Migrants, le rôle de l'avocat en droit des étrangers.

Migrants, le rôle de l’avocat en droit des étrangers.

Propos recueillis par Marie
Rédaction du Village de la justice.

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Explorer : # droit des étrangers # complexité juridique # procédures administratives # réfugiés et demandeurs d'asile

Depuis plusieurs mois, l’Europe fait face à un flux continuel de personnes, de familles fuyant leur pays d’origine pour des raisons politiques, pour des raisons économiques... Au cours de l’été 2015 ce phénomène s’est fortement accentué.
Qu’en est-il du rôle des avocats lors de la défense des droits de ces migrants économiques, demandeurs d’asiles...?
Loin de toute polémique, le Village de la Justice souhaite aborder ce sujet par le biais du Droit et de la pratique professionnelle et s’est entretenu avec Romain Boucq et Benjamin Brame, avocats spécialisés en droit des étrangers.

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Romain Boucq, est-ce difficile d’être avocat en droit des étrangers ?
"Le travail de l’avocat en ce domaine est difficile pour plusieurs raisons.
La première est d’ordre juridique : le droit des étrangers est un droit complexe alliant des notions de droit public et de droit privé. Souvent dans le cadre de ses études un avocat va choisir l’une ou l’autre de ces deux branches. Peu d’avocats ont cette maîtrise des deux branches du droit.
Peu d’avocats ont une bonne maîtrise de ces deux branches du droit.

Romain Boucq, avocat au Barreau de Lille.

La deuxième est liée au manque de preuves : le juge administratif de par les règles du droit, va apprécier les situations administratives au regard des éléments écrits qui sont produits. Or, la plupart du temps, la personne à défendre ne dispose pas des éléments, des documents (pièces d’identités, fiches de salaires, documents attestants d’une persécution...) nécessaires à l’appréciation par le juge de son dossier.

Troisièmement, le problème humain. Aussi dramatique soit-elle, l’histoire, la situation de la personne ne compte pas, le juge administratif ne peut pas juger le côté humain de la situation puisque c’est l’acte administratif qui est mis en question dans ce procès. Il y a une inadéquation du système.

Quatrièmement, parfois, l’Administration crée une situation où une personne demandant à être accueillie est spoliée de son droit à voir sa demande ne serait-ce qu’examinée. A titre d’exemple : une personne souhaite obtenir un titre de séjour, lorsqu’elle dépose un dossier de demande de titre de séjour, elle reçoit un titre temporaire de séjour. Pour évtier de délivrer ce tire, certaines préfectures font un "refus guichet", c’est-à-dire qu’elles refusent de prendre en compte la demande de titre de séjour et, de ce fait, la personne reste dans une situation de clandestinité et ne pourra pas voir son dossier de demande de titre de séjour examiné par l’Administration. Pour contester un tel comportement, il y a un délai procédural de 2 ans environ pour savoir si l’administration a commis une faute ou non. Tout est fait pour les décourager.

Face à toutes ces difficultés, ces incohérences, l’avocat en droit des étrangers a un réel sentiment d’échec.

Le livre « Le chemin des morts » de François Sureau [1] est à ce titre, représentatif du combat administratif que doivent mener les avocats en droit des étrangers."

Les barreaux organisent-ils des actions spécifiques envers ces populations étrangères ?
"Le barreau de Lille dont je dépends, a mis en place une "commission des étrangers". Cette commission regroupe des avocats qui s’engagent à suivre une formation spécifique en droit des étrangers, afin de pouvoir représenter ces personnes étrangères le plus efficacement possible. De façon générale, ces personnes bénéficient de l’aide juridictionnelle."

L’intérêt médiatique actuel peut-il améliorer la situation des réfugiés en France ?
"Ce serait bien, mais concrètement, il faudrait une modification complète du mode de fonctionnement du droit des étrangers, car il n’est plus en adéquation avec la situation actuelle. Il faut en repenser la logique globale. Or, le droit des étrangers n’est pas seulement affaire de justice, il est aussi politique. En droit des étrangers, les convictions politiques rentrent en ligne de compte."

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Benjamin Brame, le flux actuel de réfugiés a t’il bouleversé votre quotidien d’avocat ?
"Oui et Non, car tout dépend de quoi vous voulez parler ? En effet en dehors de la médiatisation extrême de la notion de "migrants", sans cesse employée sans faire de distinction entre "réfugiés politiques" et "immigration clandestine" qui a occupé la planète médiatique tout l’été 2015, qu’en est il réellement des chiffres globaux ? Il n’y a en pas, rien n’est vérifiable en cette matière.
Sinon, si on parle de l’afflux spécifique des réfugiés syriens, qui lui est évident ; et bien cela ne bouleverse pas mon quotidien d’avocat, pourquoi ? Parce que mon cabinet connaissait déjà un très grand nombre de demandes d’asiles. 

