Ce rançonnage industriel a été rendu possible grâce à la confiscation du Droit. Le droit bancaire, c’est le droit des banques, fait par les banques, pour les banques. Imaginé par des juristes et par des universitaires au service des banques, épaulés par les juges de la Cour de cassation sabrant des décisions équilibrées de juges de première instance ou parfois d’appel, ce droit bancaire confiscatoire des intérêts des consommateurs s’épanouit dans l’indifférence du législateur français, député ou sénateur, ainsi que dans l’approche souvent inadéquate des Associations de consommateurs. Cette collusion normative entretient une forme de rente économique, en réalité défavorable à toute l’économie, y compris aux établissements de crédit eux-mêmes.
Tout système durci s’expose aux fissures.
L’ébranlement de celui-ci provient de sa périphérie : le législateur de l’Union européenne, le juge de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et le juge constitutionnel, parfois celui du Conseil d’État. Le Conseil constitutionnel, en matière d’assurance-emprunteur, le 12 janvier 2018, a confirmé le droit à la résiliation annuelle de l’assurance-emprunteur (QPC 2017-685), sur la double considération de la nécessité d’« un meilleur équilibre contractuel » et de la poursuite d’« un objectif d’intérêt général ».
La liberté de choix de l’assurance-emprunteur est un droit du consommateur, pas du prêteur. Que d’évidence. Pour faire valoir un droit auquel toute une industrie a pu s’opposer sans grande difficulté durant trente années, les actions individuelles des consommateurs / emprunteurs / assurés peuvent s’engager : en voici quatre.
1/ La recherche d’une assurance-emprunteur alternative et la substitution de l’assurance-emprunteur existante : la généralisation de la résiliation.
L’assurance-emprunteur, notamment en crédit immobilier, couvre les risques de défaut de remboursement des échéances de ce crédit. Cette situation provient notamment des risques d’un décès, ou de la survenance des nombreux aléas conduisant soit à l’invalidité, soit à l’incapacité de l’emprunteur.
Instrument de couverture patrimoniale, l’assurance-emprunteur n’est pas une assurance obligatoire. Le prêteur l’impose, généralement ; ce principe n’est pas choquant. En revanche, le même prêteur impose au passage son produit d’assurance-emprunteur, issu de son groupe bancaire et assurantiel (assurance dite « de groupe »). À prix deux fois plus élevé, pour l’emprunteur ; cette vente forcée à marges considérables est inacceptable. Telle est la pratique depuis une trentaine d’années. Cette surfacturation de l’assurance-emprunteur proposée par les banques s’exerce sans réaction ni pratiquement aucun contrôle externe.
L’Autorité de contrôle bancaire et assurantielle (l’ACPR), pourtant chargée de la protection des consommateurs (article L. 612-1 I du Code monétaire et financier), depuis 2010, n’a montré qu’un intérêt de circonstance pour ce sujet, de surcroît, tardivement (Recommandation ACPR 2017-R-01 du 17 juin 2017). Sans doute son autre mission centrale de « préservation de la stabilité du système financier » (même disposition du Code monétaire et financier) peut, parfois, mal se concilier avec la protection des consommateurs.
En principe, l’emprunteur peut choisir l’assurance-emprunteur parmi les offres du marché auprès d’un assureur externe au prêteur : c’est l’assurance dite « déléguée ». En pratique, tout le processus commercial bancaire s’oppose à un tel choix.
Près de 7 milliards d’euros de cotisation annuelle d’assurances-emprunteur de crédits immobiliers sont, de la sorte, aux mains des banques à 87% : voici l’un des rares marchés où le produit vendu deux fois plus cher représente près de neuf ventes sur dix. Ces assurances couvrent à peu près totalement un marché des crédits immobiliers aux particuliers qui vient de passer le volume emblématique de 1.000 milliards d’euros d’encours, à fin 2017.
1.1. L’illusion de la participation des assurés aux bénéfices de l’assurance-emprunteur.
Les Associations de consommateurs auraient pu s’attaquer plus efficacement aux marges XXL des assurances-emprunteur bancaires. L’assurance-emprunteur « de groupe » offre certainement, une prise solide à une action de groupe (art. L. 623-1 et suivants du Code de la consommation).
