Security Token Offering : plongée au coeur de la finance régulée. Par Adrien Ahmadi Kermanshahani et Henri Nalbandyan, Elèves-avocats.

Security Token Offering : plongée au coeur de la finance régulée.

Par Adrien Ahmadi Kermanshahani et Henri Nalbandyan, Elèves-avocats.

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Explorer : # security token offering # réglementation financière # blockchain # marchés de capitaux

A travers le projet de loi PACTE, la France a entendu proposer une réglementation ad-hoc ayant vocation à régir les offres au public de jetons ne présentant pas les caractéristiques d’un titre financier.
La publication du décret du 24 décembre 2018 (décret "DEEP") a ouvert la possibilité d’inscrire des titres financiers non cotés sur des Distributed Ledger Technologies (DLT), tels que des blockchains. Il est depuis possible de réaliser des Security Token Offering (STO) en France, c’est-à-dire, des offres au public de jetons présentant les caractéristiques de titres financiers, en se fondant sur la réglementation pré-existante des marchés de capitaux.
L’avenir prometteur de ce nouveau type de sollicitation du public est cependant contrebalancé par le poids du régime qui lui est applicable.
Synthèse et décryptage des enjeux juridiques soulevés par les STO.

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L’autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a indiqué dans un avis du 9 janvier 2019 que les offres au public de tokens (ICO) présentant les caractéristiques de valeurs mobilières devaient respecter la réglementation bancaire et financière de l’Union Européenne. Cette position, peu surprenante, confirme celle des praticiens qui n’avaient pas attendu l’avis de l’ESMA pour considérer que le futur des ICO se jouerait dans l’arène hyper réglementée des marchés de capitaux.

Il sera ici uniquement question du traitement juridique des offres de tokens présentant les caractéristiques d’un titre financier, c’est-à-dire, des Security Token Offering (STO).

Au sein de l’Union Européenne, les offres au public de titres financiers sont actuellement encadrées par la Directive 2003/71 « concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation », dite « Directive Prospectus ». Cette directive sera prochainement abrogée en raison de l’entrée en vigueur, le 21 juillet 2019, du Règlement 2017/1129 dit « Règlement Prospectus 3 ».

Toutes les considérations qui suivent sont fondées sur ce Règlement (donc applicables après le 21 juillet 2019).

En France, la réalisation de STO est juridiquement possible depuis la publication du décret n°018-1226 du 24 décembre 2018 complétant l’ordonnance du 8 décembre 2017 qui a reconnu la possibilité d’inscrire des titres financiers non cotés sur des « dispositifs d’enregistrement électroniques partagés » (DEEP). Les dispositifs visés sont ainsi les Distributed Ledger Technologies (DLT) de manière générale, dont la blockchain fait partie. Ils viennent mettre fin à la longue période de solitude de la notion d’inscription en compte de titres financiers non cotés.

Avec la transposition de la Directive Prospectus, le droit français avait donné naissance au régime de l’offre au public de titres financiers, notion qui succédait déjà à celle d’appel public à l’épargne. L’entrée en vigueur du Règlement Prospectus 3 devrait pousser la France à modifier son droit interne pour consacrer la notion d’offre au public de valeurs mobilières.

En réalité, les STO se confondent avec ce régime de l’offre au public de valeurs mobilières. Le token devient en effet la valeur mobilière offerte, de sorte que seul le mode d’inscription de cette valeur mobilière est novateur. Les STO constituent-elles vraiment, du point de vue juridique, une révolution de la pratique des marchés de capitaux ? Les émetteurs de tokens, dans le cadre d’une STO sont soumis à l’ensemble des règles régissant les marchés de capitaux européens (I). Le traitement juridique des STO transfrontalières soulèvera de nouvelles problématiques, en raison notamment de la non-harmonisation des règles relatives aux marchés de capitaux à l’échelle globale (II).

I. L’application de la réglementation européenne des marchés de capitaux aux STO.

1) L’obligation d’établir un prospectus en cas de STO.

a. Champ d’application de la réglementation européenne « Prospectus ».

