Rupture conventionnelle avec un salarié absent : des possibilités toujours plus étendues.

Par Agnès Ioos-Especel, Avocat.

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Explorer : # rupture conventionnelle # consentement du salarié # maladie professionnelle # harcèlement moral

Depuis sa création, la rupture conventionnelle rencontre un franc succès. Mais aujourd’hui encore, nombreux sont les employeurs qui ignorent s’ils sont en droit ou non de proposer un tel mode de rupture avec un salarié absent pour maladie ou en congé maternité.
Dans ce domaine, la jurisprudence, toujours plus permissive, n’hésite pas à s’écarter du « cadre » posé par l’administration. Voici donc quelques éclaircissements.

Article mis à jour par l’auteure en août 2019.

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Salariés en arrêt maladie non professionnelle.

Le principe est le suivant : une rupture conventionnelle peut être conclue avec un salarié en arrêt maladie non professionnelle dès lors que le salarié a consenti librement à ladite rupture.

Ce principe a été affirmé déjà depuis plusieurs années par la Cour de cassation.

Mais en pratique, que cela signifie-t-il ?

Pour qu’une rupture conventionnelle soit valable, le consentement du salarié doit être libre et éclairé.

Une fraude de l’employeur, opérée dans le but de contourner la législation protectrice, ou encore un vice du contentement du salarié (erreur, pressions, menaces, manœuvres de l’employeur etc…) seraient susceptibles de remettre en cause la validité de la rupture.

Le salarié qui prouve la fraude de l’employeur ou le vice du consentement et, démontre que dans d’autres circonstances, il n’aurait pas accepté la rupture conventionnelle, sera légitime à demander que ladite rupture soit requalifiée en licenciement dépourvue de cause réelle et sérieuse.

C’est notamment en cas de maladie psychique que la question du consentement peut se poser.

Toutefois, la Cour de cassation s’est jusqu’à présent montrée souple dans ce cas de figure.

Ainsi, dans une décision en date du 30 septembre 2013, la Haute Juridiction a estimé que l’état de santé d’un salarié n’altère pas son consentement même s’il est en arrêt de travail pour une dépression attribuée à ses conditions de travail (Cass. Soc. 30 septembre 2013, n°12-19711).
Il convient toutefois d’être prudent.

En effet, dans cette espèce, les juges avaient estimé que le harcèlement moral n’était pas prouvé.

S’il l’est, la situation est différente.

En effet, depuis plusieurs années déjà, la Cour de cassation a affirmé qu’une rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement moral devait être annulée.

Cette position protectrice des salariés semble établie puisque la Cour de cassation a rappelé ce principe dans un arrêt récent (Cass. Soc. 28 janvier 2016, n°14-10308).

Salariés en arrêt de travail consécutif à une maladie professionnelle ou à un accident de travail.

Dans ces cas de figures, la Cour de cassation s’est montrée bien plus permissive que l’administration.

En effet, aux termes de la circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle, « dans les cas où la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L 1225-4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L 1226-9, etc...), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période. »

Pourtant, la Cour de cassation a choisi de ne pas suivre cette position.
Ainsi dans une décision en date du 30 septembre 2014, une salariée victime d’un accident du travail, avait conclu une rupture conventionnelle avec son employeur, en dehors de toute visite médicale de reprise.

La salariée a demandé aux juges du fond de déclarer nulle la rupture conventionnelle.

La Cour de cassation a approuvé la décision de la cour d’appel qui avait rejeté cette demande et a jugé que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue au cours de la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle (Cass. Soc. 30 septembre 2014, n° 13-16297, BC V n° 219).

Cette solution a été confirmée ultérieurement (Cass. Soc. 16 décembre 2015, n°13-27212).

Salariés en situation d’inaptitude.

Ce n’est que tout récemment qu’une telle question a été tranchée par la Haute juridiction (Cass. Soc. 9 mai 2019, n°17-28767).

Jusqu’alors, il est déconseillé par prudence aux employeurs de proposer une rupture conventionnelle à un salarié inapte.
En effet, il avait été jugé par la Cour d’appel de Poitiers, qu’une rupture conventionnelle conclue entre les 2 visites de reprise n’était pas valable puisqu’elle aurait eu pour but de contourner le régime d’ordre public de l’inaptitude (Cour d’appel de Poitiers 28 mars 2012 n°10/02441).

Par un arrêt rendu le 9 mai 2019, la Cour de Cassation a précisé pour la première fois qu’une rupture conventionnelle conclue avec un salarié déclaré inapte était valable, sauf cas de fraude ou du vice du consentement, non allégués en l’espèce (Cass. Soc. 9 mai 2019, n°17-28767).

A noter toutefois qu’il n’est pas en principe de l’intérêt du salarié dont l’inaptitude est professionnelle d’opter pour ce mode de rupture de son contrat de travail.
En effet, en application des dispositions de l’article L1226-14 du Code du travail, le salarié licencié pour inaptitude professionnelle a droit à l’indemnisation spécifique de licenciement (égale au double de l’indemnité légale de licenciement, sauf dispositions conventionnelles plus favorables), ainsi qu’à une indemnité légale de préavis.
En cas de rupture conventionnelle, l’employeur sera redevable uniquement à l’égard de ce salarié de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
Ainsi, sauf à obtenir dans le cadre de négociations relatives aux modalités de la rupture conventionnelle, des indemnités au moins égales à celles qu’il percevrait dans l’hypothèse d’un licenciement pour inaptitude professionnelle, le salarié n’a aucun intérêt financier à conclure une rupture conventionnelle.

Salariées en congé maternité ou durant la période de protection contre le licenciement.

Dans cette situation également, la Cour de cassation s’est montrée plus tolérante que l’administration.
Ainsi, dans un arrêt du 25 mars 2015, une salariée avait signé, à son retour de congé maternité, une rupture conventionnelle, laquelle avait été homologuée par l’autorité administrative.

La salariée saisit alors la juridiction prud’homale d’une demande de nullité de cette rupture conventionnelle.

Les juges d’appel déboutent la salariée de sa demande.

Le pourvoi intenté contre cette décision est rejeté au motif que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement non invoqués en l’espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l’article L.1237-11 du Code du travail au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant la période de protection suivant l’expiration de son congé maternité (Cass. Soc. 25 mars 2015, n°14-10149).

Ainsi et en synthèse, la jurisprudence déplace progressivement les limites initialement posées par l’administration dans sa circulaire relative à la rupture conventionnelle.

Elle fait prévaloir la volonté des parties sur le contexte factuel de la rupture.

Afin de limiter le risque pour l’employeur d’une contestation ultérieure du salarié fondée sur un défaut de consentement ou l’exercice de pressions à son égard, il parait souhaitable d’obtenir de ce dernier un écrit confirmant qu’il est à l’initiative de cette rupture conventionnelle.

Agnès IOOS-ESPECEL
Avocat

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