Fraude fiscale : faut-il rémunérer les aviseurs ?

Par Anthony Berger, Avocat.

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Explorer : # fraude fiscale # rémunération des aviseurs # lutte contre la fraude # dénonciation fiscale

C’est le sens de l’amendement au projet de loi de finances 2017 qui a été voté en commission par l’Assemblée nationale récemment.

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La lutte contre la fraude fiscale, une priorité

Cela n’échappe à personne. L’ambiance actuelle est à la chasse aux montages fiscaux opaques. Repérer et sanctionner de tels schémas est devenu une priorité absolue à l’échelle internationale. La France n’échappe bien entendu pas à cette course aux redressements.

HSBC, Panama Papers, UBS, etc. Autant d’affaires qui démontrent la réalité et l’ampleur du phénomène frauduleux.

Tout naturellement, les États se dotent alors de mécanismes législatifs visant à combattre les contribuables récalcitrants.

Dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2017, l’arsenal en la matière prévoit une disposition particulière. En effet, l’amendent N°II-CF275 au PLF2017 autorise l’administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, qui a fourni des renseignements ayant amené la découverte d’un manquement à une obligation fiscale.

Les députés favorables à une telle mesure

Pourquoi rémunérer les informateurs fiscaux ? Au regard du débat parlementaire actuellement en cours, les députés estiment que cette mesure assurerait une efficacité croissante de l’administration fiscale.

« La possibilité pour l’administration fiscale de rémunérer des aviseurs, à l’instar des administrations des grands pays de l’OCDE permettrait la poursuite et l’amplification de la lutte contre la fraude fiscale tant sur le plan national que sur le plan international ».

Deux objectifs fondamentaux sont ainsi poursuivis :

  • Prévenir les comportements délictueux de la fraude fiscale ;
  • Maintenir et amplifier l’action de l’administration dans son action de recouvrement des droits dus dans le respect des garanties légales accordées au contribuable.

Afin de s’assurer que le système sera gagnant pour l’administration, l’amendement précise que la charge représentée par la rémunération de l’aviseur n’est engagée que si l’administration fiscale recouvre effectivement les sommes en jeu.

A l’appui de l’amendement, un exemple est cité :
« A titre d’exemple de 2010 à 2016, le land allemand de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a acheté onze CD ou clés USB à des banques aux pratiques indélicates. Coût total de 18 millions d’euros pour un retour sur investissement de plus de 6 milliards d’euros pour le budget fédéral ; 2,1 milliards d’euros pour les seules finances de la région. »

Un amendement adopté

L’amendement adopté institue un article après l’article 51 du PLF2017 prévoyant d’insérer au LPF un article L. 10 BAA au ainsi rédigé :
« Art. L. 10 BAA. – À titre expérimental et pour une durée de deux ans, le Gouvernement peut autoriser l’administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené la découverte d’un manquement à une obligation fiscale.
« Dans le cadre de leur mission, les agents des finances publiques peuvent utiliser les documents remis par toute personne étrangère aux administrations publiques, sans que cette utilisation ne puisse donner lieu à des poursuites au titre de l’infraction visée à l’article 321-1 du code pénal.
« Les conditions et modalités de l’indemnisation sont déterminées par arrêté du ministre chargé du budget.
« Chaque année, le ministre chargé des finances communique au Parlement un rapport sur l’application de ce dispositif d’indemnisation. Il comporte notamment le nombre de mises en œuvre de ce dispositif et le montant des indemnisations versées. »
II. – Les dispositions du présent I entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

La légalisation de la dénonciation

A la lecture de cet amendement, l’on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas, en termes plus clairs, de légaliser la pratique de la dénonciation.

Il faut bien préciser tout d’abord que la mesure est provisoire, expérimentale. Sa durée est prévue pour 2 ans, dans un premier temps. L’idée est bien entendu de procéder à des tests sur l’efficacité et sur la réalité du projet. On ne peut pas, à proprement parler, dire qu’il s’agit d’ancrer la dénonciation au sein du Code général des impôts.

Par ailleurs, c’est bien de la rémunération des aviseurs dont on parle et non du fait de la dénonciation en lui-même. Aujourd’hui, la dénonciation fiscale est une réalité, très pratiquée. Le fisc assure ne pas se mobiliser au sujet des dénonciations anonymes, mais enquête bel et bien lorsque le dénonciateur est identifié.

Et puis, ne soyons pas dupes. La pratique de la rémunération des informateurs a existé en son temps. Nicolas Sarkozy en avait prohibé l’utilisation. Mais affirmer qu’il s’agit là d’une nouveauté serait purement mensonger.

Au lieu de légalisation de la dénonciation, je pense qu’il faut plutôt évoquer l’idée d’une organisation de cette pratique. Le flou qui existe en la matière mérite certainement un balayage pour éclaircir les situations et placer les informateurs dans un cadre sécuritaire.

Un choix de société

L’idée de rémunérer les indics fiscaux portent en elle-même le poids d’un choix sociétal. Il y aurait des arguments pour, des arguments contre.

Le fait est, et réside, que permettre de rémunérer des aviseurs n’est pas anodin. Il est difficile à l’heure actuelle d’anticiper l’ampleur de la mesure. Permettra-t-elle à certains de sortir du bois ? Encouragera-t-elle des contribuables à se remettre dans le droit chemin ? Difficile à dire.

Reste que la société devra assumer les conséquences de son choix. Il me semble que la dénonciation doit rester dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui les lanceurs d’alerte. Afin d’éviter les abus et les fantaisies (je dénonce mon voisin pour 100 euros...). Or, ces lanceurs d’alerte, bien souvent, n’opèrent pas par appât du gain. En est-il de même des « petits aviseurs » ? Outre les dérives manifestes qui résulteront nécessairement de la pratique, il faudra mobiliser son attention sur la personnalité du dénonciateur. L’administration fiscale en a-t-elle l’envie et la possibilité ?

La question reste posée.

Maître Anthony BERGER,
Avocat au Barreau de Lyon
Fondateur de divorce-amiable.net

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