La Côte d’Ivoire qui aspire à l’émergence ne pouvait se permettre de continuer à naviguer à vue dans un domaine aussi sensible que celui de la santé. Ce nouveau dispositif législatif vient hisser le système de santé ivoirien au niveau de celui des grandes nations de ce monde. En cela, il faut reconnaitre, féliciter et encourager les efforts du ministre de la Santé, de l’hygiène publique et de la CMU, monsieur Dimba Pierre.
Toutefois, il est important de souligner les efforts entrepris par les différents gouvernements qui se sont succédé en Côte d’Ivoire afin de donner une place primordiale aux questions se rapportant à la santé. De nombreux textes ont, au fil des années organisé le secteur de la santé dans le pays. Mais force est de reconnaitre que ceux ayant eu le plus d’impact sur le système de santé ont été pris au cours de ces quinze dernières années.
L’existence d’un cadre institutionnel et organisationnel.
Le ministère en charge de la santé a mis en œuvre diverses politiques, lois et règlements en vue de rendre performant le système de santé en Côte d’Ivoire. Des orientations stratégiques et des mécanismes de suivi de la performance du secteur de la santé sont apparus dans le but de fluidifier le fonctionnement du système.
Concernant le volet juridique, l’organisation du système de santé a connu un développement majeur avec l’adoption de la loi portant Orientation de la Politique de Santé Publique et l’élaboration d’un projet de loi portant Code de la santé publique qui malheureusement, n’a toujours pas abouti. Avec ces différents textes effectifs et en projet, nous percevons une réelle volonté des autorités administratives, politiques et sanitaires de faire fonctionner le système de santé autrement.
A côté de ces textes généraux, plusieurs textes portant spécifiquement sur l’organisation du système de santé ont été pris. Nous pouvons citer pour commencer, la loi n°2015-536 du 20 juillet 2015 relative à l’exercice et à l’organisation de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles, qui a pour objectif de mettre de l’ordre dans la pratique médicale traditionnelle largement prisée par les populations ivoiriennes. Ensuite, la loi n°2019-678 du 23 juillet 2019 portant Réforme Hospitalière. Ce texte vient fixer un nouveau cadre d’organisation des soins dans les établissements de santé publics et privés. Notons aussi la loi n°2017-541 du 5 octobre 2017 créant l’Autorité Ivoirienne de Régulation Pharmaceutique (AIRP) prise pour mettre le pays en conformité avec les directives internationales et régionales, de l’OMS, de l’UA et de l’UEMOA, qui permettra de redynamiser l’homologation, l’inspection, la surveillance du marché et l’assurance de la qualité des produits pharmaceutiques. Enfin, la loi n°2019-676 du 23 juillet 2019 relative à la lutte antitabac en Côte d’Ivoire.
Comme nous pouvons le constater, tous ces textes de loi ne sont pas en lien direct avec l’exercice médical mais font plutôt référence aux questions institutionnelles et organisationnelles du secteur de la santé. Ce qui a pour conséquence de rendre le cadre juridique national en matière de santé insatisfaisant. La Côte d’Ivoire ayant ratifié le PIDESC (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en 1992 qui énoncent le droit à la santé [1]. Ces deux instruments contraignants ont valeur constitutionnelle puisque les textes ratifiés par le pays figurent au Préambule de la Constitution de novembre 2016. La constitution ivoirienne elle-même n’est pas restée muette face aux différentes difficultés rencontrées par le système de santé. Elle a tant bien que mal essayé de s’impliquer dans la matière sans pour autant réussir à satisfaire entièrement les uns et les autres, c’est-à-dire les acteurs du système de santé, médecins et professionnels de la santé dans un premier temps et les usagers et patients des établissements de santé dans un second temps. Son article 9 dispose que : « … toute personne a également droit à un accès aux services de santé », quant à l’article 32, il précise que :
« l’Etat s’engage à garantir les besoins spécifiques des personnes vulnérables. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir la vulnérabilité des enfants, des femmes, des mères, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il s’engage à garantir l’accès des personnes vulnérables aux services de santé… ».
