Abandon de l’autonomie de la notion d’avantage indirect : la nécessité d’une intention libérale pour le rapport à la succession.

Par Baptiste Dumetz.

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Explorer : # liquidation successorale # avantage indirect # intention libérale

L’avantage indirect est une libéralité qui, pour être rapportable à la succession, nécessite un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier.

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On ne le sait que trop bien, la liquidation successorale suscite un important contentieux. L’intérêt financier apparaissant, la discorde s’en suit malgré (ou à cause) du deuil. Les choses sont d’autant plus difficiles lorsque les notions juridiques ne sont pas clairement définies par le législateur.
On en a eu un exemple avec la notion d’avantage indirect. La Cour de cassation, le 18 janvier 2012, a rendu plusieurs décisions en la matière, dont la première sera étudiée ici.

En l’espèce, un couple d’exploitants agricoles avaient, par préciput et hors part, fait donation par acte notarié en date du 1er mars 1979 de la nue-propriété d’un tiers de leurs biens, dont la maison d’habitation, à l’un de leurs deux enfants et ce à titre de partage anticipé. Par stipulation, le bénéficiaire, participant à l’exploitation en qualité d’aide familial non salarié, se voyait cependant tenu d’une obligation, à sa charge, de soins et d’entretiens des donateurs.
Les époux sont décédés en 1999. Leur second enfant a alors assigné son frère en liquidation et partage des successions de leurs parents. Il était soutenu que ce dernier s’était rendu coupable de recel successoral et, qu’ayant joui gratuitement de la maison servant d’habitation à leurs parents décédés, il avait bénéficié d’un avantage indirect devant être rapporté aux successions.
La Cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 22 septembre 2009, a débouté la plaignante de sa demande. Elle a donc formé un pourvoi sur plusieurs moyens.

La question qui se posait alors était celle de savoir si la donation en l’espèce caractérisait bien, pour le bénéficiaire, un avantage indirect, susceptible d’être rapporté à la succession ?

La première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu en date du 18 janvier 2012 [1], a répondu à cette problématique par la négative. Les juges ont rappelé que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession. La Cour d’appel, ayant admis que l’intention libérale des donataires n’était pas établie, avait légalement justifiée sa décision. Par conséquent, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.

Par cet arrêt la Cour de cassation vient effectuer un net revirement de jurisprudence quant à la question de l’autonomie de l’avantage direct (I). Par là elle précise strictement les conditions de qualification d’une libéralité, soumises à l’appréciation souveraine des juges du fond (II).

I) L’abandon par la Haute Juridiction de la conception objective de la notion d’avantage indirect susceptible d’être rapporté à la succession.

Au regard de la jurisprudence antérieure, la demanderesse au pourvoi avait fondé son action sur la présence d’avantage indirect retiré par son frère de par la donation dont il avait bénéficié. Un avantage qui, lorsqu’il est qualifié, doit être rapporté à la succession (A). Cependant, la première chambre civile ne va pas relever les moyens invoqués et va soutenir la position de la Cour d’appel qui n’établissait pas la présence d’un avantage indirect retiré de l’occupation gratuite de l’immeuble litigieux au regard de l’absence de toute intention libérale dans la donation (B).

A) La notion d’avantage indirect et son rapport à la succession invoqué par la demanderesse.

Légalement, cette notion d’avantage indirect ne dispose d’aucune véritable définition. C’est la doctrine qui, en étudiant la question, a pris le parti de définir le sujet. Le Professeur Véronique BARABÉ-BOUCHARD affirme ainsi que « la notion est utilisée pour désigner les profits non justifiés par l’objet principal d’une convention conclue entre le de cujus et un de ses successibles, ou d’un acte accompli à sa faveur par le défunt » [2].
Ces avantages sont donc bien évidemment issus d’un acte réalisé du vivant du de cujus. Ils découlent d’une donation ou d’une convention mais n’en étaient pas l’objet. Dans l’espèce de l’arrêt commenté, les époux défunts avaient effectué la donation, par préciput et hors part, de la nue propriété d’un tiers de leurs biens, dont la maison d’habitation, à un de leurs deux enfants, en l’occurrence leur fils. Selon leur autre enfant, demanderesse dans cette affaire, c’est par la jouissance gratuite de la maison d’habitation que le bénéficiaire a retiré un avantage indirect. Cet avantage devant être rapporté à la succession, comme il est disposé dans l’article 843 du Code civil.
Il y est en effet affirmé que « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. »

