Assurance emprunteur : la liberté reste un objectif.

Par Laurent Denis, Juriste et Romain Vialle, Courtier en assurance.

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Explorer : # assurance emprunteur # pratiques commerciales déloyales # liberté de choix # résiliation annuelle

En assurance de prêts, la liberté du consommateur n’est toujours pas effective. Dernier avatar d’une série de réformes législatives en la matière, la loi 2022-270 du 28 février 2022 sur l’assurance emprunteur fait, quasiment, consensus. Pourtant, ses réussites, toutes relatives, ont surtout pour effet authentique d’anesthésier toute proposition qui permettrait, enfin, d’atteindre la liberté effective de choix de l’assurance de prêt par l’emprunteur-et non par le prêteur. La liberté de l’assuré doit devenir effective, en assurance de prêt.

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I - Les dispositions innovantes de la loi 2022-270 du 28 février 2022 sur l’assurance emprunteur.

En France, neuf assurances de prêt (ou « emprunteur ») sur dix sont vendues deux fois plus cher aux consommateurs [1]. L’explication de ce « mystère » de marché est bien connue : elle provient de pratiques commerciales déloyales éhontément déployées par les prêteurs, par les banques françaises, pour « placer » leurs assurances emprunteur de groupe, en profitant de leur pouvoir d’octroi du prêt.

1.1. Bilan de la Loi 2022-270 du 28 février 2022, avec le bilan de son bilan.

Le crédit immobilier forme un marché de masse. Plus de 40% des ménages détiennent un crédit ; presque un tiers des Français rembourse un crédit immobilier [2]. Plus de neuf prêts immobiliers aux particuliers, sur dix, sont couverts par une garantie d’assurance [3]. L’assurance des prêts représente un marché de plus de onze milliards d’euros de cotisations annuelles [4].

L’inertie déconcertante des autorités publiques, face à ce phénomène de manipulation commerciale et industrielle des consommateurs en assurance de prêt, affronte une opposition à présent bien installée. Le fort développement récent du courtage en prêt immobilier [5] par des Intermédiaires en Opérations de Banque (IOBSP), n’est pas étranger à la reconquête de liberté par les consommateurs bancaire. De même, l’heureuse installation d’un appareil de distribution spécialisé en assurance emprunteur, avec des courtiers et avec des assureurs [6] investissant ce segment, offre à ce marché tous les éléments d’une libre concurrence potentielle, encore théorique.

Pour faire croire à une réponse à cette contestation d’une rente bancaire construite au prix de méthodes commerciales détrimentaires aux consommateurs, une pimpante chorégraphie législative s’est mise en place, depuis 2010 [7]. Elle gravite essentiellement autour de la liberté de choix de l’assurance emprunteur par le consommateur, confirmée par le Conseil constitutionnel [8], puis, la loi s’avérant, seule, évidemment incapable d’assurer cette liberté, par le principe de libre substitution d’une assurance emprunteur par une autre. Résultat : en 2024, au terme de presque quinze années, la liberté effective des emprunteurs n’a guère progressé.

La loi de février 2022, applicable à tous les contrats d’assurance emprunteur à compter du 1er septembre 2022, proclame comme une immense conquête la consécration d’un droit de grande évidence : celui de changer d’assurance emprunteur à tout moment de l’année [9].

Une année après sa mise en place, son bilan est évidemment favorable, tant il était impossible de ne pas réaliser de progrès en ce domaine. Surtout : il est particulièrement maigre et insuffisant. Au-delà des postures de communication, un tel bilan ne devrait contenter personne. Encore plus curieusement : le « bilan du bilan » de cette loi, à sa date anniversaire du 1er septembre 2023, est peu dense. Une pincée d’articles et de publications [10], quelques conférences [11]. Manifestement, le bilan de cette loi essentielle n’a pas suscité grand intérêt, ce qui est plutôt surprenant.

Cette loi de février 2022 est structurellement affaiblie par les incertitudes qu’elle véhicule en matière de devoir de conseil.

1.2. Devoir de conseil en assurance emprunteur : des difficultés avérées.

Initialement fondée sur le seul principe de la liberté de résiliation/substitution d’assurance emprunteur à tout moment, la loi de février 2022 sur l’assurance emprunteur a embarqué, bien malgré elle, à la demande du sénat, une disposition d’apparence altruiste aux conséquences inconsidérées : la suppression du questionnaire de santé pour une large part des crédits [12] [13] ; Cette mesure inattendue, promue par les banques [14] visait essentiellement à renchérir le coût de cette assurance pour la majorité des emprunteurs (résultat atteint : à hauteur de 20% de surcoût pour les emprunteurs).