Ces deux articles sont les seuls de la Constitution ivoirienne en rapport avec le droit de la santé.
Ils ne traitent que de la question de l’accès à la santé. Reconnaissons que favoriser un accès à la santé protégé par toutes les garanties pour les personnes vulnérables et accessoirement pour celles moins vulnérables ne peut résumer la pratique médicale et son corollaire dans son ensemble.
Il est vrai que pour nous juriste, parler « d’accès aux services de santé » renferme tout ce qui a trait à la santé, en commençant par l’entrée du patient à l’hôpital, sa prise en charge et le traitement de sa pathologie et enfin les conséquences néfastes qui pourraient survenir. Malheureusement, tous les patients ne sont pas juristes pour donner au mot « accès » un sens aussi large.
Un renforcement du cadre juridique pour plus justiciabilité du droit de la santé.
Pour un équilibre des droits entre praticiens et patients, en vue de permettre une meilleure justiciabilité du droit de la santé et de la pratique médicale en Côte d’Ivoire, une loi s’imposait. Cette loi selon nous devait définir clairement les droits et obligations des différents acteurs de la relation de soin. C’est ce que la nouvelle loi portant exercice de la médecine en Côte d’Ivoire vient de faire mais en ne prenant en compte que le médecin et les établissements de santé. Néanmoins, cette loi apporte de la lumière là où tout était sombre. Elle vient éclaircir de nombreuses zones d’ombre qui fragilisaient le système de santé ivoirien dans son ensemble. A savoir, la mauvaise prise en charge des patients dans certains établissements de santé et le manque de dévouement et de volonté de certains médecins dans l’exécution de la noble mission qui est la leur, celle de sauver des vies.
Les 67 articles de la nouvelle loi, repartis en 9 chapitres, abordent de façon générale les conditions d’exercice de la médecine en touchant à tout ce qui gravite autour du monde médical. Notamment, les questions liées aux conditions d’exercice de la médecine, aux honoraires et à la facturation, au rôle des médecins des secteurs de l’assurance de santé, à la gestion du portefeuille maladie, à la médecine d’entreprise et l’exercice salarié et enfin à l’épineuse question de la responsabilité des médecins.
Ce texte majeur va beaucoup plus loin en posant dans son article 1er, le sens que donne le législateur ivoirien à des notions telles que : le détournement de patients d’un établissement public ou privé de santé vers un autre établissement public ou privé de santé, détournement organisé par les professionnels de santé eux-mêmes dans un but lucratif, ce que le législateur qualifie de dichotomie. Pratique illégale et marginale qui consiste pour un médecin à reverser une partie des honoraires réclamée à un patient au médecin qui lui a adressé le patient.
Il donne une définition précise de termes médicaux, souvent entendus mais malheureusement incompris par les patients et parfois même par les médecins.
L’erreur ou l’accident médical qui survient à l’occasion des actes, de diagnostics, de soins, chirurgicaux ou lors de la prescription médicamenteuse, mais qui passe souvent inaperçu. Le texte précise tout de même que l’erreur médicale ou l’accident médical ne peut être invoqué qu’en cas d’obligation de moyen, c’est-à-dire lorsque le médecin doit « tout mettre en œuvre » pour guérir son patient et non lorsqu’un résultat positif est attendu au terme de l’acte médical pratiqué par le médecin. La faute professionnelle du médecin qui agit « hors la loi », sans respecter les règles de l’art, de déontologie, de hiérarchie ou en violation du règlement intérieur d’un établissement privé de santé est elle aussi passée au crible. Et enfin et le secret médical, qu’on singularise et « médicalise » aujourd’hui en le détachant du grand ensemble du secret professionnel consacré par l’article 447 nouveau du Code pénal ivoirien.
Cette loi, véritable bouffée d’oxygène aussi bien pour les professionnels de santé qu’ils soient du secteur privé ou public et pour les patients, vient redistribuer les cartes sur l’échiquier du système de santé ivoirien.
