Tout aurait démarré le 30 août 2015, lorsque le PDG de TF1, Nonce Paolini, aurait convoqué la journaliste par SMS avant de lui annoncer son remplacement (europe1.fr), l’intéressée elle-même ayant officialisé son départ en fin de JT le 13 septembre suivant, dans une tirade émouvante à l’attention des téléspectateurs.
L’occasion nous est donnée de rappeler aux lecteurs qu’en principe, tout employeur qui envisage de licencier un salarié doit le convoquer à un entretien préalable en respectant les conditions de forme assez strictes : la convocation doit mentionner la possibilité dont dispose l’intéressé d’être assisté d’une personne de son choix, appartenant à l’entreprise (obligatoire s’il existe des représentants du personnel en interne) ou par un défenseur syndical extérieur et l’entretien ne peut pas avoir lieu avant un délai de 5 jours francs (article L 1232-2 du Code du travail). Les adresses de la mairie et de l’inspection du travail doivent également être indiquées.
A priori, le SMS n’est pas proscrit même s’il parait difficile de faire entrer toutes les infos requises sur ce type de support !
Sur le motif même du licenciement, les médias restent inversement silencieux et démonstratifs que pour évoquer le montant de l’indemnité perçue par Mme Chazal à l’occasion de son départ et, a fortiori, sur celle qu’elle sollicite devant le conseil de prud’hommes.
Le motif restant donc inconnu des personnes extérieures au dossier, cela nous donne l’occasion de rappeler que tout licenciement doit reposer sur une cause « réelle et sérieuse » c’est-à-dire qui existe réellement, qui soit directement imputable au salarié concerné et suffisamment étayée pour provoquer la perte de l’emploi (article L 1232-6 du Code du travail). Ce motif doit être explicitement invoqué dans la notification du licenciement et reposer sur des motifs matériellement vérifiables par les juges.
Ici aussi, le SMS cher à M. Paolini, aurait pu être utilisé à condition de contenir les mentions requises (la lettre recommandée n’étant pas exigée sur le fond mais couramment utilisée pour des raisons de preuve). Certes, même à l’ère du « tout numérique », le procédé pourrait paraitre cavalier.
On se gardera donc bien, dans ces colonnes, d’évoquer la vague de « jeunisme » dont aurait été victime Claire Chazal, sa remplaçante (Anne-Claire Coudray) lui rendant 21 ans. L’actualité récente y voit forcément un rapport avec le départ de France 3 de Julien Lepers (âgé de 66 ans), qui aurait lui aussi saisi le CPH (cf. huffingtonpost.fr).
Une procédure identique devant le Conseil de Prud’hommes.
La seule chose certaine dans cette affaire réside dans la procédure devant la juridiction : elle est d’ailleurs la même pour le justiciable lambda que pour une star. Tout commence par une tentative de conciliation, devant la formation dite « bureau de conciliation et d’orientation » (audience prévue pour le 5 juillet prochain d’après lexpress.fr). De ce côté-là, la loi « Macron » (pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 aout 2015) qui promettait une réforme en profondeur du fonctionnement des prud’hommes, n’a pas modifié fondamentalement les choses et on cherche d’ailleurs encore le gain de rapidité annoncé … D’après le ministère de la Justice, la durée moyenne d’un procès au fond devant le CPH était de 13 mois en 2014, avec bien entendu d’énormes disparités selon les lieux.
Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, lors de cette audience initiale ou plus tard car en la matière la négociation est toujours possible, le dossier sera débattu devant le « bureau de jugement » quelques mois plus tard.
Que pourra demander Claire ChazaL devant le CPH ?
