cette inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement (Cass. soc., 10 nov. 2009, no 07-45.321)
En outre, l’employeur étant considéré comme toujours responsable du harcèlement moral dont un salarié est victime dans son entreprise, il peut se trouver confronté à une sanction de nullité « par ricochet ».
Ainsi, la Cour de cassation a considéré que l’absence prolongée du salarié étant la conséquence du harcèlement moral dont il était l’objet, l’employeur, responsable de cette situation, ne pouvait se prévaloir, pour justifier son licenciement, de la perturbation que cette absence avait causée au fonctionnement de l’entreprise.
Le licenciement a donc été déclaré nul sur le fondement de l’article L. 1132-1 du Code du travail comme étant intervenu en raison de l’état de santé du salarié (Cass. soc., 11 oct. 2006, no 04-48.314) donc discriminatoire..
Rappelons qu’un licenciement nul pour harcèlement moral donne droit pour le salarié à :
- Des dommages-intérêts du fait de la nullité du licenciement (au minimum 6 mois de salaire quels que soient votre ancienneté et l’effectif de l’entreprise) ;
- Une indemnisation complémentaire en réparation du préjudice moral du fait du harcèlement ;
- Des dommages-intérêts pour la violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur ;
- Une indemnité compensatrice de préavis si celle-ci n’a pas été réglé.
La nullité frappe également les autres ruptures discriminatoires imputables à l’employeur, lesquelles sont requalifiées en licenciements nuls. Il peut s’agir, par exemple, d’une résiliation judiciaire (Cass. soc., 20 févr. 2013, no 11-26.560) ou d’une prise d’acte, consécutives à des actes de harcèlement ou de toute autre situation assimilée par le juge à une rupture du contrat de travail, telle qu’une mise en inactivité (Cass. soc.,9 déc. 2014, no 13-16.045 et no 13-16.731).
Dans le même esprit, lorsqu’au moment de la rupture conventionnelle, le salarié se trouve dans une situation de violence morale du fait d’un harcèlement moral, la rupture conventionnelle est nulle du fait de son consentement vicié et peut s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 30 janv. 2013, no 11-22.332).
Lorsque l’acte incriminé n’est pas un licenciement ou une sanction susceptibles d’annulation par exemple un refus d’augmentation de salaire, de promotion – il devra donner lieu à réparation. Cette réparation se traduira par le rétablissement du salarié dans ses droits ou, si l’exécution en nature n’est pas possible, par l’octroi de dommages-intérêts.
Notez pour finir qu’une faute inexcusable de l’employeur, c’est à dire une violation de l’obligation de sécurité de résultat par ce dernier, peut être reconnue par le tribunal des affaires de sécurité sociale, en cas de harcèlement moral à l’origine d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Le T.A.S.S. condamne dans ce cas l’employeur à verser des dommages et intérêts à son salarié.
Dans tous les cas, chaque situation est unique et l’assistance d’un avocat est fortement conseillée que vous soyez employeur ou salarié afin de faire reconnaître vos droits..
Discussions en cours :
Les propos dégradants d’un employeur à mon encontre ( directrice adjointe) sont ils constitutifs d’une faute inexcusable ?
il en est résulté une reconnaissance en accident du travail..
le CHSCT doit il fournir au salarié concerné l’enquête menée en l’espece ?
a ce jour le CHSCT refuse.
quels sont les moyens de l’obliger pour prouver les faits ?
cordialement
Pour aider les victimes à collecter des preuves de ce qu’elles subissent,j’ai lancé une pétition...
N’hésitez pas à la signer !
Bonjour , votre article est très intéressant je suis actuellement en maladie professionnelle hors inscrite au tableau suite à un harcèlement morale et un burn-out je suis dans la fonction public et cela fait presque 2 ans que je suis en arrêt bien-sûr j’ai un avocat et un médecin conseil qui m’assiste dans les expertises c’est tres long et très difficile mais j’attend que justice soit faite !!!!de plus je souhaiterai faire médiatisé mon affaire
Bonjour, je suis victime aussi de souffrances au travail depuis plus de 4,5 ans que je suis en arret .
je me bas pour faire reconnaitre cette maladie d’origine professionnelle qui est longue je vous le confirme et complexe pour arriver au bout car je n’ai plus d’indemnités journalières par la cpam.
Je continue ma procédure en puisant mes économies.
Face au lois et au droit, on se retrouve seul dans ce combat quand on le vie.
Je partage votre avis pour que l’on arrive vite à porter devant les médias ce fléau qui nous détruit sur la durée et la santé.
Je m’associe à ce combat que je méne aussi.
cordialement