Comptes bancaires non déclarés à l’étranger : une chasse de plus !

Par Jean Pannier, Avocat.

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Explorer : # fraude fiscale # comptes bancaires étrangers # coopération internationale # régularisation fiscale

Le secret bancaire n’est plus ce qu’il était, pas plus en Suisse qu’ailleurs. Il suffit pour s’en convaincre de prêter attention à la multiplication des signaux d’alerte qui envahissent la presse désormais presque chaque jour. En effet, la France n’est plus la seule aujourd’hui à vouloir laver plus blanc que blanc en cette matière qui ressemble à un serpent de mer qu’on voit ressurgir périodiquement.

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1. Tableau de chasse

Le principal signal vient de la volonté affichée par l’Oncle Sam de punir les établissements suisses qui viennent « draguer » le client sur son territoire sans même faire la différence – suprême audace - entre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent toutes catégories confondues. Les sanctions se sont donc abattues sur les banques suisses (L’UBS a payé 700 millions de dollars au département américain de la Justice en guise de préjudice) et sur la clientèle américaine prise au piège (L’UBS a livré environ 4.450 dossiers de clients soupçonnés d’avoir fraudé le fisc). De quoi donner des complexes à notre administration fiscale qui rêve d’avoir autant de pouvoir à l’égard notamment de la Suisse… et pourquoi pas du Luxembourg.

Dans ce genre de « fishing expeditions » plusieurs scénarios sont possibles dès lors que les Etats intéressés voient un avantage à développer une sorte de coopération bilatérale ou multilatérale. Il semble aujourd’hui qu’une tendance se dessine dans cette direction.

La France n’est pas en retard dans un tel scénario puisque, dans l’affaire HSBC, le Gouvernement a généreusement offert à un certain nombre de pays qui se sont déclarés intéressés les listings contenant les noms de leurs ressortissants. On se souvient que le responsable du service informatique de la filiale genevoise de cette banque avait tranquillement réussi à copier les informations concernant plus de 130.000 clients répartis un peu partout dans le monde dont environ 8.000 pour la France. L’histoire nous dira plus tard si c’était pour en tirer un profit personnel en proposant le fabuleux listing à des banques libanaises, comme on l’a affirmé, ou si c’était pour inaugurer, la main sur le cœur, une version moderne du Don Quichotte de la Finance.

On saura peut-être un jour à la faveur de quelles tractations le listing a pu se trouver entre les mains de l’administration fiscale – c’est l’inspection générale des finances qui l’indique dans un rapport diffusé sur internet - avant que n’intervienne le scénario orchestré de la découverte dudit listing par le procureur de Nice qui ne semblait pas être dans la confidence. Les mauvais esprits diront qu’au cas particulier l’arbitrage avait précédé la procédure judiciaire.

A part le cas typique de la Grèce qui s’était empressée d’égarer le listing au fond d’un tiroir, les autres pays destinataires ont engagé immédiatement des procédures fiscales et parfois pénales contre les clients ainsi découverts.
Il faut comprendre que ce genre de pratique est appelé à se renouveler voire à se développer, spécialement en France si l’on veut bien considérer que le cadeau des listings HSBC à l’Italie, à la Grande-Bretagne, au Canada etc… a été fait « à charge de revanche ». La France a souvent donné l’exemple de la générosité dans la transmission d’informations et de renseignements sensibles, elle attend évidemment d’être payée en retour. Nous avons par exemple un assez gros crédit à la CIA qui pourrait, à tout moment, renvoyer l’ascenseur en livrant des listings.

L’avantage des échanges de fichiers entre États, outre l’aspect rapide et quantitatif, est aussi d’échapper aux risques judiciaires liés à l’exploitation de documents volés. Même si le gouvernement semble s’orienter dans son projet de loi vers une formule autorisant l’exploitation de listings volés, ce qui est loin d’être acquis puisque le vol et le recel sont punis par le Code pénal. A moins que…

On voit très bien l’intérêt stratégique de ce genre d’effet d’annonce pour inciter les titulaires de comptes à régulariser leur situation avant l’entrée en vigueur du nouveau régime qu’on nous annonce sur tous les tons beaucoup plus sévère. C’est une tentation classique mais finalement d’une efficacité très relative sur les très gros comptes souvent protégés par des montages sophistiqués.

