Fabrice Burgaud/Bertrand Tavernier : un compte-rendu de l’audience.

Par Jacques Cuvillier.

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Explorer : # outrage à magistrat # cinéma et justice # affaire d'outreau # liberté d'expression

Le mardi 3 décembre au Tribunal de Grande Instance de Paris (XIIe chambre) s’est déroulée la comparution en correctionnelle de Bertrand Tavernier pour des propos tenus à l’encontre du juge Burgaud dans une émission de France 5, "C à vous" (édition du 10 avril 2013) au cours de laquelle il a déclaré « "Quand vous voyez le film, [Présumé coupable] je ne suis pas pour la peine de mort, mais c’est quelqu’un que vous avez envie d’exécuter, le juge d’Outreau" ».

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Après une tentative de la défense d’obtenir la requalification du délit – ce qui aurait abouti à la prise en compte fatale d’un délai de prescription courte – le délit d’outrage à magistrat a été retenu. Il s’en est suivi un long débat portant sur la réalité de la personne visée par ces propos.

La ligne de défense de Bertrand Tavernier se résume ainsi : il n’aurait parlé que du personnage d’un film de fiction et non pas du magistrat Fabrice Burgaud. Telle était la première argumentation : « Je ne connais de l’affaire d’Outreau que ce que connaît le citoyen lambda » ... «  je ne suis pas chroniqueur judiciaire »... « Je parle de cinéma. »...

C’est bien de cinéma qu’il a été question ensuite. Cette phase dans le débat était prévisible, et Christophe Rossignon, le producteur du film, ainsi que le réalisateur Vincent Garenq étaient des témoins cités par la défense. Le débat de fond a été alors de faire apparaître le lien qui faisait passer une déclaration relative au personnage d’un film de fiction à un outrage envers le personnage réel que l’acteur incarne dans le film.

La démarche suivante a été de minimiser l’impact du film sur le public : « un film de fiction ne peut refaire le monde ». Il s’agissait par là d’atténuer la portée que pouvaient avoir ses déclarations sur le monde réel. Cet argument sera curieusement remis en perspective plus tard dans le débat, lorsque Bertrand Tavernier évoquera la fierté qu’il éprouve devant l’impact des films qu’il a réalisés.

Les circonstances du dérapage, et le rôle des responsables de l’émission C à Vous sont également évoqués. Il avait été convenu, lors de la préparation de l’émission, que Bertrand Tavernier doive parler de Philippe Torreton, puis « glisser vers Présumé coupable ». Bertrand Tavernier n’aurait pas vraiment réalisé qu’il était en direct. Il sortait tout juste d’un visionnage du film, et en restait ébranlé – et on le sait réactif. Il n’avait que peu de temps de parole. Lui aurait-on en quelque sorte savonné la planche ?

Il reste qu’une grande partie du débat a porté sur la véracité du film Présumé coupable, et son impact. Le producteur confirme que le scénario est fondé sur le livre d’un homme, ancien accusé de l’affaire d’Outreau [1]. Réalisateur et producteur se montrent à l’aise avec les libertés qu’ils ont prises pour concevoir un film destiné à émouvoir. Personnellement, je n’avais jamais entendu autant marteler le mot « fiction » à son propos. Mais était-ce le procès d’un film ?

Bien entendu, le juge Burgaud était incarné dans le film sous son propre nom. Ce n’est pas neutre. « S’il s’agissait d’une fiction, pourquoi ne pas avoir changé les noms des personnages ? » Réponse de Bertrand Tavernier : « Cela n’aurait rien changé ». Ce n’est évidemment pas l’avis de Fabrice Burgaud. De fait, il apparaît que pour des raisons qui n’ont pas été clairement élucidées, seul le nom d’Odile Polvèche, ex-épouse Marécaux, a été modifié.

Les avocats de Fabrice Burgaud, Me Jean-Yves Dupeux – qui a plaidé le premier – et Me Patrick Maisonneuve, ont eu beau jeu de montrer que l’intervention télévisée de Bertrand Tavernier, dont la vidéo a été projetée durant l’audience, portait, au travers de l’évocation du film, sur l’affaire d’Outreau comme fait de société. Bertrand Tavernier, dont la stature auprès du public donne du poids à ses paroles, a évoqué publiquement « la non-réponse de la justice par rapport au magistrat d’Outreau qui a cassé des vies », « la casta, cette oligarchie des gens qui s’auto-protègent » et a dit « c’est incroyable d’avoir eu un léger blâme ». En réponse à Patrick Cohen qui faisait remarquer qu’un autre film qui venait de sortir tentait de le réhabiliter [Outreau, l’Autre vérité de Serge Garde, que Bertrand Tavernier déclare ne pas avoir vu] Il a aussitôt répliqué : « Nous... Oui... avec des bases... euh... De manière nulle... Sans aucune preuve » Pour formuler un jugement aussi tranché, le cinéaste a reconnu à l’audience s’être appuyé sur la critique du film parue dans Le Canard enchaîné.

Le procureur de la République adjoint, Jean Quintard, a, au cours de son réquisitoire, pointé les approximations et erreurs du film, en particulier dans les assertions qui choquent le plus le public, et souligné notamment que Fabrice Burgaud n’était pas à l’origine de la mise en détention provisoire qui revient naturellement au juge des libertés et de la détention.

La plaidoirie de Me Michel Carbon de Sèze insiste sur l’absurdité qu’il y aurait à condamner son client qui ne s’en serait pas pris personnellement à Fabrice Burgaud dont il n’a prononcé ni le prénom ni le nom au cours de l’émission. « Si Bertrand Tavernier avait voulu parler d’Outreau ou de Fabrice Burgaud, il aurait fait un film »

Il n’aura pas fallu moins de trois heures d’un débat intéressant pour connaître la réquisition : 3000 euros d’amende.

Le jugement a été mis en délibéré au 14 janvier.

Voir aussi : Outreau, Fabrice Burgaud : une plainte nécessaire contre Bertrand Tavernier pour incitation au crime, arguments de ses avocats

Jacques Cuvillier

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Notes de l'article:

[1Chronique de mon erreur judiciaire d’Alain Marécaux, paru chez Flammarion en mai 2005

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Discussions en cours :

  • Deux choses me semblent interessantes dans ce sujet.

    La première, c’est qu’après ses méfaits dans l’affaire concernée, M. Burgaud (qu’il soit toujours autorisé à exercer est une énigme) aie encore la morgue de porter plainte contre quiconque.
    A défaut de professionnalisme, on aurait pu espérer un peu de dignité, un profil bas, propre à se faire oublier dans les profondeurs de la sale histoire de France. Au contraire, il semble décidément certain que ce monsieur aime faire la Une.

    la deuxième est une réflexion plus générale sur le fameux "que vous soyez puissant ou misérable"...
    En effet, on constate que cette affaire contre M. Tavernier passe le 3 décembre pour un délibéré le 14 janvier !
    En France aujourd’hui, pour le pauvre justiciable lambda, les décisions de délibérés sont, en moyenne, de trois mois.
    Belle scélérité...

    • Voilà un bel exemple des commentaires qu’expriment des personnes qui préfèrent camper sur l’histoire telle qu’elle a été fabriquée par la défense au moment des procès. Mais nous sommes en 2013, et nous avons eu le temps de réfléchir un peu, et de nous documenter auprès de ceux qui, comme par exemple Jacques Thomet pour ne citer que lui, ont réalisé une étude sérieuse. La plupart des gens qui actuellement s’accordent pour étudier sérieusement le phénomène d’Outreau avaient hurlé avec les loups au moment des procès. Mais il est toujours temps de revoir ses certitudes, il faut faire preuve d’un peu de curiosité. Je recommande aussi le film de Serge Garde qui est, quoi que certains en aient pu dire, un excellent documentaire.

    • Faites preuve d’un peu de curiosité, parler de faits que vous ne connaissez pas (il suffit de vous lire) et porter des jugements, quel crédit accorder à votre commentaire ? Vous n’avez même pas lu le texte de J.Cuvillier, cela vous aurait épargné de faire des amalgames de tailles .
      Le DVD d’ "Outreau, l’autre vérité" sortira en 2014, avec des bonus éclairants.
      Vous devriez le regarder avant de vous prononcer sur cette affaire.

