1- Les conditions de la suspension des fonctions.
L’article L531-1 du Code général de la fonction publique prévoit que le fonctionnaire, auteur d’une faute grave, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, peut être suspendu de ses fonctions par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire [1] qui saisit, sans délai, le conseil de discipline.
La mesure de suspension peut ainsi être légalement prise lorsque l’autorité compétente est en mesure d’articuler à l’encontre de l’agent des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave :
« 3. Aux termes de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : "En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai le conseil de discipline (...)". La mesure provisoire de suspension prévue par ces dispositions législatives ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire. Elle est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu’il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Elle peut être légalement prise dès lors que l’administration est en mesure d’articuler à l’encontre de l’intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave » [2].
Ainsi, seules les fautes présentant une gravité suffisante peuvent justifier la suspension des fonctions.
Le caractère de gravité des griefs est notamment apprécié en fonction de la nature des faits et des fonctions exercées par l’intéressé, du niveau de responsabilité assumé mais aussi des conséquences négatives occasionnées sur le service et l’environnement professionnel.
A titre d’exemple, a pu être considérée justifiée la suspension d’un fonctionnaire entretenant des relations très conflictuelles, faisant preuve d’un comportement inadapté, et de méthodes et pratiques de management inappropriées ayant conduit à l’instauration d’un climat de « forte tension, voire d’angoisse » au sein du service [3].
La suspension se trouve également subordonnée à la condition que l’administration soit en mesure de démontrer qu’au jour où elle a suspendu l’agent elle disposait d’éléments permettant d’établir avec suffisamment de fiabilité les faits reprochés, peu important à ce titre la circonstance que les faits en cause s’avéreraient finalement, après vérification ultérieure, matériellement inexacts [4].
En effet, la condition de légalité tenant au caractère grave et vraisemblable des faits s’apprécie par principe exclusivement au vu des informations dont dispose effectivement l’autorité administrative au jour de sa décision.
Ainsi, conformément à la règle contentieuse applicable dans le cadre de l’excès de pouvoir, il ne sera normalement pas possible de se prévaloir d’éléments postérieurs à la date de la décision de suspension en cas de recours formé par le fonctionnaire suspendu :
« (…) la suspension d’un fonctionnaire peut légalement intervenir, dans l’intérêt du service, dès lors que les faits relevés à l’encontre de l’agent présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier une telle mesure. Cette mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, a pour objet d’écarter l’agent du service, pendant la durée nécessaire à l’administration pour tirer les conséquences des griefs faits à l’agent. Eu égard à la nature de la mesure de suspension prévue par les dispositions de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 et à la nécessité d’apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère grave et vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l’autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l’administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu’ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l’acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d’un recours en excès de pouvoir contre cet acte » [5].
Il n’apparait néanmoins pas totalement exclu, dans certaines situations, que des attestations portant sur les faits ayant justifié la suspension de l’agent puissent être invoquées devant le juge administratif, alors même qu’elles auraient été rédigées postérieurement à la mesure [6].
En toute hypothèse, la suspension des fonctions ne peut être légalement fondée sur des faits identiques à ceux ayant déjà donné lieu à une précédente sanction disciplinaire [7].
Elle ne peut pas non plus être justifiée par des motifs tenant uniquement à l’insuffisance professionnelle de l’agent suspendu :
« Toutefois, de tels motifs, qui relèvent de la seule insuffisance professionnelle de l’agent, ne sont pas au nombre des motifs de nature à justifier légalement une mesure de suspension, laquelle doit être motivée par des manquements aux obligations professionnelles revêtant le caractère d’une faute disciplinaire qui par sa nature, sa gravité et son incidence sur le fonctionnement du service impose que l’agent concerné en soit écarté d’urgence » [8].
Enfin, il importe de préciser que la saisine du conseil de discipline et l’engagement de poursuites disciplinaires ne constituent pas des conditions de légalité de la décision de suspension, laquelle s’apprécie uniquement à la date à laquelle elle a été prise [9].
2- Les modalités du prononcé de la suspension.
Dès lors qu’elle ne constitue pas une sanction disciplinaire, la mesure de suspension des fonctions n’implique pas que l’agent soit mis à même de consulter son dossier individuel [10].
La décision de suspension n’a pas non plus à être motivée [11].
Il convient néanmoins de rappeler que, s’il n’existe pas d’obligation de motiver la décision de suspension, il appartient en tout état de cause à l’administration d’être en mesure de justifier légalement sa décision, en particulier dans le cadre d’un contentieux porté devant le juge administratif.
Précisons également que la circonstance que l’agent bénéficie d’un congé de maladie ou de longue maladie ne fait pas obstacle au prononcé d’une mesure de suspension [12].
Enfin, par application des dispositions de l’article L.221-8 du Code des relations entre le public et l’administration, la mesure de suspension doit être notifiée à l’agent ; et elle ne saurait, par principe, prévoir une application antérieure à sa notification.
3- La durée de la suspension.
Aux termes de l’article L531-1 du Code général de la fonction publique, la suspension des fonctions peut être prise pour une durée de quatre mois à l’issue de laquelle la situation de l’agent concerné doit être définitivement réglée.