Quels titres ?

Il est évident que pour tomber dans le champ de l’offre au public de valeurs mobilières, le token doit avant tout être une valeur mobilière.
Selon le droit européen, les valeurs mobilières sont les catégories de titres négociables sur les marchés de capitaux, à l’exception des instruments de paiement, telles que :
- les actions de société et autres titres équivalents à des actions de société ou les certificats représentatifs d’actions ;
- les obligations et autres titres de créance ou les certificats représentatifs de ces titres ;
- toute autre valeur donnant le droit d’acquérir ou de vendre de telles valeurs mobilières ou donnant lieu à un règlement en espèces, fixé par référence à des valeurs mobilières, à une monnaie, à un taux d’intérêt ou rendement, à des matières premières ou à d’autres indices ou mesures.

Toute offre au public de valeurs mobilières répondant à l’une des trois catégories visées ci-dessus relèvera ainsi du régime de l’offre au public de valeurs mobilières.
Les offres au public de titres de capital (actions par exemple) ou de titres de créance (obligations par exemple) "tokenisés", c’est-à-dire, inscrites sur des DLT, seront ainsi soumises au Règlement Prospectus 3.

Encore une fois, la principale différence entre une offre au public d’actions ou d’obligations et une STO résidera dans l’utilisation de la blockchain ou d’autres DLT pour l’inscription des titres financiers.

N.B : Selon le décret du 24 décembre 2018 seuls les titres qui ne sont pas des valeurs mobilières négociés sur un système multilatéral et qui ne sont pas réglés au travers d’un système de règlement-livraison opéré par un dépositaire central de titres agréé peuvent être stockés sur un DLT. Il est généralement considéré que cela signifie que seuls les titres non cotés peuvent être stockés sur des DLT. Il est donc nécessairement impossible de réaliser une IPO sous forme de STO.

Quelle offre ?

Il est légitime de se demander à partir de quand une offre de valeurs mobilières est considérée être adressée au public. Le droit européen apporte une définition claire puisqu’il prévoit qu’il s’agit d’une « communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou souscrire ces valeurs mobilières ».

Il en résulte que toute communication adressée à quelque personne que ce soit qui présenterait une information suffisante sur les conditions de la STO projetée et sur les tokens à offrir et qui mettrait un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire à ces tokens constituerait une offre au public de valeurs mobilières.

Notons que l’AMF a une interprétation très large de cette définition mais, en tout état de cause, une simple référence à une potentielle émission, sans mention de son ampleur, de sa date ou de son prix ne serait pas de nature à éclairer suffisamment un investisseur pour qu’il décide d’acheter ou de souscrire les tokens.

b. Obligation d’établir et de publier un prospectus avant toute STO.

Conformément au Règlement Prospectus 3, l’émetteur d’une STO sera contraint, avant le lancement de son offre, d’établir et de mettre à disposition du public un prospectus. Les informations à fournir dans le cadre de l’établissement d’un prospectus seront ainsi considérablement plus importantes que celles usuellement contenues dans les whitepaper.

Qu’est-ce que le prospectus ?

Le prospectus est un document d’information à destination des investisseurs qui doit leur permettre de connaître la situation exacte de l’émetteur au moment où ils investissent dans ses valeurs mobilières. Il s’agit en ce sens d’un document de protection des investisseurs ce qui justifie qu’il doit être approuvé par un régulateur européen (l’Autorité des marchés financiers pour la France) avant sa diffusion.

Le format des prospectus est précisément normé par le Règlement Prospectus 3. Il varie généralement de 150 à 500 pages selon la taille de l’émetteur et son contenu diffère selon le type de valeur mobilière émise. Par exemple, dans le cadre de l’émission d’une action "tokenisée", le prospectus devra notamment décrire :
- les personnes responsables du prospectus ainsi que l’identité des commissaires aux comptes ;
- les facteurs de risque liés à l’investissement proposé ;
- l’histoire de l’émetteur, sa gouvernance (composition des organes sociaux), ses perspectives, ainsi que ses investissements réalisés et projetés ;
- le marché sur lequel l’émetteur déploie son activité et son positionnement sur ce marché ;
- les états financiers de l’émetteur ;
- la répartition du capital de l’émetteur, les transactions réalisées avec des parties liées ;
- des éléments relatifs aux ressources humaines ; et
- les contrats importants qu’il a conclus.

