Assurance-vie, PEL et la hausse des prélèvements sociaux : où comment la rétroactivité de la loi fiscale ne sera sans doute pas considérée comme une rupture du pacte de confiance.

Par Thierry Vallat, Avocat.

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Suite au vote de la hausse rétroactive des prélèvements sociaux sur les assurances-vie, PEL et autres PEA adoptée par l’Assemblée Nationale mercredi dernier, nous nous trouvons en présence d’une nouvelle loi fiscale rétroactive qui sera vraisemblablement soumise à la censure du Conseil Constitutionnel...mais qu’en dit vraiment la jurisprudence de ce dernier ?

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Dans le cadre du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, les députés ont voté le 23 octobre 2013 l’uniformisation du taux de prélèvements sociaux sur les produits d’épargne exonérés d’impôt sur le revenu.
Dès lors un montant de 15,5% sera désormais prélevé au moment de la réalisation des gains, alors que les PEA, PEL, produits d’assurances-vie et d’épargne salariale bénéficiaient jusqu’alors d’un système de taux dits "historiques" : le taux prélevé au moment de la réalisation du gain était calculé en fonction de ses différentes évolutions au cours de la durée du placement depuis 1996.
Aussi certains se sont immédiatement élevés contre cette mesure, à l’évidence rétroactive en dénonçant une "rupture du pacte de confiance".
Il est donc temps de revenir sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel en la matière.
Le Conseil constitutionnel a en effet développé une jurisprudence désormais bien établie sur la rétroactivité de la loi fiscale (I).
Il en a fait application encore très récemment lors de l’examen de la loi de finances pour 2013 et de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 (II).

I – Une jurisprudence bien établie

D’une part, le Conseil ne reconnaît pas l’existence d’un principe de confiance légitime.
Au contraire, le Conseil juge qu’il est loisible au législateur d’adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu’il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles.
Ainsi, dans la décision n° 97-391 DC du 7 novembre 1997, il a jugé : «  que le principe de non rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive ; qu’il est loisible au législateur d’adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu’il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles ; qu’aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de « confiance légitime ». Dans cette décision, le Conseil en déduit « qu’en prévoyant que les dispositions nouvelles (assujettissant à l’impôt sur les sociétés les plus-values résultant des cessions d’actif) régiraient les exercices ouverts à compter du 1er janvier 1997, le législateur s’est borné à déterminer les modalités d’application de la loi dans le temps en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but qu’il s’est fixé ; que, dans ces conditions, le principe d’égalité n’a pas été méconnu ».

Si l’exigence de sécurité juridique n’a pas été reconnue comme un principe constitutionnel, le Conseil utilise cette exigence pour limiter la rétroactivité des lois, protéger l’économie des contrats légalement conclus et renforcer son contrôle sur les lois de validation. Dans la décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, il a ainsi limité les possibilités de rétroactivité de la loi fiscale : « Le principe de non rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive ; que néanmoins, si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». En l’espèce, le Conseil a estimé que le souci de prévenir les conséquences financières d’une décision de justice censurant le mode de calcul de l’assiette de la contribution en cause ne constituait pas un motif d’intérêt général suffisant pour modifier rétroactivement l’assiette, le taux et les modalités de versement d’une imposition.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a ainsi évolué en faisant une place plus grande à la sécurité juridique à travers la protection de la garantie des droits qui résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Ainsi, depuis sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 sur la loi de finances pour 2006, il juge « qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ». La notion d’intérêt général « suffisant » indique un contrôle renforcé du Conseil constitutionnel sur les motifs invoqués pour justifier la rétroactivité ou la remise en cause par la loi de situations légalement acquises.

II – Les décisions du 29 décembre 2012

1) La conformité à la Constitution de la « petite rétroactivité » fiscale

La « petite rétroactivité fiscale » est une invention jurisprudentielle du Conseil d’État.
Elle est la conséquence de la détermination du fait générateur de l’impôt. Celui-ci est fixé en matière d’impôt sur les sociétés au jour de la clôture de l’exercice (CE, Ass. 16 mars 1956, n° 35663, Sieur Garrigou, concl. Laurent, Recueil p. 121-122) et en matière d’impôt sur le revenu au dernier jour de l’année civile de réalisation ou de mise à disposition des revenus (CE, Ass. 5 janvier 1962, n° 46798, Sieur X, concl Poussière, Recueil p. 7). Le fait générateur de l’impôt intervient ainsi le 31 décembre, la plupart des sociétés clôturant leur exercice à la fin de l’année civile. La loi de finances de fin d’année étant publiée au plus tard à cette date, elle entre en vigueur au moment où survient le fait générateur de l’impôt et régit l’établissement de l’impôt au titre de revenus réalisés pendant l’année qui a précédé cette entrée en vigueur.