Il faut aussi tenir compte des risques inhérents au choix du vieux principe selon lequel « la fin justifie les moyens » qui n’est pas franchement en odeur de sainteté chez les Sages du Conseil constitutionnel. Sans oublier que la Cour de cassation avait affirmé dans l’affaire UBS son attachement au principe de loyauté dans la recherche des preuves. En l’occurrence il s’agissait d’un listing volé dans les années 1980 contenant plus de 5.000 noms de Français titulaires d’un compte à l’UBS de Lausanne. [1]

2. Epargnez les petits comptes

Cette espèce de rouleau compresseur qu’on voit à nouveau se mettre en route a déjà fait pas mal de dégâts dans le passé, notamment avec l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 : deux morts ! [2]

Le premier, employé de la Banque PARIBAS, s’était suicidé parce qu’il s’estimait déshonoré par rapport à ses clients titulaires de comptes dans la filiale genevoise à qui il avait promis que l’affaire n’irait pas en justice – promesse du Directeur général des douanes – à tous ceux qui fourniraient leurs relevés de compte pour bénéficier d’une transaction. Hélas, le ministre du budget et le Premier ministre de l’époque voulaient la peau du directeur de Paribas et de sa banque et ont envoyé tous les clients trahis…en correctionnelle. A qui se fier ?

La deuxième victime était une citoyenne belge, très âgée, qui avait eu la mauvaise idée de vouloir finir ses jours en France ; elle n’avait pas supporté la procédure assez brutale à l’époque. Sa mort avait suscité la colère du Président de la république mais c’était trop tard.

En réalité, une bonne partie des comptes dissimulés à l’étranger sont des comptes modestes inférieurs à 200.000 euros et d’un rapport fiscal dérisoire qui mériteraient un traitement simplifié voire une procédure d’amnistie taxée forfaitairement à 10%, par exemple, comme ce fut le cas en 1986. Une telle solution permettrait de tenir compte d’un grand nombre de cas où la volonté de fraude est très loin de refléter l’état d’esprit des personnes concernées qui restent avant tout persuadées qu’elles vont y laisser leurs économies et subir en prime les affres d’un contrôle fiscal. Les personnes âgées se font souvent du mauvais sang et sont incapables de prendre une décision de peur de se découvrir et de ne pas pouvoir faire face en toute sérénité à une procédure de régularisation.

Il faut aussi faire une place à part aux très nombreuses familles juives qui n’oublieront jamais ce qu’il peut en coûter de ne pas avoir une petite réserve en Suisse lorsque des évènements dévastateurs s’acharnent sur une communauté … avec la complicité des autorités françaises. La Suisse ne s’est guère montrée accueillante aux Juifs qui n’avaient pas de compte en banque. Beaucoup ont ainsi été refoulés c’est à dire livrés aux nazis. Peut-on faire l’impasse sur le devoir de mémoire ?

La plupart des personnes, jeunes ou âgées, rencontrées à l’occasion des contrôles fiscaux ou des procédures de régularisation n’ont pas à proprement parler un sentiment de culpabilité, mais bien plutôt de méfiance. Elles essayent simplement de gérer au mieux un risque pour utiliser le jargon des assureurs. C’est une erreur de vouloir traiter ces petits détenteurs de manière indifférenciée.

Aujourd’hui, à en croire nos penseurs, la fiscalité se voudrait d’un niveau aussi élevé que n’importe quelle vertu cardinale alors qu’elle n’est finalement que la traduction de l’acceptation de l’impôt par le bon peuple … qui ne s’y retrouve pas vraiment. A y regarder de plus près, on est semble-t-il assez loin du compte dans la mentalité collective. C’est un vrai sujet.
Bien sûr les temps ont changé depuis la disparition du contrôle des changes, période interminable au cours de laquelle la détention d’avoirs à l’étranger était un délit pénal poursuivi par la douane et sévèrement réprimé. [3]

Beaucoup de gens âgés pourtant ne font toujours pas la différence avec le régime actuel qui ne vise à taxer que le revenu et l’assiette éventuelle de l’impôt sur la fortune.

