Les ventes à découvert - Synthèse de Yanne Robert et Morgane Tuleau

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La vente à découvert, accessible principalement aux banques et autres prestataires en service d’investissement, est une opération délicate.
Facteur de risque d’aggravation d’une crise boursière, cette technique est strictement encadrée et réglementée par la loi du 22 Octobre 2010 de régulation bancaire et financière.

Article proposé par le Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise.

-

I) La notion de « ventes à découvert » :

- Dans un premier temps, il convient de bien distinguer la notion de « ventes à découvert » de celle de « ventes à terme ».Vendre une production agricole à quelques mois de la récolte, ou vendre d’avance la cargaison d’un bateau attendu dans quelques semaines, par exemple, sont des techniques qui remontent à l’Antiquité. Techniquement, ces ventes sont des ventes dites à découvert : l’objet de la vente n’existe pas encore. Mais, elles sont aussi des ventes à terme.
En revanche, toute vente à terme n’est pas nécessairement une vente à découvert.
Si le Service de règlement Différé [1] permet au client particulier de vendre en différé, sa banque s’assure, en validant l’accès au service, que les titres concernés sont déjà inscrits sur son compte.

Les marchés à terme [2] se sont imposés notamment parce que l’opportunité d’anticiper un actif à la baisse est égale à celle de l’anticiper à la hausse, tandis que sur le marché au comptant [3] (la bourse), la vente à découvert est une opération délicate et réglementée.

- Il y a donc ventes à découvert dès lors que l’on vend des titres que l’on ne possède pas : ces ventes sont dites « à nue » lorsqu’elles sont réalisées sans couverture lors de leur conclusion, c’est à dire sans emprunt de titres ou sans engagement permettant d’obtenir les titres au moment de la livraison. De telles opérations étaient traditionnellement possibles, seule la constitution d’une couverture très partielle étant exigée. Ces ventes ont été critiquées lors de la crise financière.

La loi n° 2010-1249 du 22 Octobre 2010 de régulation bancaire et financière a tenté de répondre aux insuffisances mises en lumière par la crise financière ; et ce afin de renforcer, entre autre, la supervisions des acteurs et des marchés financiers et afin de soutenir l’économie pour accompagner la reprise.

Face à la crise financière, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a interdit les ventes à découvert dès le 19 septembre 2008 : cette mesure a été prolongée, d’abord jusqu’en janvier 2010 [4], puis jusqu’à l’adoption d’un régime permanent au niveau européen [5].

Cette interdiction n’était pas sans fondement économique. Elle était toutefois illégale, faute de texte autorisant l’AMF à adopter ce type de mesure par voie de communiqué. Cette critique est désormais levée par les nouvelles dispositions du II de l’article L421-16 du Code monétaire et financier selon lesquelles « en cas de circonstances exceptionnelles menaçant la stabilité du système financier, le président de l’Autorité des marchés financiers ou son représentant peut prendre des dispositions restreignant les conditions de négociation des instruments financiers [6] pour une durée n’excédant pas quinze jours.
L’application de ces dispositions peut être prorogée et, le cas échéant, ses modalités peuvent être adaptées par le collège de l’Autorité des marchés financiers pour une durée n’excédant pas trois mois à compter de la décision du président de l’autorité. Au-delà de cette durée, l’application de ces dispositions peut être prorogée par arrêté du ministre chargé de l’économie, pris sur proposition du président de l’Autorité des marchés financiers. Ces décisions sont rendues publiques
 ».

Il est à noter qu’initialement, il n’était pas prévu d’interdire les ventes à découvert : cette interdiction a été instaurée au cours de travaux parlementaires, sans doute, on l’a vu, pour devancer la future réglementation européenne. Et désormais, selon l’article L211-17-1 II alinéa 2 du Code monétaire et financier : «  il est interdit à un vendeur d’instruments financiers mentionnés au I de l’article 211-1 [7] et admis à la négociation sur un marché réglementé, d’émettre un ordre de vente s’il ne dispose pas sur son compte des instruments financiers appelés à être cédés, ou s’il n’a pas pris les mesures nécessaires auprès d’une tierce partie afin de disposer d’assurances raisonnables sur sa capacité à livrer ces instruments financiers, au plus tard à la date prévue pour la livraison consécutive à la négociation ».

