Virus Ebola, droit à la protection de la santé et libertés fondamentales en Côte d’Ivoire.

Par Sanogo Yanourga, Docteur en droit.

2013 lectures 1re Parution: Modifié: 4.5  /5

Face à la menace d’une épidémie généralisée du virus Ebola dans la sous région ouest africaine, les autorités ivoiriennes ont arrêté certaines mesures préventives. Ces mesures souvent jugées excessives et contraires aux libertés fondamentales des individus peuvent-elles permettre de contrôler ou circonscrire toute propagation du virus Ebola.

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La fièvre hémorragique du virus Ebola qui a fait, il y a quelques années, tant de mal en Afrique centrale est de retour, mais cette fois elle sévit en Afrique de l’ouest. Le virus s’est propagé en un temps record en Guinée, au Libéria et en Sierra-Leone. Les autorités politiques et sanitaires de ces pays n’ont peut-être pas vu arriver Ebola ou n’ont simplement pas accordé suffisamment d’importance au virus dès l’apparition des premiers cas. Ce qui expliquerait aujourd’hui la situation de pandémie à laquelle ils doivent faire face.

La réaction au début a été lente et même inefficace, ce qui a coûté la vie selon l’OMS à près de 3 000 personnes dans l’ensemble des pays concernés à ce jour. Malheureusement, ce décompte macabre n’est pas prêt de s’arrêter.
Les autres pays de la sous-région, particulièrement ceux voisins des pays atteints ont pris les devants pour ne pas se laisser distancer par le mal.

C’est ainsi que depuis quelques temps, on constate une importante « effervescence préventive » en Côte d’Ivoire. Les autorités politiques et les responsables des différents services sanitaires du pays sont à pied d’œuvre afin d’empêcher le virus Ebola de passer les frontières ivoiriennes. Le gouvernement ivoirien a pris des mesures draconiennes pour éviter d’une part l’entrée du virus dans le pays et d’autre part pour stopper sa propagation s’il réussissait à pénétrer sur le territoire national. La mise en place d’un comité de veille de prévention de la maladie du virus Ebola présidé par le premier ministre montre tout l’intérêt accordé à la menace d’une épidémie Ebola par les autorités ivoiriennes.

Les mesures arrêtées par les autorités ivoiriennes sont diverses : se laver les mains plusieurs fois dans la journée, éviter de consommer la viande de brousse, éviter de se serrer les mains et de se faire des accolades, éviter de se rendre dans un pays touché par la maladie pour ne citer que celles-là. Le président de la république lui-même n’hésite pas pour mieux faire passer le message à se soumettre en public à toutes ces mesures.

Mais la volonté du gouvernement ivoirien de protéger sa population contre Ebola n’aura-t-elle pas pour conséquence d’enfreindre certaines libertés individuelles et collectives ? La nécessité de contrôler le virus Ebola, donc d’appliquer les principes du droit à la santé des populations dans le but de sauver des vies ne risque-t-elle pas de porter atteinte à certaines libertés fondamentales des citoyens ? Ou encore peut-on au nom de la protection du droit à la santé restreindre les libertés des individus ?

On sait que le droit à la protection de la santé et les libertés fondamentales sont garantis et protégés par la constitution ivoirienne et par de nombreux textes ratifiés par la Côte d’Ivoire. Ainsi, la constitution ivoirienne du 1er août 2000 veut, en affirmant que : « …L’Etat assure à tous les citoyens l’égal accès à la santé…  » faire du droit à la santé un droit lié à l’individu. L’Etat ayant donc pour devoir de préserver ce droit de l’individu. Cette reconnaissance du droit à la protection de la santé par la Côte d’Ivoire a pour origine l’article 24 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948 qui précise que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé ». Déclaration à laquelle la Côte d’Ivoire fait expressément référence dans le préambule de sa constitution « …le peuple de Côte d’Ivoire…proclame son adhésion aux droits et libertés tels que définis dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 ». Comme texte fondateur de ce droit à la protection de la santé des citoyens par le gouvernement, nous pouvons aussi citer l’article 16 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique qu’elle soit capable d’atteindre. Les Etats parties à la présente charte s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de maladie ». Avec la loi N° 61-320 du 17 octobre 1961 relative à la protection de la santé publique en matière de de certaines maladies endémo-épidémiques, le pays a mis en place un système de protection de la santé publique basé sur des maladies propres à l’Afrique ou à la sous-région ouest africaine. L’arrêté N° 255 MSPAS.CAB du 24 mai 1995 quant à lui a créé le programme nationale de lutte contre le VIH/SIDA, les maladies sexuellement transmissibles et la tuberculose. Mais la maladie n’étant pas statique mais plutôt évolutive, ce que nous constatons en ce moment avec l’arrivée d’Ebola, nous pouvons donc aujourd’hui appliquer sans risque de nous tromper tout ce dispositif au traitement de la situation causée par ce virus.