Il y a à l’évidence un vrai déficit de communication qui devrait facilement pouvoir être corrigé avant l’entrée en vigueur d’un nouveau durcissement annoncé à grand fracas médiatique dont on ne mesure pas vraiment les effets réels. Mais c’est souvent ainsi, l’Etat semble frappé d’amnésie car le mode culpabilisant n’a jamais vraiment fait recette en France sur ce terrain.
En 1986, le Gouvernement avait pourtant obtenu un réel succès en assortissant sa loi d’amnistie taxée à 10 % d’une garantie d’anonymat sous la forme de certificats délivrés par les banques françaises qui voyaient arriver les sommes rapatriées. En cas de contrôle fiscal le certificat produisait son effet magique à l’égard des sommes rapatriées : « pas touche ! ».

Si le Gouvernement est convaincu que le réservoir de liquidités détenues par les Français à l’étranger peut avoir une action déterminante pour l’économie nationale, alors il faut imaginer les solutions qui permettent sérieusement d’en réinjecter la plus grande part possible dans le circuit officiel, orientation qui s’accommode bien mal de la litanie moralisante qu’on retrouve presque systématiquement à la faveur des périodes de crise. Amnésie encore !

3. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre

Passer l’éponge à 10 % sur les petits comptes, c’est avant tout une solution qui ne couterait pas cher en termes de gestion à condition de l’assortir d’une obligation de rapatriement, histoire de mettre les banques à contribution comme ce fut le cas en 1986. En ratissant large, on pourrait aller jusqu’à 300.000 euros d’autant que la directive épargne permet déjà de fiscaliser anonymement une partie des revenus des comptes non déclarés.

Pour les autres comptes, le traitement est plus douloureux puisqu’il dépend de la tranche d’imposition du contribuable en plus de son assujettissement éventuel à l’ISF. La ponction totale, toutes pénalités confondues y compris les intérêts de retard, dépasse rarement 22 %. C’est le régime actuellement appliqué dans l’affaire HSBC.

La taxation à 60 % risque fort, en toute logique « psychologique », d’être considérée comme confiscatoire et de n’attirer que très peu de déclarations spontanées. Donc la pêche sera maigre parce qu’en France la notion de culpabilité fiscale reste à inventer.

Il faut rappeler qu’en 1982 la Gauche avait tenté une amnistie fiscale taxée à 25 % qui avait fait un grand flop.

Avec le nouveau régime annoncé « pour faire peur », on restera une fois de plus dans le nirvana de la morale fiscale mais probablement pas sur le terrain de l’efficacité. Au lieu de culpabiliser les détenteurs de gros comptes un taux trop élevé aura plutôt tendance à inspirer un réflexe vécu comme de la légitime défense. Nos responsables politiques le savent pertinemment. Alors ?

Le vrai magicien financier sera donc celui qui suscitera l’intérêt pour l’offre de taxation (ou d’amnistie) et la sécurité pour sa mise en œuvre. Autrement dit : « Capitaux en cavale cherchent homme de confiance ».
La France avait trouvé cet homme de confiance en 1952 – période pas plus facile que celle que nous vivons aujourd’hui - en la personne d’Antoine PINAY.

La question paraitra d’autant plus sérieuse que l’inflation budgétaire qui semble être avant tout un phénomène quasiment incontrôlable et irréversible est franchement à l’opposé de cette notion de base qu’est le consentement à l’impôt. D’une manière générale, qu’elle soit fiscale ou d’une autre nature une bonne loi est une loi qui marche c’est-à-dire qui est largement acceptée.

Il y a donc une grande réflexion à mener sur ce terrain, cent fois labouré, avant de retenir la plus mauvaise solution qui suscite déjà des haussements d’épaules.

