La transaction en droit de l’urbanisme.

Par Ludovic Giudicelli, Avocat.

9745 lectures 1re Parution: 4.36  /5

Explorer : # transaction # urbanisme # permis de construire # recours abusifs

L’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme encadre les transactions conclues dans le cadre de litiges portant sur les autorisations d’urbanisme. L’analyse de la réglementation applicable et de la jurisprudence en la matière démontre la nécessité de respecter les procédures.

-

La délivrance d’un permis de construire est souvent la source de conflits entre des intérêts qui, par nature, divergent.
En effet, si le porteur du projet voit avant tout les enjeux économiques liés à la réalisation rapide de son opération, de nombreuses personnes peuvent avoir des raisons de s’opposer à la future construction (riverains, associations de quartier, association de défense de l’environnement…).
Cela étant, malgré ces oppositions, un terrain d’entente peut parfois être trouvé pour résoudre amiablement le litige.
Un accord peut en effet être bénéfique pour les différentes parties, que ce soit pour le porteur du projet (gain de temps et absence de contentieux) ou pour le requérant (modification du projet ou obtention d’une indemnisation).
C’est dans ce contexte que les parties sont amenées à rédiger un protocole transactionnel permettant de fixer leurs concessions réciproques mettant un terme au conflit.

Dans un contexte de lutte contre les recours abusifs (des requérants peu scrupuleux usant des recours à des fins purement lucratives), le législateur a strictement encadré les transactions en droit de l’urbanisme.
L’article L- 600-8 du Code de l’urbanisme fixe le régime des transactions qui ont pour effet de mettre fin à l’instance ou de l’empêcher, lorsque la légalité d’une autorisation d’urbanisme est en jeu.
L’utilisation de cet article nécessite certaines explications, d’autant plus que les sanctions en cas de non-respect des dispositions législatives sont particulièrement graves.

L’obligation d’enregistrement de la transaction.

Le législateur oblige à l’enregistrement de la transaction.
Il est nécessaire d’identifier dans quels cas l’enregistrement de la transaction est rendu obligatoire par la loi.
Le champ d’application de la loi porte sur le contenu du protocole et les obligations réciproques des parties.

Pour l’opposant au projet :
- Soit la personne s’engage à ne pas introduire de recours contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager ;
- Soit la personne s’engage à se désister du recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager.

Pour le porteur du projet
- Le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme verse en contrepartie une somme d’argent octroie un avantage en nature.
Il faut donc retenir que la transaction est soumise à enregistrement alors même que le recours ne serait pas encore introduit, ce qui correspond à un ajout de la loi Elan.

Le texte n’en fait pas référence mais il apparaît évident que le désistement devra être à la fois d’instance et d’action, afin d’empêcher toute reprise du contentieux.

Enfin, il n’est pas nécessaire que la contrepartie soit une somme d’argent mais il est également possible de prévoir un avantage en nature (prise en charge de travaux, modification du projet…).

Ces différentes solutions couvrent l’ensemble des transactions effectuées dans les litiges portant sur les autorisations d’urbanisme.

L’enregistrement auprès de l’administration fiscale.

Le code de l’urbanisme précise que la transaction doit être enregistrée conformément à l’article 635 du code général des impôts dans le délai d’un mois à compter de sa date.

Il ressort en effet de ces dispositions que :
« Doivent être enregistrés dans le délai d’un mois à compter de leur date :
1. Sous réserve des dispositions des articles 637 et 647 : (…)
9° La transaction prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager
. »

Concrètement, la transaction est enregistrée auprès de l’administration fiscale, c’est-à-dire le centre des impôts fonciers (CDIF) compétent au regard de la localisation du terrain d’assiette du projet.

En pratique, il faut savoir que les CDIF peuvent avoir des fonctionnements et des pratiques différentes concernant la transmission des transactions.
Il vaut donc mieux s’assurer, pour plus de sécurité, auprès du centre les modalités d’envoi de la transaction (LRAR, remise en mains propres…).