    • Vous ne savez donc pas que 12 enfants ont été reconnus par les verdicts des assises victimes de viols et de prostitution ?
      Seulement 4 accusés ont été condamnés ...et comme a dit Me Maisonneuve à l’ audience du Juge devant le CSM : "Tout se passe aux assises...l’instruction la mieux ficelée peut s’ écrouler"

      Tout cela dépend de la procédure orale et de l’ équilibre des forces en jeu. Lors des procès d’Outreau les accusés avaient 19 Avocats et à la tête de cette armée ...qui donc ? Acquitator !!!! Dupond-Moretti ...et face à eux, juste 2 avocats du Conseil général tétanisés chargés de défendre tous les enfants traumatisés par les viols en réunion et gravement déprimés et sans aucune famille pour venir pleurer devant les caméras comme l’ a fait l’huissier ....cherchez l’ erreur !

      Il faut lire le livre de l’ aîné d’ entre eux "Je suis debout" de Chérif Delay et voir son témoignage dans "Outreau l’ autre vérité " quand il parle des avocats de la défense lors de son audition aux assises "Ils m’ont égorgé comme un mouton, comme un cochon..."Il en fait encore des cauchemars !
      http://blogs.mediapart.fr/blog/dominique-ferrieres/090213/le-film-outreau-lautre-verite-produit-par-bernard-de-la-villardiere

    • Dans une telle situation pour se faire une opinion il faut mettre à distance ses émotions (souvent suscitées) et diversifier ses sources. Le film de Tavernier est maintenant connu. Il vous faut maintenant absolument voir le film de Serge Garde "Outreau : l’autre vérité". Malheureusement il ne bénéficie pas de la même mise en avant par les médias. Dommage car c’est une enquête scrupuleuse et documentée.

    • Précision : Tavernier n’a pas fait de film sur le sujet, ce sont Christophe Rossignon le producteur et Vincent Garenq le réalisateur qui ont fait un film sur l’affaire à partie du livre que A. Marécaux avait écrit. A la différence de ce film de fiction, le film de Serge Garde "Outreau, l’Autre vérité" est un vrai documentaire.

  • tout d’abord, merci pour le compte-rendu d’audience.

    En ce qui concerne les commentaires, il semble provenir de deux camps d’irréductibles.

    Pour autant il y a des oppositions artificielles.

    Ce n’est pas parce que des détenus à titre provisoire ont été innocentés qu’il n’y avait pas de victimes.

    Ce n’est pas parce que les Assises ont entendu la défense, qu’elles furent sourdes, aveugles et taisantes pour les victimes.

    L’une des caractéristiques de ce procès emblématique, c’est la possibilité de détenir un individu jusqu’à ce qu’il avoue, sans recherche dans le même temps (à défaut de recherche préalable à la détention !) d’élément objectif et vérifiable étayant l’accusation.

    Il est tellement plus facile et rapide de succomber aux émotions bouleversantes que de mettre en œuvre froidement des vérifications rationnelles.

    Que ceux qui sont atteint de "rage sécuritaire" selon la formule du Bâtonnier Charrière-Bournazel se rassurent, cette pratique perdure. Ne peuvent-ils vraiment pas s’en inquiéter avant le jour où ils en seront victimes ?

  • Si les Français connaissaient l’impact de l’affaire d’Outreau sur les petits Français violentés agressés sexuellement et qu’on ne croyais plus ,se référant aux enfants "menteurs" d’Outreau Educateurs ,juges sont tombés dans le piége de ce jugement complétement incroyable. Les enfants victimes devenaient coupables Monsieur le juge Burgeaud a été juste mais cette affaire allait trop loin il a fallut le museler Pourquoi est il le seul à être mise en cause ?Le film de Tavernier m’a fait hurler de rage et dire que là encore les gens sont tombés dans un piége Les enfants ont raconté leur calvaire et le racontent encore .Des vies détruitent ,des enfants devenus adultes psychologiquement detruits par une justice qui ne les a pas reconnus Seuls les adultes mis en cause ont eu droit à être"sanctifiés"Leur parole entendue Les médias on une grande responsabilité dans ce désastre judiciaire Actuellement la parole de l’enfant est toujours mise en cause malgré des preuves Ce desastre continue et je soutiens fermement les gens courageux qui dénoncent la pédocriminalité