L’article L 1235-3 du Code du Travail prévoit qu’un salarié travaillant depuis au moins deux ans chez employeur comptant habituellement plus de 11 salariés, peut prétendre, en cas de licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, à une indemnité au moins égale à 6 mois de son salaire brut mensuel moyen précédent. Il existe donc un plancher, mais pas (encore) de plafond. Madame Chazal remplit les deux conditions, et pas qu’un peu : 24 ans d’ancienneté au sein d’une entreprise employant des milliers de salariés (plus de 1 600 d’après societe.com). Dès lors, les dommages et intérêts qu’elle peut revendiquer pour la perte de son emploi sont tout d’abord librement appréciés par l’intéressée et son avocat. Il n’existe pas de filtre préalable, de sorte que tous les chiffres sont possibles, bien entendu au risque de décrédibiliser sa demande s’ils sont exorbitants.
Pour en évaluer le poids, les conseillers tiennent traditionnellement comptent de l’âge du salarié évincé, de son ancienneté au-delà du seuil légal des deux ans, des moyens de l’employeur susceptible d’être condamné, mais également du préjudice subi par le salarié (plus la période postérieure sans emploi dure, plus le préjudice augmente).
En l’espèce, Claire Chazal a retrouvé un emploi relativement rapidement puisqu’on l’a vue présenter une nouvelle émission (sur France 5) à partir du 18 janvier 2016. Mais au-delà de cette période relativement courte d’inactivité, elle pourra mettre en avant la perte de rémunération qui l’a accompagnée : en effet, émargeant à 120.000 € par mois sur TF1 (d’après Telestar.fr et Challenges), elle ne serait désormais rémunérée « plus » qu’entre 40 et 45.000 € (source : tvmag.lefigaro.fr), c’est-à-dire une division par trois ...
De son côté, TF1 pourra arguer non seulement de cette faible période d’inactivité, mais également des indemnités de départ qu’elle aurait versées au moment du licenciement, à condition bien entendu que les chiffres relayés dans les médias soient véridiques (2.2 millions d’euros d’après Gala.fr et nouvelobs.com).
Rappelons à ce stade qu’un salarié licencié pour la fameuse cause « réelle et sérieuse » doit percevoir de la part de son employeur une indemnité de licenciement qui est au moins égale à 1/5ème de son salaire brut moyen mensuel multiplié par son ancienneté, soit pour Madame Chazal : 1/5ème x 120.000 x 24 = 576.000 €. Mais les journalistes bénéficient d’un statut à part, réglé à la fois par leur convention collective et une section distincte du Code du travail. C’est ainsi que l’article L. 7112-3 prévoit que l’indemnité est égale à un mois de salaire par année d’ancienneté (avec un plafonnement à 15) ; soit en l’espèce 15 x 120.000 € = 1.800.000 €.
Une fois de plus - sous condition de vérification des chiffres en question - TF1 aurait donc versé une indemnité supérieure au minimum légal ; était-ce dans le but d’éviter un procès ? Sur le plan purement juridique, le montant désormais sollicité aux prud’hommes par la salariée (1 million d’euros d’après lexpress.fr) pourrait éventuellement correspondre à la valeur de son préjudice moral, qui peut être indemnisé distinctement de celui relatif à la perte d’emploi pure et simple.
Il faudrait alors que Madame Chazal démontre en quoi la rupture de son contrat de travail a été vexatoire : « brutalité » de l’annonce, aussi bien sur le fond que sur la forme (SMS), atteinte à la réputation, etc. Là aussi, tout est envisageable, à condition d’être démontré. D’une façon générale, étant par nature subjectif, ce type de préjudice reste difficile à prouver et à valoriser. On ose à peine tracer un parallèle avec le préjudice moral de Bernard Tapie, évalué à 45 millions d’euros par les arbitres de l’affaire « Crédit Lyonnais » (slate.fr) …
On se souvient que la loi Macron avait prévu un plafonnement des indemnités accordables par les conseils de prud’hommes, par tranches d’ancienneté (moins de 2 ans / entre 2 et 10 ans / plus de 10 ans) associées à la taille d’entreprise (moins de 20 / entre 20 et 299 / au-delà). Cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel et n’est donc pas applicable.