Mais lorsque la loi recommande expressément de protéger la santé et le bien-être des citoyens par des mesures pouvant porter atteinte aux libertés défendues par cette même loi, que faut-il faire ? Les mesures de fermeture des frontières, quand on sait que la liberté de circulation est consacrée par la déclaration de 1948, réaffirmée par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Côte d’Ivoire et garantie par la constitution ivoirienne, constitution qui a souscrit à ladite déclaration en l’inscrivant dans son préambule. L’interdiction de se serrer les mains et de se faire des accolades même dans les églises et les mosquées ne portent-elles pas atteinte dans un premier temps à la liberté du citoyen de faire ce qu’il veut avec qui il veut tant que ce qu’il fait est licite et ne porte pas atteinte à la liberté des autres ? Dans un second temps, cette interdiction n’est-elle pas un empiètement du droit sur la religion dans un Etat qui se dit libre, démocratique et laïc ? Quand on sait que la pratique religieuse, qu’elle soit chrétienne ou musulmane a pour objectif d’unir les hommes, par la parole et le « contact physique », sans discrimination, d’où la poignée de main à la fin de chaque office religieux qu’elle que soit la confession à laquelle on appartient.
Ces mesures arrêtées par le gouvernement ivoirien ont pour but de prévenir l’entrée et la propagation du virus Ebola sur le territoire national. Et selon les autorités, aucun cas n’est à ce jour apparu en Côte d’Ivoire, alors pourquoi créer la psychose avec une batterie de mesures effrayantes qui n’ont aucun impact sur le virus puisqu’il n’existe pas dans le pays. Nous pensons que c’est aux frontières terrestres, maritimes et dans les aéroports que l’accent doit être mis pour que les contrôles soient plus rigoureux afin d’éviter de laisser entrer le premier cas. C’est en ce sens que l’article 14 de la loi sur la protection de la santé publique préconise que : « les éléments de populations franchissant les frontières terrestres sont soumis obligatoirement dans les postes filtres à un examen médical... ». En espérant que la porosité des frontières soit plus ou moins maitrisée. Et si par malheur un cas était diagnostiqué, on pourrait à ce moment envisager des mesures plus vigoureuses.

Le gouvernement ne veut pas être taxé d’incompétent et de laxiste face à Ebola, mais en voulant être à la pointe de la prévention dans la lutte contre ce virus, il risque de mettre à mal la cohésion sociale déjà fragilisée par les séquelles de la grave crise vécue par les ivoiriens. Crise dont ils sont sortis lourdement traumatisés. Pour preuve, pour ne frustrer personne, nous avons pu constater que le Chef de l’Etat lui-même lors de certains grands rendez-vous politiques a volontairement transgressé ces différentes consignes gouvernementales en gratifiant les populations de poignées de mains vigoureuses et d’accolades chaleureuses. Motif avancé, les participants ont préalablement lavé leurs mains !

Mais force est de reconnaitre que cette thèse de la protection des libertés fondamentales ne saurait en aucun cas prédominer sur la volonté des pouvoirs publics ivoiriens de sauver la vie de millions d’êtres humains à travers un dispositif préventif même « exagéré ». En effet, il est dans l’intérêt de tous que les dispositions soient prises dès à présent pour éviter l’entrée du virus Ebola en Côte d’Ivoire. Sans ces mesures, est-il possible pour les autorités de contrôler ce dangereux virus ? Tout le problème se résume dans cette question. Ebola ne se voit pas à l’œil nu, ne se touche, sa transmission se fait par les liquides corporels : sang, sueur et salive. Imaginons un instant qu’un sujet infecté se retrouve dans un autobus bondé, desservant l’une des communes les plus populaires de la capitale économique du pays. Sans risque de nous tromper, nous pouvons affirmer que la Côte d’Ivoire irait au-devant d’une véritable catastrophe. A côté de cela, il nous faut aussi prendre en considération la grande propension des ivoiriens à l’indiscipline, le mal ne fera que s’enraciner au sein de la population. La constitution ivoirienne et la charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantissent l’accès aux soins et la protection de la santé des individus comme le réclame la déclaration de 1948. Et les autorités ivoiriennes en prenant ces mesures sont dans leur rôle. Elles ont pour mission d’assurer la protection de la vie de personne humaine qui est sacrée, c’est ce qui ressort de l’article 2 de la constitution ivoirienne. Cette même constitution en son article 9 précise que : « la liberté…religieuse est garantie à tous, sous réserve du respect de la loi, des droits d’autrui, de la sécurité nationale et de l’ordre public ».

Cette disposition constitutionnelle permet de justifier l’interdiction de se serrer les mains dans les lieux de culte. C’est encore cet impératif de protection de la vie, de la sécurité nationale et d’ordre public qui oblige aujourd’hui le gouvernement ivoirien à prendre de telles mesures, certes contraignantes mais nécessaires pour le bien de tous. Et en ce sens, l’article 23 de la constitution de la république de Côte d’Ivoire dispose que : « Toute personne vivant sur le territoire national est tenue de respecter la constitution, les lois et les règlements de la république ». Ce qu’il nous reste à faire si nous voulons en partie vaincre le virus Ebola, c’est d’accepter un tant soit peu de restreindre certaines de nos libertés fondamentales au nom de notre droit à la santé, de notre droit à la vie.

Dr Sanogo syanourga
Docteur en droit médical
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