    • Précision : La Justice a donné droit aux enfants victimes : 12 d’ entre eux ( pas tous) ont été reconnus victimes de viols et proxénétisme et indemnisés ( maigrement) mais ce sont les médias qui n’ont pas relayé ni leur représentant légal : le Président du Conseil Général du Pas de Calais. De plus la notion de mensonge a été servie pendant des années par Dominique Wiel qui dans son livre et ses conférences ose dire que les époux Delay sont innocents et que leurs enfants ont menti ...et cela impunément car la loi ne protège pas le statut judiciaire des victimes.

      Communiquer à ce sujet aurait évité l’ emballement et la mise au pilori de boucs émissaires comme les experts qui n’ont pas failli et surtout le juge d’instruction. On sait qu’il y avait derrière tout cela une recherche de justification de la suppression du Juge d’instruction. Certains journalistes ont osé dire que c’était leur mission au procès de St Omer et le Procureur Maurel l’ a déclaré aux Services de l’ enquête Judiciaire comme rapporté dans le livre de l’ Experte des enfants Marie-Christine Gryson dans le livre évoqué par Jacques Cuvillier.

  • Note complémentaire de l’auteur :
    La salle d’audience était remplie, et nombre de membres du comité de soutien qui s’est constitué aux côtés de Fabrice Burgaud étaient présents.
    Il leur a semblé curieux d’entendre autant parler de fiction. Jusqu’ici, les auteurs qui employaient ce mot à propos du film « présumé coupable » étaient censés faire partie des « révisionnistes » qui remettent en cause le tableau de l’affaire d’Outreau dans son aspect mythique et se montrent en décalage par rapport à la version à la fois simpliste et erronée qui reste dans l’esprit de bien des gens.

    La question a été posée au cours de l’audience, tant à Christophe Rossignon qu’à Vincent Garenq, de savoir si des précautions avaient été prises pour que le film respecte les faits. Il en ressort que les seules précautions prises aient été d’ordre juridique, pour limiter les risques de ce point de vue. Sur le plan de la véracité, ce n’était pas le problème. Le film est bâti sur le livre dont l’un des accusés d’Outreau a fait l’ossature durant la période que séparait le procès de Saint-Omer et le procès en appel de Paris. Il était donc fondé à mettre en œuvre tout ce qui permettait de faire pencher l’opinion en sa faveur.

    Par la suite, chaque fois que le film « Présumé coupable » est annoncé, il est systématiquement présenté comme l’histoire vécue de l’huissier accusé à tort dans l’affaire d’Outreau. Jamais n’apparaît un avertissement pour dire qu’il s’agit d’une fiction.

    Il n’est donc pas insensé de voir au travers de la programmation de ce film, jusque dans les lycées, une volonté de maintenir en état le tableau tel que l’ont dépeint au moment des procès, les avocats de la défense appuyés par la presse. Il s’agit donc de défendre un mythe, sur la base d’une fiction.

    Christophe Rossignon avait pourtant reçu en temps utile un livre qui aurait dû le mettre quelque peu mal à l’aise dans son projet, mais qu’il a eu la mauvaise idée de renvoyer à l’expéditeur sans l’avoir lu. Cela ne démontre évidemment pas un souci d’exploration. Il s’agissait du livre « Outreau, la vérité abusée » [ Eds Hugo et cie] de Marie-Christine Gryson-Dejehansart, l’expert psychologue dont le livre publié en 2009 a été le premier témoignage qui a osé remettre en cause la version répandue – et déjà comme sacralisée – de l’affaire d’Outreau. Sa démarche n’est pas qu’à visée personnelle, son principal souci étant « ces victimes que l’on n’entend plus » voir la Revue Européenne de psychologie et de droit et notamment cet article surla parole de l’enfant après la mystification d’Outreau

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