Bien entendu, si on considère ces textes et ces définitions, on en vient à déduire que pour qu’il y ait rapport de ces avantages il faut qu’ils soient issus d’une libéralité faite par le défunt au bénéficiaire, qui en a tiré des avantages indirects par la suite. L’article 893 du Code Civil dispose que « La libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament  ». On dit traditionnellement qu’il n’y a de libéralité que si deux éléments sont réunis, l’élément matériel et l’élément intentionnel. Le premier suppose que la personne gratifiée ait reçu un avantage sans contrepartie. On dit encore qu’il faut un appauvrissement du disposant et un enrichissement du gratifié. Si ces éléments font défaut, il faut exclure la qualification de libéralité.
Le second élément n’est défini ni par la jurisprudence ni par la loi. C’est néanmoins une exigence classique selon laquelle le disposant doit avoir la volonté de s’appauvrir et corrélativement le gratifié doit lui avoir la volonté de s’enrichir. On parle encore en la matière de l’animus donandi, intention de donner.

On voit que classiquement, la notion d’avantage indirect est intégrée dans la notion de libéralité. Pourtant, dans la seconde moitié du XXème siècle, l’avantage indirect s’est peu à peu détaché de la libéralité. On a pu percevoir une tendance jurisprudentielle à l’extension du domaine du rapport en succession, alors même, que les conventions concernées n’obéissaient pas, à coup sûr, aux éléments catégoriques de la libéralité. Il s’est développé un mouvement prétorien favorable à l’autonomie de la notion d’avantage indirect rapportable, détachée du concept de libéralité.
Depuis un arrêt important de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 8 novembre 2005, celle ci a substitué la qualification d’avantage indirect à celle de libéralité, retenue par les magistrats en appel, dans une affaire concernant également une occupation gratuite d’un logement d’habitation. Les juges avaient ajouté que « [...] même en l’absence d’intention libérale établie, le bénéficiaire d’un avantage indirect en doit compte à ses héritiers ». Plus qu’une présomption d’intention libérale, le raisonnement tenu par la Haute Juridiction conduisait à admettre qu’en présence d’un déséquilibre objectif non causé par une volonté d’avantager, le rapport serait du. Il consacre, incontestablement, la notion d’avantage indirect objectif.

Cette position de la Cour de cassation concernant le rapport à la succession des avantages indirects issus d’une jouissance gratuite de la maison d’habitation des donataires, décédés entre temps, est le fondement même des prétentions de la sœur du bénéficiaire en l’espèce commentée. Pour autant, la Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation ne va pas appliquer la jurisprudence de 2005.

B) Le rejet de la demande de rapport des avantages indirects pour absence d’intention libérale de la part des donateurs : un revirement de la cour de cassation par rapport à 2005.