Mais, quitte à traiter de la fiction, allons jusqu’au bout pour illustrer notre cas. Le dossier de Claire Chazal correspond aux plus hautes catégories : plus de 10 ans d’ancienneté dans une entreprise employant plus de 300 salariés. Elle aurait pu obtenir une indemnisation comprise entre 6 et 27 mois de salaire. Le maintien du cadre juridique précédent laisse donc les juges entièrement libres, au-dessus du seuil légal des 6 mois.
Accord amiable ?
En tout cas, si une solution négociée devait être trouvée entre les parties et que, par conséquent, aucun jugement n’était rendu, Madame Chazal serait bien avisée de ne pas commettre la même erreur que son collègue Patrick Poivre D’Arvor. En effet, ce dernier avait signé un accord de ce type avec le même employeur (on parle juridiquement d’une « transaction »), mais n’avait pu s’empêcher par la suite de critiquer ouvertement les méthodes de la chaîne.
Or, ladite transaction contenait une clause interdisant réciproquement aux deux parties de se dénigrer. Invoquant la violation de cette clause, c’est TF1 qui avait saisi le conseil de prud’hommes contre son ancien salarié, lequel avait été condamné à lui verser 400.000 € de dommages et intérêts !
Dans sa décision, la Cour de cassation (Soc. 14 janvier 2014, n°12-27284) admettait qu’une transaction puisse restreindre la liberté d’expression. Cette condamnation correspondait, selon les sources, entre un tiers (Editions Francis Lefebvre) et un neuvième (www.arretsurimages.net), du montant perçu par PPDA lors de son départ. Et oui, le conseil de prud’hommes fonctionne dans les deux sens !
Discussions en cours :
Erreur vénielle, Maître : les deux régimes d’indemnisation du licenciement s’articulent autour de plus de 10 salariés et moins de 11 salariés. Pas tout à fait ce que vous avez écrit. Et cette différenciation des régimes indemnitaires ne résulte pas tant de l’article L.1235-3 du Code du travail mais plutôt du L.1235-5 (lequel exclut l’application du L.1235-3 pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté ou au service d’un employeur ayant moins de 11 salariés, ceci expliquant cela).
Pour conclure cette affaire, je me suis renseigné sur les clauses possibles ou non dans les contrats de travail ; tel qu’un employeur ne peut pas stipuler une clause non autorisée par la jurisprudence .
D’après ce que j’ai pu comprendre une clause contractuelle ne peut déboucher sur le licenciement que si la responsabilité professionnelle ou les capacités sont concernées sauf en cas de faute grave ; Or il se trouve que la baisse d’audience des journaux de Me Chazal évoquée par TF1 ne semble pas répondre à cette condition . En effet, j’ai pu lire ceci :
Pré-constitution d’un motif de licenciement
Principe. - Il appartient au juge d’apprécier, dans le cadre de ses pouvoirs, si les faits invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement peuvent caractériser " une cause réelle et sérieuse de licenciement " (c. trav. art. L. 122-14-13).
Pas de pré-constitution de motif de licenciement. - L’employeur ne peut prévoir par une clause du contrat de travail qu’une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement (cass. soc. 14 novembre 2000, n° 98-42371, BC V n° 367). Ainsi, il n’est pas possible d’inclure dans le contrat une clause qui prévoit que la non-réalisation d’un ou de plusieurs objectifs, à concurrence de 20 % de l’objectif annuel sur chaque trimestre et pendant deux trimestres consécutifs, peut être considérée par l’entreprise comme un motif de rupture du contrat de travail.
Puis encore cela
Rappel :Dans tous les cas de licenciement le Conseil des prud’hommes vérifiera préalablement si les conditions de validité de la décision de licencier sont remplies.
" La seule insuffisance de résultats ne peut, en soi , constituer une cause de licenciement " ( Cass soc 30.3.99) .
" l’insuffisance de résultats au regard des objectifs fixés ne constitue pas une cause de rupture du contrat de travail privant le juge de son pouvoir d’appréciation de l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement". (cass soc 3.2.99 Bull v n°56 p 43) La chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 janvier 2003 rappelle que l’insuffisance de résultats ne peut constituer en soi une cause de licenciement.