Le prospectus peut prendre la forme d’un document unique ou être établi en trois documents distincts. Dans ce dernier cas, le prospectus sera composé d’un document universel d’enregistrement (URD), d’une note relative aux tokens offerts et d’un résumé du prospectus. La note relative aux tokens et le résumé du prospectus disposent eux aussi d’un formalisme précisément prévu par le Règlement Prospectus 3 dont la reprise serait ici inutile.

Notons enfin que le droit de l’Union Européenne a prévu un régime d’information financière allégée lorsque l’émetteur est une PME puisque ces émetteurs pourront établir un prospectus de croissance de l’Union (article 15 du Règlement), lequel requiert bien moins d’informations que le prospectus standard.

c. Exonération à l’obligation d’établissement d’un prospectus dans le cadre d’une STO.

En application de la règlementation européenne, la société réalisant une STO peut être exonérée de l’obligation d’établir un prospectus dans des cas bien précis, notamment lorsque :
- le montant total des tokens émis dans l’Union Européenne est inférieur à 8 millions d’euros ou à la contre-valeur de ce montant en devises (les Etats peuvent cependant prévoir un seuil inférieur) ;
- l’offre de tokens est adressée uniquement à des investisseurs qualifiés (établissements de crédit, entreprises d’investissement, entreprises locales, …) ; ou
- l’offre de tokens est adressée à moins de 150 personnes physiques ou morales, autres que des investisseurs qualifiés, par État de l’Union Européenne (placement privé).

La réglementation prévoit une multitude d’exemptions relatives à des cas précis et exceptionnels qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer ici. Mentionnons simplement le fait que lorsque la valeur nominale unitaire d’un token est d’au moins 100.000 euros ou lorsque chaque investisseur acquiert des tokens pour un montant total d’au moins 100.000 euros, la société émettrice sera également exonérée de l’obligation d’établir un prospectus.

d. L’application des règles relatives aux abus de marché.

Afin de garantir le libre jeu de l’offre et de la demande, les marchés de capitaux européens sont encadrés par des règles d’information pré-émission (Règlement Prospectus) mais également par des règles qui s’appliqueront en période d’offre et/ou de négociation du titre en question. Le dispositif européen est codifié au sein du Règlement n°596/2014, dit « Règlement Abus de marchés » qui a vocation à sanctionner les fraudes, manipulations de cours, fausses informations et autres comportements déloyaux des acteurs des marchés de capitaux européens. Cette réglementation, qui s’appliquera pour partie dans le cadre des STO, fera l’objet d’une prochaine publication.

2) Eléments importants du processus de réalisation d’une STO dans l’Union Européenne.

Le succès d’une offre au public nécessite un réel savoir-faire ce qui explique que les sociétés réalisant des offres au public, quelle que soit leur taille, fassent appel aux services de cabinets d’avocats spécialisés et de conseillers en opérations financières dans le cadre de l’établissement de leur prospectus et de la conduite des opérations. Voici quelques-uns des points les plus importants du processus de réalisation d’une STO.

a. Gestion de la communication.

Avant et pendant la période d’offre au public, il sera indispensable pour l’émetteur de mettre en place une politique de gestion de sa communication. En effet, avant l’enregistrement de son prospectus, le projet d’offre devra rester confidentiel (quelques aménagements sont toutefois possibles) et impliquer le moins de personnes possible. Une fois le prospectus visé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) celui-ci devra ensuite être mentionné lors de toute communication faite relativement à l’offre. Ces communications devront par ailleurs être cohérentes avec les informations figurant au sein du prospectus.

b. Due diligence – Audit juridique.