L’exonération de l’imposition pour l’enregistrement des transactions.

Il faut noter que l’enregistrement des transactions sur le fondement de l’article L600-8 du Code de l’urbanisme ne fait l’objet d’aucun droit d’enregistrement.

En effet, l’article 680 du code général des impôts précise que :
« Tous les actes qui ne se trouvent ni exonérés, ni tarifés par aucun autre article du présent code et qui ne peuvent donner lieu à une imposition proportionnelle ou progressive sont soumis à une imposition fixe de 125 €.
Les transactions mentionnées au 9° du 1 de l’article 635, qui ne sont tarifées par aucun autre article du présent code, sont exonérées de l’imposition fixe prévue au premier alinéa
 ».

Dès lors, le centre des impôts fonciers n’est pas en mesure de solliciter le paiement de l’imposition de 125 euros lors de l’enregistrement de la transaction.
Une telle demande est purement et simplement irrégulière.

Les conséquences du défaut d’enregistrement de la transaction.

Le cadre juridique étant posé, il est essentiel d’analyser les conséquences du défaut d’enregistrement de la transaction.
Sur ce point, il n’est pas excessif d’écrire que la méconnaissance des dispositions du code de l’urbanisme a des conséquences particulièrement graves pour les requérants, ou potentiels requérants.

La rédaction de l’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme est claire et précise que « la contrepartie prévue par une transaction non enregistrée dans le délai d’un mois prévu au même article 635, est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition ».

Le texte, qui pourrait paraître excessif, a été confirmé par un arrêt remarqué de la Cour de Cassation [1]

Dans sa décision, la Cour de Cassation indique qu’au regard de la législation applicable, la formalité de l’enregistrement doit être accomplie dans le mois de la date de la transaction.

Il est précisé qu’à défaut d’enregistrement dans ce délai, la contrepartie prévue par la transaction non enregistrée est réputée sans cause.

Le juge estime alors que :
« Considérer que le délai d’un mois est dépourvu de sanction et admettre ainsi qu’une transaction ne pourrait être révélée que tardivement serait en contradiction avec l’objectif de moralisation et de transparence poursuivi par le législateur ».

Dès lors, le délai d’enregistrement est un délai de rigueur qui ne peut être prorogé et dont l’inobservation entraîne l’application de la sanction légale, quel que soit le motif du retard.
La Cour de Cassation conclut donc qu’à défaut d’enregistrement la transaction est tenue par le législateur pour illégale et que les sommes perçues en exécution de cette transaction sont indues.

Dans une telle hypothèse, le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme est à solliciter la restitution des sommes indûment versées.

L’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme indique que l’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature.
En outre, les acquéreurs successifs de biens ayant fait l’objet de l’autorisation d’urbanisme peuvent également exercer l’action en répétition à raison du préjudice qu’ils auraient subi.

Ainsi, il est particulièrement conseillé à la partie qui s’engage à retirer son recours de procéder à l’enregistrement selon les modalités prévues par le code de l’urbanisme.

Les transactions conclues avec les associations.

Le Code de l’urbanisme prévoit également la situation particulière dans laquelle la transaction est conclue avec une association.

Il s’agit d’une nouveauté de la loi Elan, afin de contrer les associations fictives créées dans le seul but de justifier un intérêt à agir pour exercer des recours crapuleux.
Sur ce point, le texte précise que par principe, les transactions conclues avec des associations ne peuvent pas avoir pour contrepartie le versement d’une somme d’argent.

Il existe toutefois une exception lorsque les associations agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres.

Cette dernière hypothèse porte sur les situations où l’association serait elle-même propriétaire ou usager d’un bien situé à proximité du terrain d’assiette du projet.

Ludovic Giudicelli
Avocat au Barreau de Paris

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

14 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cour de cassation, civile, 3ème Chambre civile, 20 décembre 2018, n° 17-27.814, Publié au bulletin.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs