Le droit incontestable : l’absence étonnante de toute obligation de conseil en crédit du prêteur.
Alors que le conseil a pratiquement investi toutes les prestations de services, les banques françaises sont viscéralement opposées à toute obligation de conseil en crédit. Benoîtement, depuis 2007, la Cour de cassation épouse leur exigence.
La responsabilité du prêteur se limite ainsi à une autre obligation, moins percutante : celle de la « mise en garde ». Celle-ci vise l’emprunteur « non averti » (hors le crédit immobilier aux consommateurs, où la mise en garde protège tous les emprunteurs). Il ne s’agit pas d’une coquetterie sémantique : ces deux obligations précontractuelles, de mise en garde et de conseil, présentent des contenus radicalement différents.
La « mise en garde » ; certes : contre quoi ? Contre l’endettement excessif (pour simplifier) de l’emprunteur ; notion différente et plus large que celle de « surendettement ».
Exactement et juridiquement la mise en garde « contre le risque de l’endettement excessif né de l’octroi des prêts » [1] selon la formulation ampoulée de la Cour de cassation, sans doute pénétrée de l’intérêt supérieur des troubles de langage, de préférence à l’usage de termes compréhensibles. Voilà pour la règle juridique générale [2].
En crédit immobilier aux consommateurs, la règle de mise en garde est donc différente.
Dans ce seul domaine (que l’emprunteur soit « averti » ou non : la législation européenne ne fait pas cette différence), la mise en garde lui est due par le professionnel bancaire lorsque : « compte tenu de sa situation financière, un contrat de crédit peut induire des risques spécifiques pour lui » [3].
Bien évidemment, la règle particulière évinçant la règle générale, c’est uniquement cette version légale de la mise en garde qui s’applique aux contrats de crédit immobilier aux consommateurs souscrits depuis le 1er octobre 2016 (la conciliation des deux règles juridiques étant clairement impossible, outre qu’elle est superflue).
Aucune règle spécifique ne s’applique au crédit à la consommation, ni aux financements aux professionnels : la mise en garde jurisprudentielle s’applique donc [4].
L’Intermédiaire en Opérations de Banque (ou « IOBSP ») est également tenu au devoir de mise en garde en crédit. Cette solution est dépourvue de toute marge d’interprétation en crédit immobilier aux consommateurs, comme l’indique la rédaction explicite de l’article L313-12 du Code de la consommation.
La mise en garde a évincé le devoir de conseil en crédit, pour les prêteurs.
En 2009, au temps de la préparation de la législation européenne sur le crédit immobilier, le syndicat des banques françaises a produit une réponse écrite à la consultation publique sur le projet de Directive « Mortgage Credit Directive » (ou MCD).
Cette réponse était ainsi rédigée : « le devoir de fournir un conseil, qui entraîne une responsabilité particulière pour le professionnel, ne devrait donc pas figurer comme une obligation » [5].
Supplique entendue fort et clair.
Bien lâchement, la législation européenne sur le crédit immobilier de 2014 écarte ainsi tout conseil obligatoire à la charge du prêteur : « […] la communication de ces informations personnalisées ne devrait pas entraîner l’obligation de fournir des conseils. Des contrats de crédit ne peuvent être conclus que lorsque le consommateur a disposé d’un délai suffisant pour comparer les offres, évaluer leurs implications, obtenir le conseil de tiers si nécessaire » [6]. Le considérant n°63 confirme que la fourniture de conseils est « une activité distincte » [7].
C’est ainsi que la législation européenne a introduit, depuis 2016, le conseil optionnel indépendant en crédit immobilier [8] : aucune banque ne le propose.
Il connaît un incontestable succès auprès des intermédiaires bancaires, y compris des courtiers qui y trouvent une extension de leurs prestations utile aux consommateurs. Espérons que la révision de la législation européenne sur le crédit immobilier, amorcée, généralisera le conseil en crédit à tous les crédits immobiliers, par tous les professionnels bancaires, incitant à le faire pour tous les crédits et à tous les emprunteurs.
L’obligation de mise en garde en crédit est celle mobilisée en Justice, contre le prêteur, lorsque l’emprunteur en difficulté de remboursement d’un prêt tente de se défendre. Formulée en 1995, sa mise en place, en 2005, puis définitivement en 2007 [9] a mis un terme final au bref débat sur l’« obligation de conseil » du prêteur en crédit, pourtant souhaitée par de nombreux Juges, notamment de Cours d’appel.