Surtout, en organisant la sous-information des entreprises d’assurance, elle introduit une difficulté majeure dans la délivrance de l’obligation de conseil du distributeur d’assurance emprunteur [15] qui nécessite des informations. Car le distributeur d’assurance, y compris en assurance emprunteur, est tenu d’éclairer l’assuré sur l’adéquation entre le contrat souscrit (nature et étendues des garanties, couvertures, franchises, exclusions, modalités d’indemnisation) et les risques de l’assuré [16]. L’assuré qui perd une chance de couvrir la maladie dont il est affecté n’a pas à démontrer qu’il aurait souscrit une telle garantie [17].

Un universitaire fait observer que l’interdiction du questionnaire de santé vise l’entreprise d’assurance, pas l’établissement de crédit prêteur [18]. Un autre universitaire note que cette disposition s’applique aux entreprises régies par le Code des assurances, et non à celles qui relèvent du Code de la mutualité. En outre, l’évaluation des risques d’un marché d’assurance est une obligation légale générale, selon la législation européenne sur la « gouvernance des produits d’assurance » [19]. La suppression du questionnaire de santé pour un grand nombre de prêts immobiliers empêche les professionnels de répondre efficacement à ces obligations, principalement : de délivrer efficacement leur obligation de conseil en assurance de prêt.

De surcroît, à l’examen des faits, la situation n’a guère varié. Les banques s’opposent toujours avec acharnement à la souscription d’assurance emprunteur externes à leurs gammes. C’est la fin de l’amère illusion que la norme pourrait traiter, seule, une telle situation. Or, des mesures, même simples, peuvent être adoptées pour donner à l’emprunteur toute liberté en assurance de prêt.

II - Toute loi dépourvue de contrôles effectifs des pratiques commerciales est inefficace.

Partie co-écrite avec Romain Vialle, courtier en assurance de prêt.

2.1. L’illusion normative vue depuis la pratique du courtier d’assurance de prêt.

Remboursant le crédit à la place de l’emprunteur, dans les conditions prévues par le contrat, l’assurance de prêt se présente comme un produit patrimonial par excellence. Dans le contexte du logement et du marché du crédit immobilier que les plus créatifs qualifient de « compliqué » [20] toute disposition légale facilitant l’accès à une assurance emprunteur au moins équivalente en garanties, et moins coûteuse, devient essentielle pour le consommateur dans son processus d’emprunt immobilier.

Tous les professionnels ont constaté, à la fois, l’accroissement de la demande de résiliations/substitutions d’assurance de prêt ; et l’accroissement des obstacles. Les banques ont adapté les entraves aux évolutions introduites par la loi de février 2022. En premier lieu, le délai de réponse aux clients, fixé à dix (10) jours [21] n’est guère respecté. Dans la pratique, les courtiers d’assurance observent des délais moyens proches de vingt (20) jours, soit le double prévu par la loi. Un contrôle de la DGCCRF révèle un record : de 124 jours ouvrés ; un autre établissement de crédit traite seulement les trois quarts des demandes dans le délai de dix jours [22]. Pourtant, les superviseurs n’ont infligé aucune sanction pécuniaire, à ce titre [23].

La création, en réponse faciale aux objectifs de la loi, d’équipes dédiées dans les banques, paraît comme un engagement de celles-ci. En réalité, ces unités commerciales sont surtout concentrées sur la rétention des clients, y compris en révisant subitement à la baisse les tarifs initialement proposés. Elles ont également pour effet de couper les emprunteurs de leurs interlocuteurs commerciaux habituels. Et ainsi, de toute information quant au traitement de leur demande de résiliation. Les moyens et l’organisation de ces équipes devraient faire l’objet de recommandations : indicateurs chiffrés de moyens humains nécessaires [24], coordonnées de contact pour les clients, procédures, automatisation des traitements, indicateurs de contrôle, par exemples.

Ces équipes dédiées développent essentiellement les pratiques de résistance aux demandes de changement d’assurance emprunteur. Les faits qui suivent seraient cocasses, s’ils ne touchaient pas à l’exercice d’une liberté : pièces communiquées à la banque (conditions générales du nouveau contrat), mais déclarées absentes [25] ; attestations à compléter, notamment pour la pratique de sports pas pratiqués par l’emprunteur ; demandes incongrues, comme une garantie d’Invalidité Temporaire de Travail (ITT), pour des emprunteurs devenus retraités.