Le pourvoi formé par la demanderesse dans l’espèce étudiée ici soutenait clairement la nature d’avantage indirect objectif. En effet, il n’est fait mention que de l’avantage sur le plan matériel. Elle défendait que même si son frère ne jouissait pas exclusivement de l’immeuble, puisque ses parents y vivaient encore, il l’occupait tout de même à titre gratuit. Que cela entrainait « une rupture objective d’égalité dans la situation des successibles ». Ainsi, cette occupation constituerait bien un avantage indirect devant être rapporté. Et ce malgré l’obligation d’entretien assortie à la donation. On remarque bien ici que seul l’enrichissement du bénéficiaire est pris en compte par la demanderesse.
Pour autant les juges de la Cour d’appel d’Agen n’avaient pas accédé à la requête. La question de l’avantage est complexe car devant être appréciée in concreto. Cela est soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, non seulement l’héritier n’avait bénéficié que d’une occupation non exclusive de l’immeuble, les parents y vivant également, mais il bénéficiait en outre d’une créance de salaire différée en raison de son activité non rémunérée au sein de l’exploitation familiale depuis plusieurs décennies.
Au vu de l’ensemble de ces charges qui pesaient sur l’héritier, il était difficile de voir dans cette jouissance de l’immeuble une libéralité devant faire l’objet d’un rapport. En effet, il n’y a pas lieu à rapport si l’héritier a été soumis à des charges, l’avantage ne lui conférant au final aucun bénéfice.
Les juges d’Agen ont suivi une jurisprudence qui se démarquait de celle 2005 concernant l’occupation gratuite d’immeuble. Le 3 mars 2010, la première Chambre civile estimait que l’occupation gratuite d’un immeuble ayant appartenu au défunt pouvait être qualifiée de frais de nourriture et d’entretien, et, de fait, être exclue de tout rapport conformément aux dispositions de l’article 852 du Code civil. La doctrine avait salué cette décision.

C’est sur ce point de l’intention libérale que les magistrats du Quai de l’Horloge vont trancher la problématique soulevée dans cet arrêt du 18 janvier 2012. Ne pouvant apprécier les faits comme les juges du fond, ils se sont retournés vers la définition classique de la libéralité afin d’observer si les conditions étaient réunies. Celles ci ne l’étaient pas en l’espèce. La Cour énonce que « [...] seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ; que la cour d’appel ayant admis que l’intention libérale des époux X... (les donateurs) n’était pas établie, sa décision se trouve légalement justifiée  ».
La première chambre civile a, fort opportunément, choisi de revenir sur la jurisprudence de 2005 en renonçant à la notion d’avantage indirect autonome. L’absence d’intention libérale établie par les juges du fond est donc exclusive de la qualification et, par conséquent, de toute soumission au rapport.

La Cour de cassation, par ce revirement de jurisprudence, revient à une conception subjective de l’avantage indirect et le lie directement à la notion de libéralité. L’intention libérale, l’élément intentionnel de la libéralité, est nécessaire à la qualification. Sans cela aucun rapport n’est envisageable puisque ce n’est pas une libéralité. Cette décision a une portée non négligeable dans le domaine des libéralités en droit des successions, confirmée par trois autres arrêts du même jour.

II) Un revirement bienvenu en droit des successions : la réaffirmation des éléments catégoriques de la libéralité.

Bien que cela puisse être considéré comme une affirmation implicite, la Cour de cassation apparaît stricte quant aux conditions de qualification d’une libéralité et à leur complémentarité (A). Cet arrêt du 18 janvier 2012 a été confirmé et précisé par trois autres arrêts rendus le même jour et à propos du même sujet, les avantages indirects, les libéralités et leur rapport hypothétique à la succession (B).

A) Le rappel strict des conditions de qualification d’une libéralité : une décision logique en quête d’équité.

Comme on l’a vu précédemment, le nouvel article 893 du Code civil dispose, en son premier alinéa que « la libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens et de ses droits au profit d’une autre personne ». Force est de constater, que la définition offerte n’insiste nullement sur les éléments qui fondent la catégorie. Pour autant, on l’a dit on retenait classiquement un élément intentionnel et un élément matériel. Au fil des jurisprudences, la Cour de cassation avait distingué la libéralité d’un avantage indirect autonome. Aujourd’hui avec cet arrêt du 18 janvier 2012, les juges de la Haute Juridiction viennent rappeler qu’un avantage indirect n’est rapportable à la succession qu’à condition qu’il soit constitutif d’une libéralité, ce qui suppose que le créancier du rapport fasse la preuve de l’intention libérale de son auteur. Cela cumulé, comme le précise la cour dans sa solution, à « un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier ». En effet, l’appréciation des juges du fond sera plus complexe en ce qui concerne l’appauvrissement de l’un et l’enrichissement de l’autre. Cela pourra varier.
Mais pour autant, deux éléments rappelés par la Cour de Cassation dans la solution commentée sont nécessaires à la qualification de la libéralité rapportable.

