Dirigeant ou associé : à chacun sa faute...

Par Audrey Mégret Roth-Meyer, Avocat.

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Explorer : # faute de gestion # sous-capitalisation # responsabilité des associés

L’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion.

-

Tel est le sens d’un arrêt rendu le 10 mars 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation [1].

Si les sociétés anonymes et en commandite par actions doivent être constituée avec un capital d’un montant minimum de 37.000€ [2], les lois n°2003-721 du 1er août 2003 sur l’initiative économique et n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (dite LME) ont supprimé du Code de commerce l’exigence d’un tel montant minimal pour le capital social des sociétés à responsabilité limitée et par actions simplifiée.

La sous-capitalisation "autorisée" de ces types de sociétés n’est toutefois pas sans risque :
- pour la société elle-même, d’abord ;
- pour ses associés fondateurs ensuite qui, faute de s’assurer que le montant des capitaux investis soit suffisant par rapport aux besoins de l’exploitation de l’activité de la société, peuvent voir leur responsabilité engagée à l’égard des créanciers de la société [3].

Dans cette logique, la jurisprudence avait admis que le fait, pour un dirigeant associé, de créer une société dépourvue de fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement était constitutif d’une faute de gestion de nature à justifier sa condamnation sur le fondement du comblement de l’insuffisance d’actif [4].

C’est cette solution que remet aujourd’hui en cause l’arrêt du 10 mars 2015 précité.

En l’espèce, le liquidateur judiciaire d’une société à responsabilité limitée avait assigné les deux cogérants de cette dernière afin de voir engager leur responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif, sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce qui, dans sa version alors applicable issue de la loi du 26 juillet 2005 antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008, disposait :

"Lorsque (…) la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion".

Les Juges d’appel avaient condamné l’un des deux cogérants associé sur ce fondement, pour ne pas avoir apporté à la société qu’il créait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales – admettant par là-même la caractérisation de la faute de gestion exigée par l’article L. 651-2 précité.

Rompant avec une ligne jurisprudentielle jusqu’alors bien établie, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel au visa dudit article L. 651-2, en énonçant le principe que "l’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion" .

En d‘autres termes, le fondateur qui crée une société sous-capitalisée et dépourvue des ressources propres nécessaires à son fonctionnement, parce qu’il agit ce faisant en qualité d’associé et non de dirigeant (quand bien même le deviendrait-il) ne commet pas de faute de gestion.

Les commentateurs de cet arrêt s’interrogent dès lors sur la portée de cette solution :

- d’abord, sur le sort d’autres agissements communément admis au rang des fautes de gestion comme, par exemple, le fait de ne pas procéder à la libération intégrale du capital d’une société qui, "si la loi ne faisait pas obligation de libérer le capital (…) constitue une autre faute de gestion ayant contribué à l’accroissement du passif" lorsque l’activité imposait une telle libération [5] ;

- ensuite, sur le sort des actions incombant à la fois aux dirigeants et aux associés, comme la non-reconstitution des capitaux propres [6], la distribution de dividendes excessifs [7], etc. ;

- enfin, sur le sort de la sous-capitalisation d’une société par un apport insuffisant d’un associé qui, devant échapper à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, ressortirait désormais au seul droit commun de la responsabilité et exigerait à ce titre que soit établie "une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé" [8].

Autant de questions qui ne manqueront sans doute pas de raviver les réflexions et les attentes de la Doctrine sur la création d‘un régime spécifique de responsabilité des associés dans le cadre des procédures collectives.

A suivre, donc…

Audrey Mégret Roth-Meyer
Avocat au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Cass. com., 10 mars 2015, n°12-15.505, FS-P+B.

[2Article L. 224-2 du Code de commerce.

[3CA Rouen 20 octobre 1983, Dalloz 1985, p. 161, J-J. Daigre.

[4Cass. com. 23 novembre 1999, n°97-12.834 ; CA Aix-en-Provence 16 mai 2001, RD bancaire et fin. n°192, obs. Lucas ; CA Dijon 30 juin 2005, n°04-1777 ; Cass. com.27 mai 2003, n°00-14.981.

[5Cass. com. 16 octobre 2001, n°98-12.568.

[6Cass. com. 29 avril 2014, n°13-11.798.

[7Cass. com. 25 octobre 2011, n°10-23.671.

[8Cass. com. 18 février 2014, n°12-29.752.

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