Il y a eu quelques initiatives. C’est ainsi qu’en 2012, le Conseil d’État a jugé que le principe de la participation aux bénéfices s’appliquait à l’assurance-emprunteur (contrairement à l’analyse des banques. Il décide la distribution aux consommateurs d’une partie des résultats techniques et financier (Conseil d’État du 23 juillet 2012, n°353 885), soit pratiquement 20 milliards d’euros. Dans un monde à l’écoute, imagine-t-on l’effet qu’aurait une décision de justice annonçant la réversion d’une pareille somme à des clients ? Cette nullité n’aura guère d’effet juridique ; la décision est inapplicable.
En effet, les juges civils veillent au grain. En 2016, la cour d’appel de Paris juge qu’il n’existe aucun droit individuel des consommateurs aux bénéfices dégagés par l’assurance-emprunteur (Cour d’appel de Paris, du 17 mai 2016, n°14/20059). Les bénéfices sont distribuables ; mais pas aux assurés. Magnifique creux intersidéral dans l’espace juridique.
C’est donc le contrat individuel signé par l’assuré qui détermine son droit aux bénéfices (articles L. 132-5, L. 132-29 et A. 132-11 du Code des assurances).
La première action ouverte à l’emprunteur-assuré consiste donc à analyser son contrat d’assurance-emprunteur, pour déterminer comment s’opère la participation aux bénéfices et quelles en sont les modalités pratiques.
C’est d’ailleurs l’une des bonnes questions à se poser, lors de la souscription d’un contrat d’assurance-emprunteur.
En fonction des éléments issus du contrat, le cas échéant complété par un échange avec l’Organisme d’assurance, l’emprunteur peut adresser un courrier pour faire valoir son droit à la participation aux bénéfices, dans les conditions juridiques identifiées pour celui-ci.
Nul doute que cette voie laisse peu d’espoirs concrets.
La décision prioritaire, parmi les options amiables, consiste donc à tirer parti de la liberté nouvelle de substitution d’une assurance-emprunteur existante, par une autre assurance-emprunteur, équivalente, moins chère et librement choisie par l’emprunteur.
1.2. Fin de la vaine et trop longue résistance des banques au droit fondamental du libre choix par les consommateurs-emprunteurs.
Le 12 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a très clairement claqué la porte au nez du syndicat des banques françaises, lequel conduisait sans doute l’un des ultimes actes d’opposition à la liberté de choix de l’assurance-emprunteur.
La lutte juridique des établissements de crédit contre l’instauration de ce droit au libre choix de l’assurance-emprunteur aura montré la plus grande fermeté. Ce droit s’installe en 2010 (Loi 2010-737 du 1er juillet 2010, transposant la Directive européenne sur le crédit à la consommation : merci au législateur européen).
C’est la « déliaison » du crédit et de son assurance-emprunteur. Il s’agissait donc bien d’une vente liée, en principe prohibée. Résultat : aucun effet pratique.
La loi sur la consommation (2014-344 du 17 mars 2014, sur la consommation), « impose » de nouveau (rappelle ?) ce droit, pour les nouveaux contrats de crédit, souscrits après le 26 juillet 2014. Elle pose la possibilité de substitution, astucieusement, dans le délai d’une année, à ces nouveaux contrats. En dépit de la remarquable et très motivée décision de la cour d’appel de Bordeaux (Cour d’appel de Bordeaux, du 23 mars 2015, n°13/07023), avant celle de la cour d’appel de Douai, en 2016, le droit de résiliation annuelle des contrats antérieurs, la grande masse, est rejeté d’une main sûre par la Cour de cassation (Cour de cassation, Civ. 1ère du 9 mars 2016 n°15-18.899 et Civ. 1ère, du 4 octobre 2017, n°16-19.742). La Cour de cassation ne plaisante pas avec la sécurité du modèle économique bancaire ; elle y veille avec ardeur. À contre courant.
Ré-injecté par l’amendement d’un sénateur sans doute égaré (les temps auraient-ils changés ?), écarté, puis replacé dans la loi 2017-2013 du 21 février 2017 ce droit à résiliation annuelle fait donc illico l’objet d’une nouvelle contestation des banques, avec la forme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) via la contestation de l’Ordonnance concernée devant le Conseil d’État. Cette décision a été amplement commentée.
Le Conseil constitutionnel plie la question : la liberté de choix de l’assurance-emprunteur par l’assuré est reconnue (QPC 2017-685 du 12 janvier 2018). La résiliation annuelle de l’assurance-emprunteur respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. Désormais, la substitution de tout contrat d’assurance-emprunteur est possible chaque année, soit à date anniversaire du contrat soit à date anniversaire de l’offre de crédit.