On ne peut que saluer une telle prise de position de la part des juges de la première chambre civile. En effet, exiger que l’avantage indirect soit causé par une intention libérale est susceptible de limiter le champ d’application du rapport à fins d’égalité. On sait bien évidemment que toute donation n’est pas toujours en la faveur du bénéficiaire, comme c’était le cas en l’espèce. Le fait que ce dernier, bien que jouissant gratuitement du logement de ses parents, doivent vivre avec eux et les entretenir sur le plan financier représente plus un « cadeau empoisonné ». Une simple possibilité d’être logé gratuitement. Surtout s’il on prend en compte le fait que le fils travaillait comme aide non salarié dans l’exploitation familiale agricole.

Cette décision ici approuvée s’est vue répercuter un écho dans trois autres décisions rendues par la Cour de cassation le même 18 janvier 2012.

B) Une décision appuyée et précisée par trois autres arrêts rendus à la même date.

Cette décision doit être mise en parallèle avec trois autres arrêts du même jour, au visa de l’article 843 du Code civil allant dans un sens similaire. Les juges de la Cour de cassation ont souhaité donner une force à leur prise de position, permettant une vision encore plus précise de la question sujette à débat du rapport des avantages indirects. Le premier, bien que non interrogé sur ce point, énonce qu’il est nécessaire d’établir l’intention libérale du disposant pour que soit exigé le rapport des avantages résultant de l’occupation gratuite d’un appartement et de la perception des loyers [3]. On voit ici lien direct avec l’arrêt commenté sur la question de l’occupation gratuite d’un immeuble. La deuxième décision [4] confirme le point de l’intention libérale et précise que les dispositions légales gouvernant l’indivision, concernant les fruits et revenus des biens, sont étrangères au rapport des libéralités, lesquelles supposent l’existence d’une intention libérale. Enfin, le dernier arrêt [5] rappelle également qu’il ne saurait y avoir de libéralité rapportable, en cas de travaux financés par l’usufruitier sur l’immeuble objet d’un démembrement, que si, ce faisant, il entend gratifier le nu-propriétaire et non simplement agrémenter sa jouissance du bien. L’intention libérale doit être certaine.
Cette dernière solution montre bien la volonté de précision des juges.
Désormais, il conviendra de démontrer à la fois l’enrichissement de l’héritier corrélatif à l’appauvrissement du disposant. De plus, il faut pour que la mise à disposition d’un immeuble soit qualifiée de libéralité rapportable, établir l’intention libérale du disposant, dont l’héritier demandeur doit rapporter la preuve. D’ailleurs, plus récemment la Cour de cassation a de nouveau précisé le contentieux en venant rappeler que l’animus donandi devait être caractérisé par un nécessaire appauvrissement du donateur [6].

Au regard de ces différentes solutions, les juges de la Cour de cassation paraissent exclure l’occupation gratuite du domaine de l’avantage indirect qui demeurera limité à des hypothèses mettant en lumière le caractère indirect du profit. La notion d’avantage indirect, même libérée de son caractère objectif, doit rester cantonnée à son domaine naturel sans s’étendre à des situations qui ne lui correspondent pas. Les arrêts du 18 janvier 2012 et leurs confirmations ultérieures éclairent, sans conteste, les relations unissant la libéralité à l’avantage indirect. L’abandon de l’autonomie de l’avantage indirect rend les conséquences d’une qualification maladroite ou imprécise beaucoup moins préjudiciables.
C’est là une volonté claire de cohérence.

Baptiste DUMETZ

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Notes de l'article:

[1n°09-72.542

[2JCP N n°16 20 avril 2012

[3Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 10-27.325

[4n° 10-25.685

[5n° 11-12.863

[6Cass. 1ère civ. 25 septembre 2013, n°12-24779 ; Cass. 1ère civ, 23 octobre 2013, n°10-28620

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