La France préfèrera –t-elle encore une fois sa vieille morale éculée au pragmatisme qu’on retrouve pourtant de plus en plus chez nos voisins ? A quoi bon, finalement, empiler des textes répressifs qui ne marchent pas quand la conjoncture appelle des résultats concrets ?
« Vox clamens in deserto ! »

Jean PANNIER
jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris

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Notes de l'article:

[1Cass. crim. 28 octobre 1991 JCP 1992 éd. E, 318 note J. Pannier

[2Les suites judiciaires de l’affaire Paribas P. Juillard, Droit et pratique du commerce international 1985, tome 11, pp. 91-132

[3Un délit en réanimation artificielle : la détention irrégulière d’avoirs à l’étranger, J. Pannier, Droit pénal, mai 1992 Chron. n° 23

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Discussions en cours :

  • L’article touche un sujet qui n’est souvent envisagé que selon l’angle des Français résidents fiscaux en France. Or, la situation est bien plus complexe, même si le nombre peut apparaître insignifiant. En effet, le cas des étrangers résidents en France n’est pas évoqué, pas plus que ne l’est le cas des Français résident à l’étrangers. Vous aurez remarqué que je ne parle pas de simples résidents fiscaux mais de vrais résidents, de gens qui font leur vie en France pour des étrangers ou à l’étranger pour le cas de Français.

    Pour ces cas, des conventions fiscales bilatérales ont réglé l’attribution de l’impôt pour beaucoup de pays.

    Si on veut chasser les comptes à l’étranger détenus par des Français, il faut être prudents. En effet, obliger les banques à transmettre obligatoirement les informations relatives à des comptes détenus à l’étranger par des Français, cela n’a de sens que si les mêmes personnes sont redevables d’un impôt en France. A l’exception du cas de revenus ou de propriété foncières en France, aucun Français résident à l’étranger (donc y vivant au moins 183 jours par an) n’est soumis à l’IR français. De plus, quand un conflit pourrait exister, les conventions bilatérales évoquées règlent la question et attribuent, le plus souvent, la taxation à l’Etat sur le territoire duquel le contribuable passe au moins 183 jours par an.

    Si on veut chasser les comptes à l’étranger des seuls résidents Français en France (en excluant les étrangers résidents en France), on créée une distorsion dont la légalité serait douteuse. En effet, l’impôt français vise le revenu mondial et non les seuls revenus d’origine française ou perçus en France. Il y a donc une autre faille (ou imprécision ?) dans le dispositif tel qu’il est présenté.

  • Excellent article. Sachez cependant que dans certains pays sur lesquels je travaille en Amérique Latine, la teneur des conventions fait que l’impôt payé dans le pays étranger, ne saurait constitué une fraude au regard du droit douanier et fiscal français, dès lors que toute sommes dépassant les 10.000€ en valeur (virement, argent liquide, effets de commerce, travellers chèques etc.) ont été déclaré à la douane française à la sortie de France. Il serait intéressant d’évoquer le problème de l’ISF, car par exemple cet impôt n’existe pas au Pérou et silence sur les conventions passées.
    Pourrait-on alors évoquer une fraude d’un résident ou non français qui paierait tous ses impôts dans le pays concerné, respectant donc parfaitement la convention franco-péruvienne, mais quid des impôts qui n’existeraient pas dans le pays d’accueil ?
    En droit fiscal et douanier on ne voit qu’une conséquence... la territorialité de l’impôt. Pas de taxe foncière au Pérou. La taxe française n’a pas vocation à s’appliquer sur des biens détenus par des français résidents ou non au Pérou. Idem pour les taxes comme la CSG CRDS, notamment pour la récente loi de taxation des gérants majoritaires de SARL qui se voient taxés socialement les bénéfices excédent les 10% du capital, majorés des réserves, primes d’émission ou d’augmentation de capital et compte courant. Ces éléments légaux font que ce que les journalistes qualifient de fraude fiscale, ne serait que la simple et légale application du droit international dans chaque pays concerné. Personne de demande à un citoyen du Tennessee un impôt payable à Nashville qui n’existe pas en France.

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