De plus, cette disposition, indique le Conseil constitutionnel est « source d’un meilleur équilibre » entre consommateurs et banques. Dingue : ce point important avait échappé aux juristes bancaires.
Ce qui ne nous échappe pas, c’est le silence des banques, depuis cette décision. Comment ? Une importante décision de justice (il s’agit du Conseil constitutionnel) vient proclamer une liberté pour les clients des banques et les banques n’en disent mot ? Quelles sont leurs offres ? Comment les banques, soucieuses de leurs clients, entendent-elles les aider à mettre en œuvre cette liberté ? Quel accueil font-elles aux courtiers en crédits immobiliers qui répondent aux demandes d’assurances des clients, qualifiées naguère d’« alternatives » (il n’y a pas d’alternative à la liberté de choix, il n’y a que la liberté de choisir) ?
Continuent-elles, comme hier, de menacer ces mêmes courtiers de ne plus accueillir leurs demandes de crédits immobiliers lorsque celles-ci sont « mal » assorties en assurance-emprunteur, en violation verticale du droit de l’intermédiation bancaire ? Quelles sont les adaptations apportées à leurs offres ? Depuis le 12 janvier 2018, il n’y a que silence dans la plaine bancaire… Question de patience, sans doute.
Voici une suggestion. Une première action concrète, dans les conventions de distribution signées pour 2018 entre les prêteurs et les courtiers en crédits immobiliers, serait de rappeler explicitement la liberté dont jouissent tous les emprunteurs en matière d’assurance-emprunteur. Donc, de rappeler également celle des courtiers en crédits pour leur proposer toutes sortes de contrats d’assurance-emprunteur issus du marché et non seulement ceux de la banque proposant le crédit.
L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution pourrait, fort à propos, encourager cette nouvelle bonne pratique, totalement absente des conventions de distribution en crédits immobiliers. Elle aiderait de la sorte utilement les banques à délivrer leur devoir de conseil en assurances-emprunteur (cf infra). Et manifesterait concrètement son souci de la protection des consommateurs.
Il est donc enfin possible de résilier l’assurance-emprunteur chaque année.
Comment ?
La demande de substitution doit intervenir au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat d’assurance-emprunteur. Il convient de déterminer cette date. Soit le contrat ne comporte aucune date, et il faut alors se référer à la date de signature de l’offre de crédit immobilier ; soit le contrat d’assurance-emprunteur contient une date.
L’emprunteur opère sa recherche, sélectionne une assurance-emprunteur « aux garanties équivalentes » (Avis du Comité Consultatif du Secteur Financier du 13 janvier 2015). Soit en revenant chez le Courtier-IOBSP en crédits immobiliers, soit en s’adressant à un courtier en assurances, en ligne ou en ville. Une fois encore, le rôle des Intermédiaires, que ce soit en opérations de banque ou en assurances, est positif : ces professionnels de la distribution pratiquent une concurrence effective entre les offres.
Le choix fait, l’emprunteur communique à l’Organisme d’assurance et la banque prêteuse un courrier documenté, présentant sa demande de substitution en joignant notamment la Fiche standardisée, ou FSI (Fiche Standardisée d’Information en assurance-emprunteur). Le prêteur dispose de dix jours ouvrés (hors week-end) pour répondre.
L’opération peut être la source de plusieurs milliers d’euros d’économie, à l’échelle de vie du crédit, selon le taux d’assurance pratiqué par la banque et les paramètres du client (âge de l’emprunteur, durée du crédit, tabagisme, risques couverts). Elle offre l’occasion de revoir les garanties d’assurance. Non seulement les contrats d’assurance-emprunteur des banques sont trop chers, mais leurs garanties sont souvent faibles, notamment celles de certains groupes bancaires. Des garanties plutôt forfaitaires qu’indemnitaires sont plus avantageuses, pour l’assuré.
Cette deuxième action amiable consiste en l’envoi d’un courrier de substitution d’assurance-emprunteur, deux mois au moins avant la date anniversaire, pour concrétiser immédiatement une économie financière.
Outre ces actions immédiates portant sur les contrats en cours, il n’est pas inutile d’envisager des actions contentieuses. Les banques ont, durant des années, imposé par force aux emprunteurs des contrats minimalistes à tarifs gonflés. Il existe à présent un droit à réparation des préjudices subis par les consommateurs. Ce droit s’inscrit d’abord dans un esprit de justice.