Une fois l’étape de l’équivalence des garanties validée, celle de l’actualisation des informations contractuelles s’engage : montant à assurer, durée, adresse du prêteur bénéficiaire de la délégation. La banque dispose de tout son temps pour avancer, ou non, ce travail. Elle précise, ou non, les éléments qui lui manquent. L’obligation de motivation se limite aux refus. Changer d’assurance de prêt reste, avant tout, une épreuve de patience. Il faudrait avoir la patience d’être libre. Un modèle de courrier, commun à toutes les banques, limiterait les possibilités d’excès administratifs, sur ce point.

Manifestement, les banques demeurent toujours aussi indifférentes aux enjeux de relations avec les clients qu’introduisent ces dispositions de mobilité en assurance emprunteur. Dont acte. À l’observation de ces pratiques, aisées à constater, vécues par tous les consommateurs concernés, il n’est pas surprenant que ni les emprunteurs, ni les distributeurs indépendants d’assurance de prêt, ni même les commentateurs à la date de son premier anniversaire, ne s’extasient quant au « succès » de la loi du 28 février 2022. Cette dernière, pour exprimer pleinement ses objectifs, doit bénéficier d’appuis marqués dans sa mise en œuvre.

2.2. Des solutions pour renforcer l’effectivité de la résiliation infra annuelle d’assurance emprunteur.

La loi de février 2022 accroît les sanctions. Mais le contrôle des pratiques commerciales des prêteurs français demeure insuffisant. L’ACPR dispose de tous les moyens nécessaires, en ce domaine. Elle n’a prononcé aucune sanction, sur ce point [26]. Le contrôleur s’intéresse au rapport entre performances et prix en assurance vie (unités de compte), mais pas en assurance emprunteur. Une enquête de la DGCCRF a montré seulement 11% des 144 établissements de crédit contrôlés en anomalies, dans ce domaine, certes : avant 2022 [27].

La Recommandation de l’ACPR en matière de gouvernance des produits d’assurance a totalement manqué l’occasion de clarifier les attentes du superviseur, quant aux méthodes de vente d’assurance emprunteur [28]. La rédaction ambiguë de la recommandation relative à l’assurance emprunteur [29] suscite même un doute, quant à l’engagement du superviseur, dans ce domaine essentiel de la protection des consommateurs, pourtant l’une de ses deux missions [30]. L’ACPR a ainsi célébré à sa manière l’anniversaire de la loi du 2022-270 du 28 février 2022.

L’information annuelle des assurés [31] fait partie des contrôles ; elle ne donne lieu à aucune information publique. Or, il demeure primordial d’informer intensivement tous les assurés de leur droit à résiliation annuelle.

Le Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) est chargé d’un rapport public, évaluant les effets de la loi de février 2022, attendu avant le 28 février 2024 [32]. Cette instance, dédiée aux relations entre les professionnels et les consommateurs, a toujours affiché sa grande satisfaction en la matière [33]. Il est donc incertain que le rapport public attendu soit le reflet de ce marché, ni à la hauteur de ses enjeux. Celui-ci devra pourtant faire preuve d’ambitions.

Il apparaît en conséquence, que la protection des droits des consommateurs en assurance de prêt réclame dès à présent des mesures plus radicales : l’interdiction pour un prêteur, de proposer une assurance de prêt ; ou la mise en place d’un dispositif national de « mobilité d’assurance emprunteur », comme celui qui s’est finalement imposé dans la mobilité bancaire (le changement de banque), dans lequel le travail technique d’appréciation de l’équivalence des garanties et ses modalités administratives seraient ôtés des mains des banques.

« Tout consommateur peut choisir librement son assurance emprunteur » : cette phrase simple n’est toujours pas une réalité en France. La loi 2022-270 du 28 février 2022 a marqué une nouvelle étape. Mais l’objectif n’est toujours pas atteint. Car la norme ne vise pas un principe de séduction, mais d’efficacité. L’efficience d’une disposition légale dépend, d’une part, de sa conception et, d’autre part, des mesures d’appui dont elle bénéficie. Il est urgent de doter le marché de l’assurance emprunteur de mesures sérieuses de contrôle de la bonne application des normes existantes. Il est urgent de dresser des constats objectifs. Il est évidemment nécessaire de renforcer les mesures législatives, pour espérer atteindre l’objectif. En attendant, l’information active des emprunteurs doit se poursuivre : il y a toujours de fortes économies à réaliser en assurance emprunteur, tout en améliorant le conseil reçu. L’emprunteur opte alors, selon sa seule décision, pour un contrat d’assurance de prêt à la fois moins onéreux et plus judicieux.

Laurent Denis
Juriste - Droit et Conformité des Intermédiaires banque, assurance, finance
www.endroit-avocat.fr
Romain Vialle, courtier en assurances de prêts.

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Notes de l'article:

[186% du stock d’assurance emprunteur est constitué de contrats « de groupe » vendus par les prêteurs ; son ratio « Sinistre sur Prime » est de 32% : un petit tiers des versements des assurés servent à couvrir les risques.

[243,4% des Français remboursent un crédit, dont 30,1% un crédit immobilier. Observatoire des Crédits aux Ménages, 35e édition, 2023.

[3ACPR, Financement de l’habitat, 2022, page 14.

[4France Assureurs, chiffres clés 2022, page 48.

[5Loi 2010-1249 du 22 octobre 2010, Décret n° 2012–100 du 26 janvier 2012, art. L519-1 et s. du Code monétaire et financier.

[6Lesquels sont qualifiés d’assureurs « alternatifs », terme qui en dit long sur la vision définitivement centrale de l’assureur proposé par la banque.

[7Loi 2010-737 du 1er juillet 2010, transposant la législation européenne du crédit à la consommation en droit français.

[8QPC 2017-685 du 12 janvier 2018.

[9ou droit à la résiliation infra annuelle, « RIA » ; art. L113-12 du Code des assurances, art. L313-28 du Code de la consommation.

[10Principalement, de professionnels de l’assurance emprunteur, dont l’excellente étude de Securimut, juillet 2023.

[11Dont celle de l’association de master de droit des assurances d’Assas, le 4 mai 2023.

[12Prêts immobiliers de inférieurs ou égaux à 200 000 euros par emprunteur, arrivant à terme de remboursement avant le soixantième anniversaire de l’emprunteur.

[13La loi étend également le bénéfice du « droit à l’oubli » aux personnes remises de maladies graves.

[14Crédit mutuel, communiqué de presse du 9 novembre 2021.

[15Art. L521-4, I du Code des assurances, issu de la législation européenne. ACPR, principes de conseil en assurance, juillet 2018.

[16Cour de cassation, Civ. 2e du 2 mars 2007 n°06-15267 ; Cour de cassation, Civ. 2e du 13 janvier 2011 n°10-30009.

[17Cour de cassation, Civ. 3e du 15 septembre 2022 n°21-13670.

[18Gazette du Palais n°13, du 18 avril 2023.

[19Par exemple, art. L516-1, I du Code des assurances.

[20Augmentation des prix de l’immobilier ; production de crédit immobilier aux ménages passée de plus de vingt-cinq milliards d’euros par mois à moins de dix (Banque de France, août 2023) ; taux sont revenus à leur niveau de 2016 ; mesures restrictives de crédit immobilier en place, notamment le plafond d’endettement de 35% du Haut Conseil de Stabilité Financière, contraire au droit de la consommation.

[21Art. L313-31 al. 1er du Code de la consommation.

[22Enquête DGCCRF, assurance emprunteur, 5 septembre 2023. Réalisée en 2021-2022.

[23Art. L341-44-1 du Code de la consommation : amende administrative de 15 000 euros pour une personne morale.

[24En considération d’un stock de près de 90% des contrats détenus par les banques, la liberté de résilier nécessite à présent des équipes en nombre adéquat.

[25Avec même des demandes complètes qualifiées d’absentes, alors que le client dispose de l’accusé de réception de son envoi.

[26Hormis un simple « avertissement », le 3 octobre 2018.

[27Enquête DGCCRF, assurance emprunteur, 5 septembre 2023.

[28Recommandation ACPR 2023-R-01 du 17 juillet 2023.

[29§ 4.2.2.7. de la Recommandation ACPR 2023-R-01 du 17 juillet 2023.

[30Article L612-1 du Code monétaire et financier.

[31Art. L113-15-3, I du Code des assurances.

[32Loi 2022-270 du 28 février 2022, art. 11 « un rapport mesurant les conséquences tant pour les assureurs que pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation du contrat d’assurance à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé ».

[33« L’assurance emprunteur, un marché qui évolue positivement au bénéfice du consommateur » après avoir relevé que « la part de distribution des contrats détenue par les réseaux bancaires […] reste nettement prépondérante (87,6% en 2019) », CCSF, 11 novembre 2020.

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