Depuis, l’obligation de conseil de la banque en crédit est donc étouffée.
La Cour de cassation règle alors le débat interne, conduit par la Première chambre civile (favorable au devoir de conseil de la banque : 27 juin 1995, n°92-19912).
En 2024, ce point de Droit est fermement confirmé (sans être irrémédiable, il faut l’espérer) : « le banquier n’a pas de devoir de conseil envers son client » [10].
« Aujourd’hui, le banquier dispensateur de crédit n’est plus soumis à un devoir de conseil d’origine jurisprudentielle. […] Le devoir de mise en garde a bien succédé au devoir de conseil en matière de délivrance de crédit » [11].
Ainsi : « sauf disposition légale ou contractuelle contraire, un établissement de crédit n’est pas tenu d’une obligation de conseil à l’égard de son client » [12].
Toutes les affirmations, même péremptoires, soutenant l’existence d’un devoir de conseil en crédit du prêteur sont vaines. Il n’existe pas de « conseiller » en crédit dans les banques. La mise en œuvre et surtout, la réparation à l’enfreinte de la banque à son devoir de mise en garde, demeurent aussi subtiles que sa définition. De sorte que l’objectif, sans doute recherché, est atteint : il demeure ardu pour l’emprunteur d’obtenir condamnation et réparation d’un prêteur français, pour les conséquences de l’octroi d’un crédit inadapté, provoquant un endettement déséquilibré.
Depuis 2013, le courtier-IOBSP en crédit, en revanche, est débiteur d’une obligation de conseil en crédit. Sa rédaction juridique pataude offre de larges marges de manœuvres au courtier en crédit et ne procure guère d’appui solide à l’emprunteur mécontent.
Mal formulée, l’obligation de conseil en crédit du courtier-IOBSP offre des options de mise en œuvre.
Mettre en garde, c’est : alerter, signaler un risque.
Conseiller, c’est : donner une opinion, un avis ; recommander, orienter, suggérer, inciter.
Les courtiers-IOBSP en crédit, au contraire des banques, sont tenus à une obligation de conseil en crédit [13].
Celle-ci s’applique à tous les crédits présentés par le courtier ; et à toutes les clientèles : particuliers (consommateurs) comme professionnels. Cette obligation découle du code monétaire et financier. Elle est maladroitement formulée : le terme de « conseil » n’est pas mentionné une seule fois. Elle est juridiquement attachée au statut de courtier-IOBSP : l’inscription administrative dans cette catégorie entraîne l’obligation de la délivrer. Et de la prouver. En 2013, le Conseil d’État, saisi par une association professionnelle, a tranquillement et étrangement jugé que cette différence juridique entre courtiers et autres IOBSP ne posait aucune difficulté de droit [14]. Cette obligation de conseil en crédit se distingue et ne se confond pas avec le service optionnel indépendant de conseil en crédit immobilier aux consommateurs [15], mentionné plus haut, que tout intermédiaire bancaire peut proposer. Y compris le courtier-IOBSP en crédit immobilier, ce qui suscite des difficultés de compréhension. Ce conseil optionnel et indépendant en crédit immobilier suit des règles différentes de celles exposées dans ces lignes.
Cette configuration dans laquelle les producteurs (prêteurs) sont dispensés d’obligation de conseil en crédit, alors qu’une partie des distributeurs (les courtiers) y sont soumis, est source d’incohérences épaisses. Saisissantes.
Elle est fortement incomprise des emprunteurs, notamment : des consommateurs.