Mais il procède également d’une nécessité : adresser aux banques françaises l’impératif de modifier leur modèle économique, en considération du nouvel indicateur suprême du droit bancaire : l’équilibre contractuel au service de l’intérêt général.
2/ Deux nouveaux angles de contestation juridique : la perte de chance et le défaut de conseil.
Outre l’action pratique d’économiser sur l’assurance-emprunteur en résiliant l’assurance de groupe de la banque pour lui substituer un nouveau contrat aux garanties équivalentes, il est parfaitement possible d’introduire des actions contentieuses. Pratiquées en masse, celles-ci peuvent avoir pour effet des gains individuels, en fonction des arguments de Droit présentés, autant que pousser à la transformation des pratiques bancaires.
Le principe intangible de la faute entraînant la réparation, s’applique.
Dans les deux hypothèses d’actions décrites, l’emprunteur procédera par étapes, en se faisant conseiller : courrier de réclamation, saisine du Médiateur de la consommation compétent, de la banque ou de l’assurance, pour recommandation (art. L. 612-1 et suivants du Code de la consommation) ; puis, phase judiciaire, selon les règles de compétence applicables.
2.1. La perte de chance de souscrire une assurance-emprunteur identique, pour moins cher.
La perte de chance consiste en « privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain » (Cour de cassation, Civ. 3e du 16 avril 2016 n°15.14-888). La perte de chance est exclusive d’un préjudice qui serait seulement aléatoire.
Cette action contentieuse se fonde sur responsabilité civile extra contractuelle (art. 1240 du Code civil, depuis le 1er octobre 2016).
Le dommage subi par l’emprunteur consiste en la disparition d’une probabilité favorable à la victime du préjudice, ici l’assuré.
Le dommage subi réside dans la disparition d’une probabilité raisonnable de souscrire une assurance-emprunteur équivalente, à coût moindre que celui proposé par la banque. C’est celui d’une perte financière, principalement. Le préjudice, en pareil cas, découle d’une probabilité, donc d’une part de la perte financière.
La réparation de la perte de chance n’est pas intégralement celle de la perte subie. Elle est appréciée souverainement par les juges (Cour de cassation, Civ. 3e du 16 avril 2016 n°15.11-342). Dans le même sens, « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu » (article 1112 du Code civil).
La charge de la preuve pèse sur le demandeur, donc sur l’emprunteur/assuré.
La position de ce dernier sera d’autant plus favorable, dans cette approche contentieuse, que celui-ci aura tenté de se procurer une assurance-emprunteur auprès du marché, démarche frappée par le refus de la banque.
L’emprunteur pourra produire la trace de ses démarches, la preuve de l’assurance-emprunteur refusée par la banque.
Dans le même sens, toute proposition récente (depuis le 1er janvier 2018) de la banque en vue de renégocier évidemment à la baisse le prix de l’assurance-emprunteur à la baisse, à garanties inchangées, démarche défensive parfois discrètement mise en œuvre, viendra soutenir que l’emprunteur a effectivement perdu une chance de payer mon cher un service identique. Ceci ne manquera pas de compliquer la tâche des banques qui souhaiteront s’opposer à l’inévitable évaporation de leurs portefeuilles d’assurances-emprunteur.
Cette action suit le délai civil de prescription, soit cinq années à compter de la date d’apparition du dommage ou de sa connaissance par l’emprunteur.
Elle consiste donc à engager une action contentieuse au titre de la perte de chance de souscrire une assurance-emprunteur plus favorable financièrement à l’emprunteur.
Une deuxième action, alternative, sur un autre fondement juridique, celui du défaut de conseil, est encore plus productive.
2.2. Le défaut de conseil dans la distribution d’assurance-emprunteur.
Les banques distribuent les contrats d’assurance-emprunteur avec le statut d’Intermédiaire en assurances. Elles sont immatriculées à ce titre sur le registre national des intermédiaires, tenu par l’ORIAS et consultable à www.orias.fr et redevables de plusieurs obligations précontractuelles.
L’Intermédiaire en assurances supporte une obligation précontractuelle de présentation (art. R. 520-1 du Code des assurances). Cette obligation permet de savoir quelle catégorie d’Intermédiaire d’assurance propose le contrat. Cette catégorie s’obtient notamment par les mentions légales du site de la banque.