L’interdiction à laquelle il pourra être dérogé par décret (article L211-17-1 I alinéa 3 du Code monétaire et financier [8]) et qui ne sera pas sans créer des difficultés d’interprétation [9] est partielle puisque les marchés non réglementés ne sont pas concernés et parce que les achats à découvert [10] demeurent licites. Toutefois, une provision pourra être exigée en toutes hypothèses : « le prestataire auquel l’ordre est transmis peut exiger, lors de la réception de l’ordre ou dès son exécution, la constitution dans ses livres, à titre de couverture, d’une provision en espèces en cas d’achat, en instruments financiers objets de la vente en cas de vente » [11].

II) Les ventes à découvert et les délais de livraison :

- La technique des ventes à découvert n’est généralement pas accessible aux particuliers et aux entreprises car la plupart des banques effectuent un contrôle de provision des titres comme des espèces sur les comptes de leurs clients.

En revanche, elle est accessible aux banques et autres prestataires en services d’investissement. Quand une banque reçoit, de la bourse, l’avis d’exécution, en jour J, d’un ordre de vente, l’exécution est également transmise à la chambre de compensation [12], qui la traduit, à son tour, en une instruction de règlement/livraison [13] ; cette dernière est soumise au contrôle de provision, en J+n, auprès du dépositaire central, [14] où « n » est un nombre de jours ouvrés standard (3 chez Euronext). Le contrôle de provision consiste à vérifier que l’établissement financier dispose des titres sur son compte. Pour que la vente soit dénouée, il suffit que les titres soient présents en J+n. Si une banque achète des titres en J, les vend en J+1, les reçoit donc en J+3 et les livre en J+4, elle est techniquement à découvert entre J+1 et J+3.
La vente à découvert est pratiquée aussi et surtout sur le marché de gré à gré, en dehors, donc, de la bourse. Deux établissements financiers peuvent s’entendre, l’un pour acheter, l’autre pour vendre, un titre à une date de dénouement qui peut être plus éloignée que le J+n conventionnel de la bourse.

Ne passant pas en bourse, les parties prenantes peuvent attendre la veille de la date de dénouement pour acheminer chacune leur instruction, l’une de réception, l’autre de livraison, vers le dépositaire central concerné.
Là encore, si le dépositaire central subordonne le dénouement d’une vente à la présence des titres chez le vendeur (ainsi que des espèces chez l’acheteur), à la date prévue de dénouement, il n’a pas connaissance de la transaction à la date où elle est négociée. Tout au plus, le dépositaire central peut-il découvrir, à la date où il reçoit l’instruction, en analysant le message SWIFT, la date à laquelle la transaction avait été conclue.

- Certaines pratiques et opérations ont récemment attiré l’attention. La loi du 22 Octobre 2010 de régulation bancaire et financière tente d’encadrer certains de ces comportements et opérations. Et tel est notamment le cas des ventes à découvert et des délais de livraison.

Si les ventes à découvert sont classiquement des opérations à terme [15], lesquelles sont possibles sur les marchés au comptant grâce aux ordres stipulés à règlement livraison différée, elles ne sont pas des opérations au comptant même si la livraison n’est pas concomitante à la négociation. On doit pourtant constater que la notion de ventes à découvert inclut, selon certains [16], les opérations au comptant, par hypothèse non couvertes, pendant la durée du délai de paiement et de livraison qui est normalement de 3 jours de négociation maximum. Or, comme les ventes à découvert ont été critiquées lors de la crise financière, la volonté a été de réduire le délai de livraison.