La suspension prendra automatiquement fin si une sanction disciplinaire est prononcée à l’encontre de l’agent au cours de ce délai, ou encore si celui-ci est placé en congé de maladie ou de longue maladie :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire qui fait l’objet d’une mesure de suspension est maintenu en position d’activité, a droit en cette qualité à des congés de maladie ou de longue maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l’impossibilité d’exercer les fonctions qu’il exercerait s’il n’était pas suspendu et bénéficie du régime de rémunération afférent à ces congés ; qu’en plaçant ce fonctionnaire en congé de maladie ou de longue maladie, l’autorité compétente met nécessairement fin à la mesure de suspension, sans préjudice de la possibilité pour elle de la décider à nouveau à l’issue du congé si les conditions prévues à l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeurent remplies » [13].
L’administration peut également décider de sa propre initiative de mettre fin à la suspension durant ce même délai si la mesure n’est plus justifiée.
Elle y est même tenue si des éléments nouveaux font apparaître que les conditions à l’origine de la mesure ne sont plus satisfaites [14].
L’article L531-2 du Code général de la fonction publique prévoit par ailleurs que, si aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire à l’expiration du délai de quatre mois, et que le fonctionnaire ne fait pas l’objet de poursuites pénales [15], celui-ci est rétabli dans ses fonctions.
En cas de poursuites pénales, le fonctionnaire pourra également être rétabli dans ses fonctions à l’expiration du même délai, sauf si les mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service y font obstacle.
Si l’agent ne peut être rétabli dans ses fonctions, l’article L531-3 du Code général de la fonction publique prévoit que, sur décision motivée et sous réserve de l’intérêt du service, celui-ci peut être affecté provisoirement dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis ; et qu’à défaut, il peut être détaché d’office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d’emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations.
Enfin, l’article L531-5 du même Code prévoit le rétablissement automatique du fonctionnaire dans ses fonctions en cas de décision de non-lieu, de relaxe, d’acquittement ou de mise hors de cause.
4- Les effets de la suspension.
Le fonctionnaire suspendu demeure en position d’activité.
Il conserve, au cours des quatre premiers mois de la suspension, les éléments de rémunération mentionnés à l’article L531-1 Code général de la fonction publique, à savoir son traitement, l’indemnité de résidence et le supplément familial de traitement.
En l’absence de service fait, le fonctionnaire ne peut en revanche prétendre aux indemnités liées à l’exercice effectif des fonctions [16].
A l’issue du délai de quatre mois, l’article L531-4 du Code général de la fonction publique prévoit que le fonctionnaire qui n’est pas rétabli dans ses fonctions ou qui n’est pas affecté ou détaché provisoirement dans un autre emploi en raison de poursuites pénales, peut subir une retenue à hauteur de 50% de sa rémunération.
5- Le contrôle du juge administratif.
La mesure de suspension des fonctions est une décision qui fait grief à l’agent, et qui peut donc être déférée à la censure du juge administratif dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir.
A ce titre, le juge pourra être amené à vérifier que l’auteur de la décision de suspension était bien compétent, et que les conditions requises étaient réunies au jour où elle a été prise.
Pour certains agents nommés par décret du président de la République, le Conseil d’Etat est seul compétent, en application de l’article R311-1 du Code de justice administrative, pour connaître en premier et dernier ressort de la contestation d’une décision de suspension prononcée à titre conservatoire [17].
La suspension de la suspension peut également être demandée au juge des référés lorsque les conditions de l’article L521-1 du Code de justice administrative sont réunies et que l’urgence se trouve caractérisée, c’est-à-dire lorsque la mesure porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de l’agent.
Enfin, si la suspension a été illégalement prononcée, le fonctionnaire pourra solliciter, dans le cadre d’un recours de plein contentieux, l’indemnisation des préjudices subis sur le fondement de la responsabilité pour faute de l’administration.
En ce sens, il pourra notamment demander la réparation de son préjudice matériel mais également, le cas échéant, de son préjudice moral.
En conclusion, si la suspension des fonctions constitue une mesure visant à préserver le service, elle n’en demeure pas moins encadrée et soumise à des conditions dont le non-respect est susceptible d’être sanctionné par le juge administratif, et d’ouvrir droit à réparation pour le fonctionnaire qui en a fait l’objet.
Discussions en cours :
Bonjour
Quel est le délai pour notifier la suspension
Bonjour Maître Di Stephano
Je vous remercie beaucoup pour votre article qui complète l’article "https://www.village-justice.com/articles/fonctionnaires-comment-contester-une-mesure-suspension,33803.html#comments".
Pouvez-vous m’éclaircir la notion de "recours de plein contentieux" pour indemnisation qui apparait à la fin de votre article ?
Auriez-vous connaisance , de références d’arrêts de la justice administrative "illustrant cette notion" ?
Je vous prie de recevoir, Maître Di Stephano, mes sincères salutations.
Bonjour Maître,
Je m’interroge sur la possibilité de "motiver" une décision de prolongation de suspension au delà des 4 mois, sans poursuites pénales, dans l’intérêt du service et notamment au regard du "risque" que des témoins et victimes soient confrontés directement avec l’agent mis en cause qui a un pouvoir de subordination sur ces derniers. J’ai déjà vu ce type de décision mais ne trouve pas de jurisprudence confirmant cette exception. Cette décision de prolongation est-elle donc légale ?
Restant à votre disposition,
Sincères salutations