Ces anomalies n’émeuvent personne, alors même qu’il s’agit fondamentalement de protection des emprunteurs :
- Le prêteur qui conçoit, créée et gère les risques du crédit détient les obligations les moins lourdes, en crédit,
- Pour un même prêt, l’emprunteur est muni d’un conseil s’il le souscrit par l’entremise d’un courtier en crédit ; il s’en trouve dépourvu s’il le souscrit directement au guichet de la banque,
- Un même prêt, pour un même emprunteur, est doté d’un conseil s’il est souscrit par l’entremise d’un courtier en crédit ; il en est dépourvu si l’emprunteur le souscrit auprès d’un intermédiaire en crédit exerçant avec un autre statut juridique, comme celui de mandataire (même non exclusif) d’établissement de crédit agréé [16],
- La banque est tenue à des obligations de conseil dans les autres compartiments de son activité : assurance (lorsqu’elle agit comme intermédiaire d’assurance, elle délivre l’obligation de conseil en assurance, laquelle est uniformisée par la législation européenne Directive Distribution d’Assurance » pour tous les Distributeurs) ; investissement financier. Mais elle est dispensée de conseil dès qu’il s’agit de crédit.
Le droit et la loi manquent ici de cohérence. La loi, non seulement a tout intérêt à être intelligible, mais c’est même une obligation constitutionnelle [17].
La formulation de la loi doit être « précise » et « non équivoque ». Les fabricants de normes devraient davantage s’intéresser à la clarté et à l’efficacité de ce qu’ils rédigent.
Les dispositions légales prévues pour le conseil en crédit du courtier [18] comportent, entre autres :
- l’évaluation de la connaissance de l’expérience et de la connaissance du Client en crédit [19],
- l’identification de la situation financière et des besoins du candidat à l’emprunt [20],
- la comparaison « d’un nombre suffisant de contrats » de prêt [21],
- la recommandation (ou seulement la proposition) : soit d’un contrat de crédit « adapté aux besoins du client », soit des « contrats les plus appropriés parmi ceux [que le Courtier est] en mesure de présenter » [22]. La présentation d’un seul crédit suffit [23] ;
- la motivation de la recommandation (ou de la proposition) du crédit [24].
Les formulations maladroitement rédigées de ces obligations composant le conseil en crédit (« un nombre suffisant de contrats » : suffisant ?) ouvrent de larges possibilités au courtier en crédit pour leur mises en oeuvre.
Pour ne prendre qu’un exemple de cette lourdeur : le courtier peut « recommander ou proposer un contrat adapté aux besoins du client » [25], une alternative rédactionnelle qui permet donc au courtier de seulement « proposer » un crédit, sans le « recommander ». C’est le conseil, sans le conseil.
Ces confusions réglementaires compliquent l’action éventuelle de l’emprunteur, qui contesterait la délivrance effective de ce conseil en crédit par le courtier.
De plus, celle-ci est dépourvue de sanction : le Code monétaire n’en prévoit pas, hors les sanctions disciplinaires générales [26].
Le code de la consommation ignore le devoir de conseil en crédit, donc : sa sanction.
Cette obligation de conseil en crédit du courtier-IOBSP est punie par les tribunaux civils soit, souvent, selon la méthode de la perte de chance de ne pas souscrire le crédit [27], solution préférable ; soit par l’indemnisation du préjudice effectivement subi [28], solution peu heureuse [29].
Dans cette situation scabreuse, la clarté juridique que ne prodigue pas la réglementation provient de la fiche de conseil (ou de proposition) en crédit du courtier-IOBSP. En l’absence de modèle légal, celle-ci est nécessairement interne à chaque courtier en crédit. Elle est répandue. La qualité de la structure et du contenu du contrat de mandat de conseil de recherche de capitaux du courtier, dont l’exécution s’achève avec la délivrance de la fiche de conseil (ou de proposition) en crédit concilie à la fois la conformité au droit et la fluidité relationnelle, laquelle est également nécessaire à l’emprunteur. Pour le conseil en crédit, la règle générale de preuve s’applique : il revient à celui qui doit délivrer une obligation de démontrer qu’il a effectivement délivré cette obligation [30]. La fiche de conseil en crédit remplit cette fonction.
Pensée comme réservée au seul courtier-IOBSP en crédit, l’obligation de conseil en crédit du courtier présente une conception bien maladroite. Cette situation profite finalement au courtier, qui possède ainsi de grandes marges de manœuvre dans sa mise en œuvre.
Les exemples de sanctions sont particulièrement rares et souvent, discutables. Pour sa part, la responsabilité maximale du prêteur en crédit se limite à la mise en garde : le banquier dispensateur de crédit est dispensé de toute obligation de conseil en crédit.
Un jour, sans doute, ces incohérences feront l’objet du travail de réflexion juridique que mérite le marché du crédit.