Les requérants demandaient au Conseil constitutionnel de mettre fin à la « petite rétroactivité » fiscale des articles 22, 23 et 24 de la loi de finances 2013 ou du moins d’en limiter les effets.

Le Conseil n’a pas fait droit à cette demande. Il a estimé que cette « petite rétroactivité » est inhérente à des impositions acquittées en année n+1 sur des revenus ou des produits réalisés en année n. Par suite, il n’a pas modifié sa jurisprudence et a jugé que la modification, en fin d’année 2012, des règles applicables aux impôts qui seront dus en 2013 au titre de l’année 2012, ne portait pas atteinte à des situations légalement acquises. Il a donc écarté les griefs formulés contre les articles 22, 23 et 24 de la loi de finances pour 2013 tirés de la rétroactivité de la loi (cons. 108).

Le Conseil a confirmé cette position s’agissant de l’article 15 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 relatif à la réforme de l’imposition du produit résultant de la cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire. En effet, cette réforme n’est applicable qu’aux cessions ayant pris date certaine à compter du 14 novembre 2012. Par conséquent, les produits de cessions ayant pris date certaine antérieurement continueront à être soumis à la législation antérieure. La « petite rétroactivité » était, en l’espèce, cantonnée à la période débutant lors du dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale.

2) Le contrôle de la rétroactivité de la loi fiscale

Le Conseil a reconnu le caractère rétroactif de deux ensembles de dispositions, celles de l’article 9 de la loi de finances pour 2013 qui ôtaient au prélèvement forfaitaire opéré sur les dividendes et les produits de placement en 2012 son caractère libératoire et celles de l’article 18 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 relatives aux règles d’imposition des plus-values d’apport de valeurs mobilières et de titres à une société contrôlée par le cédant.

S’agissant de la réforme du prélèvement libératoire versé en 2012, le Conseil a jugé que son effet rétroactif n’était pas fondé sur un motif d’intérêt général suffisant. La notion de prélèvement libératoire revient en effet à libérer de l’impôt par le calcul d’un prélèvement sur l’opération considérée. Le paiement, lorsqu’il est opéré, est libératoire. L’impôt exigible a déjà été versé. La mesure contestée tendait d’abord à permettre de lever de nouvelles recettes fiscales. Toutefois, le Conseil n’admet qu’exceptionnellement qu’un motif purement financier puisse justifier l’atteinte à des situations légalement acquises. Il a en conséquence jugé contraire à la Constitution le paragraphe IV de l’article 9 et apporté également, par voie de conséquence, des modifications au paragraphe VI du même article relatif à l’entrée en vigueur de certaines dispositions pour les revenus perçus en 2012 (cons. 44 et art. 4 du dispositif de la décision n° 2012-662 DC).

S’agissant de l’article 18 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012, il a pour objet de mettre fin à des mécanismes d’optimisation fiscale. Le Conseil a jugé que constitue un motif d’intérêt général suffisant, pour faire remonter la date de prise d’effet d’une mesure fiscale nouvelle de cette nature à la date du dépôt du projet de loi de finances sur le bureau de l’Assemblée nationale, l’objectif d’éviter que la publication de ce projet résultant de ce dépôt n’entraîne, avant l’entrée en vigueur de la loi, des effets contraires à l’objectif poursuivi. Il a donc déclaré conformes à la Constitution les dispositions du paragraphe II de l’article 18 de la loi de finances rectificative pour 2012 qui prévoyaient que le paragraphe I est applicable aux apports réalisés à compter du 14 novembre 2012 (cons. 19 de la décision n° 2012-661 DC).

On peut donc craindre que, sous réserve que le texte définitif de la loi sur le financement de la sécurité sociale comprenne toujours les dispositions rétroactives d’ores et déjà décriées, le débat devant le Conseil Constitutionnel ne soit presque déjà inéluctablement joué....Reste également que la date du point de départ de la rétroactivité, à savoir les contrats souscrits avant le 26 septembre 2013 date de l’annonce par le gouvernement de la mesure, pose également question, mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir !

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