En outre, et surtout, les Intermédiaires d’assurances doivent une obligation de conseil. Les banques sont peu familières avec cette obligation de conseil en assurances, ayant tout fait pour échapper aux obligations de conseil, en général, avec un plein succès puisqu’elles n’ont pas (encore) d’obligation de conseil en crédits, y compris en crédits immobiliers auprès des Particuliers. Le salarié de banque qui se présente au particulier en tant que « Conseiller » en crédit n’a, tout simplement, pas le droit d’utiliser une telle appellation, réservée aux Courtiers en crédits. Il s’agit même d’une pratique commerciale déloyale, car trompeuse (article L. 121-2 20 e) et f) du Code de la consommation).
Or, l’assurance, à la différence du crédit, abrite une forte obligation de conseil. Quelle est sa nature ? Génériquement, le conseil consiste en une « recommandation personnalisée » en vue d’une transaction, d’un achat « au mieux des intérêts des clients » (Directive d’intermédiation en assurance, 2016/97 du 20 janvier 2016, cf infra). L’écart de prix du contrat d’assurance, en considération d’un marché, caractérise la violation des intérêts des clients, conséquence d’un conflit d’intérêt entre le statut de prêteur et de distributeur d’assurance, dont les courtiers d’assurance doivent pourtant se préserver. En ce sens, la généralisation du devoir de conseil en crédit aux établissements de crédit conférerait une meilleure protection aux consommateurs, en cas d’octroi conjoint de crédit et d’assurance-emprunteur, avec une plus grande clarté.
Au titre du seul devoir de conseil en assurances : « Avant la conclusion de tout contrat, l’intermédiaire doit :
…/…
2° Préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d’assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé » (article L. 520-1 II 2° du Code des assurances).
Cette obligation est en place depuis 2006 et la transposition de la précédente Directive sur la distribution d’assurances (Directive 2002/92 CE du 9 décembre 2002). Elle couvre donc tous les contrats d’assurance-emprunteurs distribués depuis le 14 janvier 2005. L’absence de motivation du conseil prodigué, a fortiori, lorsque l’intermédiaire d’assurances ne propose qu’un seul produit, matérialise le défaut de ce conseil spécifique.
Pour rappel, la remise d’une notice d’assurance ne suffit pas à délivrer le conseil en assurance emprunteur (Cour de cassation, Civ. 2e du 3 juin 2004 n° 03-13.896 et Com. du 22 mars 2017 n°15-21.817). Le devoir de conseil en assurance emprunteur n’est évidemment pas dû par la banque prêteuse lorsque cette assurance n’est pas distribuée par elle (Cour de cassation, Civ. 1ère du 20 septembre 2017 n°16-19.676).
Ce devoir de conseil en assurance concerne toutes les catégories d’Intermédiaires d’assurance, au nombre de quatre. Ils se définissent ainsi : « Est un intermédiaire d’assurance ou de réassurance toute personne qui, contre rémunération, exerce une activité d’intermédiation en assurance ou en réassurance ».
A fortiori, si la banque a distribué l’assurance-emprunteur avec le statut de Courtier en assurances, qui constitue l’une de ces quatre catégories des Intermédiaires d’assurance, alors le devoir de conseil est encore plus étoffé (Cour de cassation, Civ. 1ère du 10 novembre 1964, n° 62-13411). Notamment, le Courtier d’assurance ne peut avoir de lien d’exclusivité avec un Organisme d’assurance, étant exclusivement au service du client.
Cette enfreinte de l’obligation de conseil est un manquement précontractuel distinct de l’exécution du contrat (Cour de cassation, Civ. 2e du 18 février 2010, n°09-10595). Le conseil en assurance est évidemment distinct du risque d’endettement (Cour de cassation, Civ. 1ère du, 30 septembre 2015, n°14-18.854).
Son enfreinte est sanctionnée en dommages-intérêts, en réparation intégrale du préjudice effectivement subi, en l’espèce, aisé à quantifier par référence au prix moyen du marché pour un contrat d’assurance identique, aux fameuses « garanties équivalentes ».
Car « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure » (article 1231-1 du Code civil, proche de l’ancien article 1147 du Code civil d’avant le 1er octobre 2016, selon la situation).
Point notable : la preuve de la bonne et conforme délivrance du devoir de conseil incombe au Professionnel (ensemble, articles 1353 du Code civil et L. 111-5 du Code de la consommation, ou Cour de cassation, Civ. 2e du 16 novembre 2016 n°15-14.820).
La nouvelle législation européenne sur la distribution d’assurance (Directive 2016/97 du 20 janvier 2016, ou « DIA 2 ») renforce et précise cette obligation de conseil en assurances. Elle consacre le devoir de conseil en assurance, qui matérialise un « conseil sur une analyse impartiale et personnalisée » (art. 19 1. c) i et art. 20 de la DIA).
La Directive DIA 2 en distribution d’assurances est entrée en vigueur, juridiquement, le 23 février 2018. Inapplicable en pratique à cette date, faute de transposition effective, elle produit des effets juridiques. Administrativement, sa mise en œuvre est fixée au 1er octobre 2018.
Depuis le 23 février 2018, ses dispositions offrent un point d’appui supplémentaire aux emprunteurs : la banque agissant comme Courtier d’assurances doit délivrer un conseil complet lors de la souscription de nouveaux crédits immobiliers, s’agissant de l’assurance-emprunteur. La proposition d’un seul contrat, « de groupe » matérialise son défaut de conseil.
Pour les contrats antérieurs, la mise en cause de l’obligation de conseil de la banque en tant qu’Intermédiaire d’assurances, voire de Courtier en assurances (selon l’analyse du contexte de distribution du contrat souscrit), offre une belle voie d’action contentieuse pour obtenir le remboursement, sous forme indemnitaire et avec le risque d’aléa judiciaire, de sommes payées abusivement, sans contrepartie d’un service ou d’une valeur économique supplémentaire. La question soit de la délivrance du conseil conformément au Droit, soit de la place du prix dans le contenu du conseil, offre un angle de discussion aux emprunteurs Particuliers.
Conclusion
La banque des années 1980 se montrait encore soucieuse des clients. Le service aux clients n’était pas un sujet de réflexion : il était une pratique. Le fort mouvement de dérive touche ses limites. Il faut à présent penser le Droit avec « l’intérêt général » bancaire et assurantiel.
Il ne s’agit donc ni de pro-consumérisme acharné ni d’anti-« bancarisme » primaire.
Il s’agit de considérer que les fondamentaux du modèle économique et juridique des établissements de crédit sont à présent parfaitement négatifs non seulement pour l’économie, pour le pouvoir d’achat des ménages, mais pour ces établissements bancaires eux-mêmes.
Dépassés de tous les côtés, dans la distribution par les IOBSP, Courtiers ou Mandataires en crédits, dans l’innovation par les agiles FinTechs, par leur pathétique manque de maîtrise des outils digitaux, contournés par les opérateurs du financement participatif (crowdfunding), désavoués depuis 2008 en raison de leur incapacité avérée à gérer les risques, déstabilisés par des évolutions juridiques enfin imposées, les établissements de crédit français ne devraient avoir qu’une seule hâte : cesser les rafistolages et changer de modèle. Abandonner les discours et retrouver l’action. Amorcer une réforme en profondeur.
Car d’autres pratiques et d’autres produits surfacturés légalement demeurent. Lutter contre la voracité bancaire, c’est favoriser le pouvoir d’achat, car cette boulimie s’exerce surtout au détriment des particuliers et des petites entreprises ; c’est également favoriser la remise en cause des établissements de crédit, pour leur propre bien et même, pour celui des milliers de personnes qui y travaillent.
Le droit bancaire a débuté une mutation à accélérer, pour devenir le lieu de l’équilibre de la relation entre le professionnel, notamment l’établissement de crédit, et les consommateurs. Une mutation n’est pas une sanction ; elle suppose en revanche de changer le modèle économique obsolète, celui prétendument de la « banque universelle », en réalité de la banque unilatérale, autocentrée.
Le modèle bancaire français des années 1960 s’éteint sous nos yeux. Il reste à inventer une économie bancaire plus harmonieuse, qui sera sans doute beaucoup plus stable, fondée sur « l’équilibre contractuel » et respectueuse de « l’intérêt général » (Conseil constitutionnel, 12 janvier 2018).
Il y a bien trop longtemps que la banque française a installé sa demeure « dans l’argile durcie ». Elle ne se déplace plus. Il lui faut renouer avec le mouvement. Un changement radical du droit bancaire peut l’y aider.