En effet, selon une jurisprudence désormais constante, la baisse de résultats ne peut justifier un licenciement que si cette baisse procède d’une insuffisance professionnelle ou d’une faute imputable au salarié.
Ultime hypothèse : me Chazal aurait commis une faute grave inconnue de l’ opinion publique, en dehors de la présentation des journaux, difficile à croire .
En remerciant l’attention du lecteur et le responsable du site, très utile de nos jours.
Bonsoir
Merci pour l’intérêt que vous portez à cette publication
Comme vous l’avez constaté, nous en sommes tous deux réduits à des hypothèses puisque nous n’avons pas accès au dossier
Dès lors, vos recherches pcertes pertinentes euvent en effet correspondre à la réalité du motif de licencicment ... Ou pas !
Le but de mon article étaint surtout de rappeler les grandes étapes d’un proces prud’homal et de rappeler que tout salarié / tout employeur y est soumis, quel que soit son statut (même lorsqu’on on est une journaliste tres connue)
Nul doute si le procès a effectivement lieu, les mêmes média s’en feront l’écho et nous pourrons prolonger notre discussion
cordialement
On peut aussi avancer une autre hypothèse pour expliquer la convocation rapide
De me Chazal, si elle était au courant depuis des mois en étant forcée d’accepter son licenciement pour clause contractuelle non respectée ., la convocation serait dans ce cas une simple formalité . Mais il reste quand même l’assignation aux prud’hommes pour "dommages et intérêts " qui montre un litige important. Dans les conditions où le licenciement ne peut pas être contesté, il doit alors concerner la somme des indemnités qui ne couvrirait pas le préjudice subi par la réduction importante du revenu mensuel de Me Chazal peut être du simple au double ou plus , sans citer de nombre de toute façon hypothétique. Merci encore .
Comme vous dites maître , il faudrait un dossier complet sur cette affaire assez surprenante pour au moins 2 raisons :
Une convocation pour licenciement par SMS me semble répondre à une procédure soudaine donc non préparée à l’encontre des dires de M.Paolini qui dit que Me Chazal était au courant depuis plusieurs mois.
Je me demande même si elle est légale car le texte de loi exige un document écrit avec accusé de réception. A mon avis je pense à un grave différent à ce sujet ou pour un autre entre elle e t sa direction juste après son retour de congé vers le 20 Aout , puisque la convocation date du 30 ; comme vous le dites encore, les sommes avancées par les médias ne sont pas vérifiables . mais normalement tout employeur sait très bien qu’un licenciement se dédommage par indemnités prévues par les textes du code du travail . Or d’après la situation relatée par les médias, TF1 n’ a pas tenu compte de ces conditions , comme s’il y avait urgence de licencier Me Chazal quitte à payer le prix fort . Encore une fois, cela me semble être une sanction contre la personne de Claire Chazal et non pas contre sa fonction de journaliste - présentatrice d’informations. Pour les sommes citées, il me semble que 1 20 000 euros mensuels sont excessifs, même pour un groupe européen comme Tf1, la moitié est plus crédible . Enfin si Me Chazal va aux prud’hommes c’est qu’elle ne peut aller en instance , car la clause de licenciement doit être contractuelle ( baisse significative de l’audience pendant plusieurs mois consécutifs , mais cette clause me parait arbitraire parce que dépendant d’une mesure statistique , non rigoureuse
( d’ailleurs à partir de quand la baisse devient significative 5% , 10 20 ? Enfin si Me Chazal attaque en dommages et intérêts, soit elle juge que les indemnités sont insuffisantes, soit elle estime que le licenciement la vise en tant que personne plus que pour la clause contractuelle [de plus une baisse d’audience peut dépendre de circonstances indépendantes de sa volonté, et dans ce cas le licenciement s’avère illégitime ] .Merci.