D’où les dispositions de l’article L 211-17-1, II, du Code monétaire et financier : «  En cas de négociation d’instruments financiers mentionnés au II de l’article L. 211-1, le transfert de propriété résulte de l’inscription au compte de l’acheteur. Cette inscription a lieu à la date de dénouement effectif de la négociation mentionnée dans les règles de fonctionnement du système de règlement et de livraison lorsque le compte du teneur de compte conservateur de l’acheteur, ou le compte du mandataire de ce teneur de compte conservateur, est crédité dans les livres du dépositaire central.
Cette date de dénouement des négociations et simultanément d’inscription en compte intervient au terme d’un délai inférieur à deux jours de négociation après la date d’exécution des ordres. Il peut être dérogé à ce délai, pour des raisons techniques, dans les cas énumérés par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.
Cette même date s’applique lorsque les instruments financiers de l’acheteur et du vendeur sont inscrits dans les livres d’un teneur de compte conservateur commun.
Les deuxième et troisième alinéas du présent II prennent effet à la date d’entrée en vigueur d’un dispositif d’harmonisation équivalent au niveau européen
 ».

Cette disposition appelle deux observations. D’une part, elle associe expressément, en matière de transfert de propriété, l’inscription en compte de l’acheteur au dénouement de la négociation alors que ce lien n’est pas expressément fait par l’article 211-17 du Code monétaire et financier, mais par le règlement Général de l’AMF. D’autre part, cette réduction, qui suppose des investissements importants, est moins ambitieuse que prévue puisque le souhait initial était de réduire le délai de livraison à un jour de négociation.

III) Avantages et inconvénients pour le Marché des ventes à découvert :

- Les avantages sont les suivants :

  • En permettant d’élargir la négociation d’un titre à des vendeurs qui n’en sont pas détenteurs, la vente à découvert favorise la liquidité du titre. Elle est l’un des instruments du market maker [17].
  • La vente à découvert freine la formation de bulle spéculative [18] à la hausse sur un titre.
  • Elle permet d’informer le marché d’une éventuelle fraude ou manipulation comptable, quand cette information n’est pas connue des détenteurs du moment, ni même détectée par le régulateur. Un gérant de hedge fund américain, David Einhorn, a, par exemple, vendu à découvert l’action Lehman Brothers après avoir acquis la conviction que les provisions pour dépréciations du portefeuille de CDO [19] publiées par le broker [20] en juillet 2008 étaient largement sous-estimées.

- Les inconvénients sont les suivants :

  • Si l’achat à terme est symétrique de la vente à découvert, et est pratiqué à la même échelle, la moyenne des baisses de prix est supérieure à la moyenne des hausses. L’impact d’une panique est plus fort que celui d’une bulle. La vente à découvert porte donc un risque d’aggravation d’une crise boursière.
  • Une forte chute du cours de bourse d’une institution financière risque de déclencher une mouvement de panique, pas seulement chez les professionnels, mais aussi chez les déposants ; elle risque de provoquer des retraits massifs de liquidités et d’enclencher une crise systémique.
  • La vente à découvert peut être le support d’un abus de marché : un vendeur qui n’aurait pas l’intention de faire le nécessaire pour se procurer les titres avant leur livraison prévue et ferait ainsi délibérément échouer le dénouement, ne lèserait pas seulement son acheteur ; il tromperait aussi le marché dans la mesure où le prix auquel la vente à découvert a été négociée a été diffusé sur le marché et a pu influencer d’autres participants, tandis que le non-dénouement constaté plus tard revient à l’annulation de la transaction. Plus grave, la pratique dite ’Short and distort’ par les anglo-saxons consiste à vendre une valeur à découvert puis à influencer le marché à la baisse en répandant des rumeurs négatives, en déclenchant une action en justice ou en demandant au régulateur un audit des comptes de la société visée ; une telle démarche, même infondée, peut suffire à entrainer la valeur à la baisse, au moins provisoirement, et assurer une plus-value au vendeur à découvert.