La majorité des émetteurs de STO sont des PME. Il en résulte que, bien souvent, ces jeunes sociétés, du fait de leur caractère privé et peu contrôlé ainsi que de leur manque de moyens, ont négligé le respect de tenue des registres des décisions sociales et d’autres obligations légales. La première étape consistera ainsi, pour l’avocat, à réaliser un travail rigoureux de due diligence et de mettre en conformité la société émettrice afin de la rendre irréprochable sur le plan juridique. Par exemple, les conventions réglementées non autorisées devront l’être a posteriori par l’assemblée générale de l’émetteur et les comptes annuels devront être approuvés. Notons d’ailleurs que, sauf dans certains cas très précis, seules les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions peuvent réaliser des offres au public.

c. Etablissement du prospectus.

La réalisation du prospectus et notamment du document d’enregistrement lorsque le prospectus est réalisé en trois documents distincts constitue l’une des tâches les plus importantes lors de la préparation d’une offre au public. En effet, la qualité du premier projet déposé à l’AMF déterminera si le calendrier prévisionnel de l’offre sera respecté ou non. On comprend là l’importance pour les émetteurs de se faire assister par des conseils.

Une fois le premier projet déposé auprès des services de l’AMF, celle-ci disposera d’un délai de vingt jours pour se prononcer sur ce projet (dix jours si l’offre n’est pas la première réalisée par cet émetteur). Chaque soumission d’une nouvelle version de document réinitialise le délai d’examen dont dispose l’AMF (20 jours en cas de première offre). Ainsi, si le premier projet de document déposé est loin du format d’un document prêt à être enregistré, le respect du calendrier prévisionnel de l’offre sera impossible.

Un soin particulier devra être pris lors de la rédaction du prospectus et bien plus que dans le cadre de celle d’un whitepaper. En effet, les informations délivrées aux investisseurs au travers du prospectus lieront l’émetteur. En d’autres termes, un investisseur pourra engager la responsabilité de l’émetteur sur le fondement des informations qu’il aura fournies dans son prospectus.

C’est là tout l’enjeu du prospectus : trouver un juste équilibre entre attirance des investisseurs et limitation du risque de mise en jeu de la responsabilité de l’émetteur. C’est la gestion de cet enjeu qui justifie le recours à des conseils extérieurs (avocats spécialisés, agences de communication, sponsor financier) ainsi que le coût de leurs prestations.

d. Un titre fatalement illiquide.

Dans le cadre de l’établissement de son prospectus, l’émetteur d’une STO devra déterminer, décrire et analyser les risques qui lui sont spécifiques. Il s’agit là d’une des parties du prospectus sur lesquelles l’émetteur devra porter un soin particulier. En matière de STO, un risque majeur sera à traiter en plus de ceux classiquement évoqués et il conviendra notamment de décrire comment l’émetteur se protège face à ce risque.

Il concerne l’absence de liquidité du token. L’illiquidité du token offert au public relève davantage de la certitude que du risque. En effet, on pourrait émettre l’hypothèse selon laquelle le token jouirait d’une certaine liquidité du fait de sa négociation sur des plateformes spécialisées (par exemple : Binance, Bittrex, Kraken, etc.). Or, ces plateformes spécialisées ne pourront organiser la négociation de ces tokens, qui seront donc des valeurs mobilières, uniquement à condition d’être agréées. Quand bien même elles réussiraient à obtenir cet agrément, les tokens concernés seraient alors de facto des titres cotés, ce qui les exclurait du champ d’application du décret DEEP. Les tokens émis dans le cadre d’une STO seront ainsi fatalement non liquides, en tous les cas, pas davantage que les titres d’une société non cotée.

Il est également possible de considérer que l’illiquidité du titre "tokenisé" serait résolue par la création d’un marché propre à l’émetteur, sur son site internet par exemple. Cependant, si la création d’un marché primaire semble envisageable (lors de la période de souscription des tokens), la création d’un marché secondaire (post-émission des tokens) semble impossible pour les raisons évoquées ci-dessus.

