Valeur probatoire d’une expertise amiable : nouvelle évolution de la jurisprudence.

Par Alexandre Jeleznov, Avocat.

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Explorer : # expertise amiable # preuve judiciaire # procédure civile

La troisième chambre civile de la cour de cassation vient de rendre un arrêt, publié au bulletin, qui atténue une nouvelle fois la valeur probatoire d’une expertise amiable, réalisée à la requête de l’une des parties au litige.
Cass. 3ème civ. 14/05/2020, n° 19-16278 et 19-16279.

-

Jusqu’à présent et au moins depuis un arrêt remarqué de chambre mixte du 28/09/2012, n°11-18.710, dont la solution a été depuis lors réitérée [1], la haute juridiction considérait, en effet, qu’un rapport d’expert amiable non contradictoire constituait une preuve que le juge ne pouvait refuser d’examiner, mais qui ne suffisait pas à fonder la condamnation d’une partie, en l’absence d’autres éléments.

Cette solution est désormais étendue à l’expertise amiable contradictoire, c’est-à-dire réalisée en présence de toutes les parties, par l’attendu suivant figurant dans la décision du 14/05/2020 :

« Vu l’article 16 du code de procédure civile :
(…)
Pour retenir la responsabilité de l’entreprise Y... B... et la condamner à réparation, le jugement rectifié se fonde exclusivement sur le rapport réalisé à la demande de M. X....
En statuant ainsi, le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé.
 »

Le recours à l’expertise amiable faisait déjà l’objet de réticences de la part des praticiens à divers égards : risque de subjectivité (voire de parti pris) de l’expert mandaté et rémunéré par l’un des belligérants, absence de cadre procédural strict, caractère non-contradictoire du rapport dès lors que l’adversaire, même convoqué, n’a pas participé aux constats, etc.

Eu égard à la nouvelle position de la cour de cassation, il est probable que cette réticence ira croissant, quoiqu’il ne soit pas exclu que la décision commentée est d’espèce, et non de principe.

En l’état du droit positif, la seule alternative existante est l’expertise judiciaire, mais ce mode de preuve est sensiblement plus long et coûteux.

Dans certains litiges (construction, immobilier, corporel, automobile ou comptabilité, notamment) il demeure néanmoins incontournable.

Si la haute juridiction entend favoriser l’expertise judiciaire au détriment de celle amiable (ce qui est objectivement défendable), il nous paraît souhaitable que les textes du Code de procédure civile qui y sont relatifs soient dépoussiérés.

Car en l’état, la relative souplesse des règles permet aux parties et leurs conseils de jouer la montre et de multiplier les frais, tandis que les carences ou lenteurs de certains experts ne sont guère sanctionnées.

Maître Alexandre JELEZNOV
Avocat au Barreau de BORDEAUX
VERBATEAM AVOCATS
https://www.verbateam.org/me-alexandre-jeleznov.htm

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Notes de l'article:

[1Cass. civ. 2ème 02/03/2017, n°16-13337 ; Cass. civ. 2ème 13/09/2018, n° 17-20099.

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Discussions en cours :

  • Cher Maître,

    L’expert judiciaire ne pourrait-il pas au vu de votre article devenir un technicien au service d’un médiateur de justice ?
    La lenteur du dépôt du rapport est avant tout lié à la temporalité de la procédure, mais aussi de la faculté des conseils à fournir des documents demandés, sans oublier les difficultés pour obtenir des pièces d’une autre juridiction.
    Je comprends à la lecture de votre article, qu’il est maintenant préférable de partir directement en justice sans essayer de perdre du temps et ses finances dans une solution amiable qui a peu de chance d’aboutir.

    Merci pour votre article.

    M. Philippe BERTOLA
    Expert près la cour d’Appel d’Aix en Provence
    Spécialités maritimes

    • par Me. Alexandre JELEZNOV , Le 29 mai 2020 à 00:22

      Cher Monsieur,

      Faire intervenir un expert judiciaire en phase de médiation ? Pourquoi pas. Mais si son rapport n’a pas plus de valeur que celui d’un expert amiable, alors l’intérêt est à mon sens limité.

      Je ne partage pas pleinement votre avis sur les raisons des lenteurs d’une expertise judiciaire. Certes, il arrive que des parties (et/ou leurs avocats) jouent la montre, tardent à communiquer des pièces ou régulariser des mises en cause, etc.

      Mais il arrive aussi que des experts mettent un temps anormalement long à accomplir leur mission, bien qu’ils soient en possession de tout le nécessaire.

      Je regrette que ni les uns, ni les autres ne soient guère soumis à des délais impératifs et sanctionnés pour faire ce qui leur incombe, au détriment des justiciables.

      Enfin, considérer "qu’il est maintenant préférable de partir directement en justice sans essayer de perdre du temps et ses finances dans une solution amiable qui a peu de chance d’aboutir" me paraît trop général est excessif.

      Je pense qu’il faut raisonner au cas par cas en fonction de différents paramètres.

      Si la cour de cassation ne se contente plus d’un seul rapport d’expertise amiable, fut-il contradictoire, rien n’empêche un plaideur d’en faire établir deux par exemple.

      Mais alors, on peut se demander s’il n’est pas plus efficient de s’orienter d’emblée vers une expertise judiciaire .

      Votre bien dévoué.

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