Par Yanne Robert et Morgane Tuleau
Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise

http://www.m2dpf.fr

[1] Le Service de Règlement Différé (SRD) est un mécanisme régissant les transactions de titres à la bourse de Paris.

[2] Un marché à terme, ou marché des contrats à terme, est un marché où les règlements se font à une échéance ultérieure, et prévue à l’avance de celle où les transactions sont conclues.

[3] Dans un marché au comptant, la livraison des biens échangés et leur paiement ont lieu pratiquement simultanément et immédiatement.

[4] L’AMF prolonge les mesures exceptionnelles sur les valeurs financières jusqu’à fin janvier 2010 et publie ses recommandations pour l’adoption d’un régime permanent en Europe (AMF, Communiqué 24 Juillet 2009).

[5] L’AMF prolonge les mesures exceptionnelles sur les valeurs financières dans l’attente de la définition d’un régime permanent au niveau européen (AMF, Communiqué 27 Janvier 2010).

[6] Les instruments financiers sont des titres ou contrats, dont certains sont négociables, notamment sur des bourses, certains exclusivement utilisés pour anticiper une rentabilité ou un risque financier ou monétaire.

[7] L211-1 du Code monétaire et financier : II. Les titres financiers sont : 1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ; 2. Les titres de créance, à l’exclusion des effets de commerce et des bons de caisse ; 3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.

[8]Article L211-17-1 I al.3 du Code monétaire et financier : Il peut être dérogé au présent article dans des conditions prévues par décret après avis motivé du collège de l’Autorité des marchés financiers.

[9] Exemple de difficulté d’interprétation : quel type de contrat permet de donner des « assurances raisonnables » ?

[10] Opération spéculative qui consiste à acheter, sans les payer, des actions éligibles au Service à Règlement Différé, en espérant les revendre à un prix supérieur dans l’intervalle des séances restant jusqu’à la liquidation mensuelle

[11] Article L 211-17-1, I, al.4 du Code monétaire et financier ; lequel est la reproduction de l’actuel article 570-1, al.2 du règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

[12] La compensation est un mécanisme permettant à des banques et des institutions financières, membres de la chambre de compensation, de régler les montants dus et de recevoir les actifs correspondants aux transactions qu’elles ont effectuées sur les marchés.

[13] Le règlement/livraison est une procédure par laquelle des titres sont livrés, habituellement contre paiement, pour remplir les obligations contractuelles nées de la négociation d’une opération.

[14]Un dépositaire central est un organisme où sont déposés les titres, valeurs mobilières ou titres de créances négociables, détenus, en propre ou au nom de leurs clients, par les intermédiaires financiers que sont les banques et les courtiers.

[15] Un contrat à terme (future en anglais) est un engagement ferme de livraison standardisé, dont les caractéristiques sont connues à l’avance, portant sur : une quantité déterminée d’un actif sous-jacent précisément défini, à une date (appelée échéance) et un lieu donnés, et négocié sur un marché à terme organisé. Les contrats à terme sont les instruments financiers les plus traités au monde.

[16] AMF, Rapport du groupe de travail sur les ventes à découvert, 23 février 2009, p. 5.

[17] Un animateur de marché, également appelé teneur de marché (Market maker ou dealers en anglais), est une entreprise, généralement une banque d’investissement, ou une personne qui, sur un marché donné, transmet en continu des prix à l’achat et à la vente soit uniquement à sa clientèle, soit, à l’ensemble du marché, y compris donc à ses concurrents.

[18] Une bulle spéculative, est un niveau de prix d’échanges sur un marché très excessif par rapport à la valeur financière intrinsèque (ou fondamentale) des biens ou actifs échangés.

[19] CDO signifie collateralized debt obligation, soit en français : « obligation adossée à des actifs ».

[20] Une société de courtage ou courtier (broker en anglais) est une entreprise ou une personne qui sert d’intermédiaire pour une opération, le plus souvent financière, entre deux parties. L’activité de courtage est réglementée dans de nombreux pays, afin de protéger les intervenants sur le marché.

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