In fine, le seul argument en faveur d’une liquidité accrue d’un titre "tokenisé" est celui relatif à la facilité de cession de ce titre. En réalité, la quasi-totalité des formalités relatives à la cession de titres financiers demeureront applicables (contrats de cession, agrément de la société en cas de clause d’agrément, déclaration de cession aux services des impôts, etc.).

Au sein de l’Union Européenne, les STO se verront donc appliquer le régime classique des offres au public de valeurs mobilières. L’entrée des STO dans ce régime les propulse dans le monde de la finance professionnelle et régulée, soulevant des problématiques nouvelles pour les porteurs de projet mais offrant par ailleurs une deuxième naissance aux offres de jetons grâce à cette légitimité nouvelle.

Cependant, la réalisation d’une STO au sein de l’Union est loin de confronter les émetteurs aux mêmes enjeux que la réalisation d’une telle offre à l’échelle globale.

II. Les enjeux des STO transnationales.

Les règles relatives aux marchés de capitaux ne sont pas harmonisées à l’échelle globale. En revanche, le droit de l’Union Européenne prévoit une réglementation harmonisée en matière d’offre au public de valeurs mobilières duquel découle un dispositif de passeport européen pour les émetteurs souhaitant réaliser des offres transnationales européennes.

1) L’utilisation du passeport européen dans le cadre d’une STO.

Lorsqu’une offre au public de valeurs mobilières est réalisée dans un ou plusieurs Etats Membres de l’Union Européenne, le prospectus approuvé par l’Etat Membre d’origine, ainsi que tout supplément éventuel, est valide aux fins d’une offre au public dans tout autre Etat Membre de l’Union Européenne et dans l’Espace Economique Européen.

Cela signifie qu’au sein de l’Espace Economique Européen, dès lors que l’émetteur d’une STO obtient un visa sur son prospectus, il peut réutiliser ce prospectus pour étendre son STO à l’ensemble de l’Espace Economique Européen. La seule condition à l’extension de cette offre est de demander à l’autorité ayant approuvé le prospectus de notifier cette approbation à l’autorité de l’état où l’offre est étendue.

La non-harmonisation du seuil d’exemption de prospectus (8 millions ou moins) pourrait cependant être problématique dans le cadre d’une offre paneuropéenne. En effet, une offre évaluée à 7 millions d’euros serait par exemple exemptée de prospectus en France alors qu’elle ne le serait pas dans d’autres Etats Membres ayant retenu un seuil inférieur à 7 millions. Il faudrait alors y faire approuver un prospectus.

2) L’extension de la STO à des états tiers à l’Union.

S’agissant d’offres au public de titres présentés comme étant des valeurs mobilières, l’émetteur se devra de structurer son offre avec prudence. En effet un certain nombre d’états tels que les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et bien d’autres, ont une politique très agressive à l’encontre des émetteurs qui sollicitent, même involontairement, les investisseurs de ces pays sans avoir préalablement appliqué les règles financières locales et plus particulièrement sans avoir fait enregistrer la documentation financière nécessaire.

Les émetteurs devront donc exclure expressément dans le prospectus et les documents de communication les citoyens de ces états, sauf à ce que ces émetteurs réalisent les démarches nécessaires en vue d’être autorisés à réaliser une offre au public dans lesdits états. Généralement, la pratique consiste à exclure expressément les citoyens canadiens, australiens, américains, et japonais de l’offre.

Cette déclaration d’exclusion n’est cependant pas suffisante. Les émetteurs devront veiller à ne pas réaliser des campagnes de communication relatives à l’offre envisagée dans ces pays et à indiquer expressément sur tout support de communication que ces pays ne sont pas concernés par l’offre. En outre, il est fortement conseillé aux émetteurs de filtrer sur une page précédant l’accès au site internet dédié à la STO les personnes pouvant accéder à l’offre.
En tout état de cause, ces enjeux devront être traités grâce à la mise en place de procédures KYC rigoureuses et l’exclusion des citoyens et résidents de ces états. De facto, il s’agira de restreindre l’accessibilité à la souscription.