Elle fixe pour les premiers, les droits qui sont les leurs d’une part et les obligations auxquelles ils sont soumis dans la relation de soins les liant à leurs patients d’autre part.
Pour les seconds, les articles 56 à 59, relatifs à la responsabilité du médecin viennent sans équivoque poser le principe de la responsabilité des médecins et des établissements de santé pour les conséquences dommageables des actes médicaux qu’ils délivreront sans tenir compte des règles de l’art et des textes en vigueur. Ces dispositions précitées constituent un signal fort donné aux patients ou à leurs ayants-droit, afin qu’ils sachent qu’ils ne sont plus seuls, qu’ils ne doivent plus hésiter à porter devant les juridictions nationales toutes les atteintes portées à leur personne ou à leurs proches. Que ces atteintes soient physiques, morales ou provoquées par l’absence ou le non-respect des conditions de sécurité requises pour la délivrance des soins médicaux.
Le chapitre 08, à travers ses articles 60 à 64, énumère les sanctions disciplinaires, administratives et pénales qui pourraient frapper le médecin indélicat qui se serait rendu coupable de faute lors de l’exercice médical ou encore en cas d’exercice illégal de la médecine, c’est-à-dire sans autorisation des pouvoirs publics.
Une loi fragilisée par de nombreuses insuffisances.
Ce texte qui fait la fierté du système de santé ivoirien souffre néanmoins de certaines insuffisances. En effet, loger l’erreur médicale et l’accident médical sur un pied d’égalité risquerait de créer le doute et la confusion dans l’esprit des uns et des autres. L’erreur étant perçue comme une action menée sans attention ou de manière imprudente par le médecin et l’accident médical comme une action de ce dernier ou d’une tierce personne exécutée elle aussi par inattention. Nous estimons pour notre part que les notions d’erreur médicale, de faute médicale et d’accident médical doivent être dissociées et particularisées parce que n’exprimant pas tous la même réalité.
Ensuite, la question de la réparation financière des victimes ou de leurs ayants-droit aurait dû être courageusement abordée à travers un dispositif précis de sanctions civiles. Certes, les médecins doivent répondre de leurs erreurs et fautes, néanmoins, il est nécessaire de préciser à quel moment la responsabilité de ces derniers fera l’objet d’une réparation financière par une indemnisation de la victime ou d’une sanction strictement pénale. Il serait judicieux pour une meilleure compréhension du texte par tous, d’apporter avec précision une définition à la responsabilité civile médicale, délictuelle ou contractuelle, à la responsabilité administrative, la responsabilité disciplinaire médicale, ordinale ou statutaire et enfin à la responsabilité pénale médicale.
Enfin, les dispositions afférentes aux sanctions pénales des articles 62 à 64, ne traitent que de l’exercice illégal de la médecine. Le médecin exerçant légalement la médecine n’est-il pas susceptible de commettre lui aussi des infractions pénales à l’occasion de l’exercice de la médecine ? Quid de la responsabilité pénale des établissements publics ou privé de santé en leur qualité de personnes morales ? Le législateur ivoirien doit apporter des réponses à ces différentes interrogations pour plus de transparence dans l’exercice de la médecine en Côte d’Ivoire.
Cette nouvelle loi constitue indéniablement un grand pas de notre pays vers plus de justice sociale. Le dispositif législatif en matière médicale s’étoffe au fur et à mesure. Les juridictions disposeront très bientôt d’un large éventail de lois et règlements pour faire face aux divers abus que subissent les patients dans nos hôpitaux publics et privés.
Aujourd’hui, les médecins et l’ensemble des professionnels de la santé doivent prendre conscience que leurs actes seront scrutés dans leurs moindres détails. Il ne s’agit pas de faire planer au-dessus de leur tête une épée de Damoclès ou d’organiser contre certains d’entre eux une chasse aux sorcières, mais plutôt de leur faire comprendre et accepter comme l’écrivait au XIVe siècle le chirurgien Montpelliérain Guy de Chauliac que « le patient n’est plus ce serf qui obéissait à son seigneur », mais plutôt un partenaire.