Benjamin Brame, avocat au Barreau de Paris.
Profil Membre du Village ici.

L’intérêt médiatique peut-il amélioré la situation des réfugiés en France ?
"Oui et Non encore.
Quand les médias d’info moderne dit "d’info continue" passent à longueur de journée des images de gens qui se tassent dans des trains, camions, bateaux, à l’évidence les sondages démontrent ensuite que les Français ont peur d’un afflux considérable et d’être envahis et par conséquent la xénophobie monte.
Mais tout au contraire, quand une photo d’un petit garçon mort, la tête dans l’eau, fait la Une, alors là, le coeur des êtres humains, à moins qu’il soit de pierre ou de glace, ne peut qu’avoir envie d’aider son prochain et la compassion alors agit en faveur des réfugiés."

Les procédures en France sont-elles adaptées à la situation actuelle ?
"Nous sommes en pleine instauration de la réforme du droit d’asile, mais en vérité le problème n’est pas la procédure, car de toute façon le droit d’asile repose sur les fondements de la Convention de Genève de 1951, et ceci ne peut être changé.
Non, en vérité, le problème principal est le manque d’écoute de l’OFPRA [2], due essentiellement à un manque d’effectif pour traiter les dossiers.
Il y a deux orientations majeures à la réforme : la présence de l’avocat lors de l’entretien devant l’OFPRA et la volonté de raccourcir les délais d’instructions des dossiers.
Pour ce qui est de la présence de l’avocat celle-ci se résume à celle de "témoin", comme la garde à vue en pénal, car le conseil du client doit rester silencieux pendant l’entretien.
En outre, si on voulait réellement accélérer la procédure comme le souhaitait la réforme, il est évident que pour le faire bien il y a urgence à créer une deuxième Cour Nationale du Droit d’Asile, décentralisée dans le Sud de la France, afin de désengorger celle de Montreuil."

Face à ce phénomène, allez-vous recruter des avocats pour vous aider dans cette démarche de défense des droits de l’Homme ?
"Mon cabinet est en effet en pleine expansion. Mais en vérité l’augmentation de mes dossiers se fait surtout sur des questions de Naturalisation, et de droit au séjour (Titre de séjour).
Car ce sujet n’est quasiment pas évoqué par les médias, mais dans ce domaine il y a réellement une augmentation flagrante des demandes, les procédures d’acquisitions étant de plus en plus complexes, et les méthodes des préfectures parfois d’une grande mauvaise foi.
Enfin, les clients étrangers sont de plus en plus conscients de leurs droits et donc deviennent, à bon droit, de plus en plus procéduriers.
En bref, ils ont enfin compris en masse que le pouvoir discrétionnaire de l’administration pouvait être légalement combattu devant les juridictions administratives et viennent de plus en plus consulter des avocats experts en droit des étrangers, qui sont avant tout des grands connaisseurs du droit administratif, 90 % des procédures en "droit des étrangers" relevant des juridictions administratives.

Comment intervenez-vous auprès des étrangers ?
"Pour les réfugiés, je reçois mes clients à plusieurs reprises afin de bien comprendre leur histoire et de les défendre en cas de rejet de demande d’asile.
Ensuite je les prépare soit à l’entretien devant l’OFPRA, soit à une audience devant la CNDA. Tout dépend donc si ils viennent me consulter avant l’entretien OFPRA ou après un rejet.
Après, un vrai travail de rédaction du recours devant la CNDA se déroule, où récit des craintes personnelles du réfugiés et contextes géopolitiques doivent être traités avec soin et dans la mesure du possible étayés de pièces prouvant les récits.
Un vrai travail de "coaching" se met alors en place afin d’éviter les pièges de la procédure et d’éviter que les demandeurs perdent tous leurs moyens lors de leur intérrogatoire à l’OFPRA ou à la CNDA.
Pour les clients étrangers demandant des titres de séjours ou entreprenant des démarches de naturalisation, le travail est tout autre, il demande la réunion d’éléments précis, et un accompagnement physique des clients dans leurs démarches administratives."

Souhaitez-vous aborder une autre question liée à ce sujet ?
"Oui !!!! Cet été est passé quasiment sous silence, un texte adopté en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale le 23 juillet 2015.
Il était annoncé depuis déjà un an jour pour jour, en même temps que la réforme du droit d’asile, mais est pourtant resté en dehors de tout débat public avant l’ouverture de la séance parlementaire.
Ce projet de loi a été présenté comme une réforme s’inscrivant dans la volonté d’améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers, mais au final il n’en ai rien comme j’ai pu l’écrire dans l’article Immigration : l’adoption du projet de loi « Droit des étrangers » publié le 6 août 2015."

Propos recueillis par Marie
Rédaction du Village de la justice.

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Notes de l'article:

[1Le chemin des morts de François Sureau, Editions Gallimard.

[2Office français de protection des réfugiés et apatrides.

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