3) Non-harmonisation de la reconnaissance du stockage de titres financiers sur DLT.

La France a admis la possibilité d’inscrire des titres financiers non cotés sur des DLT. Reste que la France est l’un des rares pays à l’avoir fait. Or, sans cette base légale constatant la propriété d’un titre financier, il n’est pas possible de sécuriser juridiquement une STO.
Cependant, pour le cas d’une STO française, cet inconvénient concerne uniquement les souscripteurs étrangers et non pas l’émetteur ou même des souscripteurs français puisque ces derniers seront en mesure de prouver, sous l’empire du droit français, qu’une personne définie détient bien X tokens. Il sera donc indispensable que le contrat d’émission comporte une clause de détermination de la loi applicable qui désigne la loi d’un état ayant reconnu la possibilité d’inscrire des titres financiers dans un DLT. On comprend bien qu’il n’est pas envisageable qu’une partie des titres soit inscrite en compte et qu’une autre soit inscrite sur un DLT.

Les offreurs de security token devront donc, dans la majorité des cas, établir un prospectus en vue de la réalisation de leur STO conformément au Règlement Prospectus 3.

Ce travail important qui occupe des sociétés pourtant matures pendant plusieurs mois dans le cadre de leur introduction en bourse constituera le principal obstacle à l’accès des émetteurs de tokens aux marchés de capitaux. Au sein de l’Union Européenne, l’extension territoriale de la STO sera possible dès l’approbation d’un prospectus par l’autorité d’un Etat Membre. En revanche, l’extension de la STO à l’échelle globale provoquera un risque important de violation de réglementations financières locales et devrait conduire les émetteurs à exclure certains pays de l’offre.

Le décret DEEP du 24 décembre 2018 ouvre ainsi la possibilité de réaliser des STO en France avec un cadre juridique solide et éprouvé. Il devrait également permettre de redonner vie à un type d’offre au public qui était tombé en désuétude : l’offre au public de valeurs mobilières sans admission à la cotation.
La limitation des titres concernés aux titres non cotés paraît, pour l’heure, raisonnable même si les DLT pourraient se révéler très utiles dans le cadre de la gestion de l’actionnariat de sociétés cotées dont le nombre d’actionnaires se compte souvent par milliers.

En tout état de cause, une telle extension de la notion d’inscription de titres financiers sur des DLT aux titres cotés pourrait sonner la fin du métier des dépositaires centraux et donner naissance à des plateformes de négociations de titres financiers cotés décentralisées et fondées de facto sur la transparence et l’équité. Les introductions en bourse et émissions de titres de créance seraient alors réalisées sous forme de STO puisque les questions d’illiquidité qui se posent aujourd’hui seraient résolues. Gardons tout de même à l’esprit que les STO n’ont rien de révolutionnaire du point de vue juridico-financier.
En effet, à l’heure actuelle, les STO ne consistent, en somme, qu’à réaliser une offre au public de valeurs mobilières dont seul le mode d’inscription est innovant du fait de l’utilisation de DLT.

Adrien Ahmadi Kermanshahni et Henri Nalbandyan, Elèves-avocats.

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  • par Mouad Tanouti , Le 9 novembre 2019 à 20:51

    Bonsoir,
    Félicitations pour la clarté de l’article et les informations apportés.
    J’ai une question : en référence au cadre de régulation des STO que vous avez exposé, est ce qu’il est fait une différence entre les Utility token et les security token ? j’ai cru comprendre après plusieurs lectures que, peut être dans d’autres législations, les token rentrent dans le cadre de la régulation des instruments financiers dès lors qu’ils sont qualifiés de scurity par ce que dans ce cas ils présentent les caractéristiques des instruments financiers (droit de vote, droit au dividende etc.).
    Avez vous connaissance de lecture ?
    Merci beaucoup

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