1) Faits et procédure.
La société civile professionnelle d’avocats X (la SCP) a conclu avec Mme [R], un contrat de collaboration libérale, à effet du 1er avril 2021, comportant une période d’essai de trois mois.
Le 28 juillet 2021, la SCP a notifié à Mme [R], qui était placée en arrêt maladie, la rupture de sa période d’essai.
Le 5 août 2021, Mme [R] a contesté cette rupture devant le bâtonnier de l’ordre des avocats de son barreau.
2) Moyens.
2.1) Sur la rupture pendant la période d’essai.
La SCP fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Pau de dire que la rupture ne pouvait intervenir pendant la période d’indisponibilité pour cause de maladie de Mme [R] et que celle-ci n’a commis aucun manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé.
Elle plaidait que « que les règles relatives à la rupture du contrat de collaboration ne sont en principe pas applicables durant la période d’essai » et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel de Pau a violé les articles 14.4.1 et 14.4.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat ».
2.2) Sur le manquement grave aux règles professionnelles.
La SCP fait grief à l’arrêt de dire que Mme [R] n’a commis aucun manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé, de dire que la rupture du contrat de collaboration notifiée le 28 juillet 2021 ne peut produire aucun effet, de condamner la SCP à payer à Mme [R] la somme de 7 500 euros au titre du délai de prévenance de trois mois, et à l’Union des jeunes avocats de Pau la somme de 1 euro de dommages et intérêts et d’ordonner la réouverture des débats sur la demande en paiement de la rétrocession d’honoraires du 26 juillet 2021 au 22 août 2021.
La SCP plaidait que la cour d’appel a violé l’article 14.4.2 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat aux motifs que :
« la rupture du contrat de collaboration peut intervenir pendant une période d’indisponibilité du collaborateur pour raison de santé dès lors que sont établis des manquements graves aux règles professionnelles non liés à l’état de santé ;
qu’à ce titre, tous manquements, tant aux principes essentiels de la profession qu’aux obligations qui résultent du contrat de collaboration, peuvent justifier la rupture du contrat de collaboration à condition d’être suffisamment graves ;
qu’en décidant qu’il n’y avait pas lieu de s’expliquer sur les manquements pris des absences répétées, du défaut de collaboration aux activités du cabinet et du manque de travail de Me [R] au motif qu’ils ne constituaient pas des manquements aux principes essentiels de la profession, quand de tels manquements, à condition d’être graves, pouvaient justifier la rupture du contrat de collaboration pendant la période d’indisponibilité ».
3) Réponse de la Cour.
Le pourvoi de la SCP est rejeté.
3.1) Sur la rupture pendant la période d’essai.
Le litige relatif à la rupture d’un contrat de collaboration libérale doit être tranché selon les termes du contrat et les textes régissant la profession d’avocat.
Il résulte de l’article 14.4.2 du RIN que la notification de la rupture du contrat ne peut intervenir pendant une période d’indisponibilité du collaborateur pour raison de santé médicalement constatée, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé.
Ce texte n’excluant pas la protection du collaborateur libéral en période d’essai, la cour d’appel en a, à bon droit, fait application.
3.2) Sur le manquement grave aux règles professionnelles.
Constitue un manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé au sens de l’article 14.4.2 du RIN précité, toute méconnaissance par l’avocat des obligations légales, réglementaires ou contractuelles, qui porte atteinte aux principes essentiels de la profession.
La cour d’appel de Pau a retenu que les griefs invoqués par la SCP à l’encontre de Mme [R] consistaient,
en premier lieu, en des absences, un défaut de collaboration aux activités du cabinet à temps complet, un manque de travail et un défaut de compte-rendu des dossiers durant une semaine, n’ayant pas porté atteinte aux principes essentiels de la profession,
en deuxième lieu, en une carence dans la défense des intérêts de clients ayant dû être orientés vers d’autres confrères qui n’était pas établie,
en troisième lieu, en certains faits qui, lorsqu’ils auraient été constatés, n’auraient pas entraîné une rupture de la période d’essai et ne sauraient la justifier ultérieurement et,
en dernier lieu, en un défaut de respect des délais de procédure qui affectait l’obligation de diligence mais constituait un incident isolé ayant pu être réparé.
Elle a pu en déduire que la rupture du contrat de Mme [R] n’était pas justifiée par un manquement grave aux règles professionnelles au sens de l’article 14.4.2 du RIN.
4) Analyse.
4.1) Application à la période d’essai de l’article 14.4.2.
Tout d’abord, la Cour de cassation fait application de l’article 14.4.2 du RIN à la protection du collaborateur libéral en période d’essai, car le texte ne l’exclut pas.
À notre connaissance, c’est la première fois qu’elle statue sur ce point.
Cette extension de la protection de l’article 14.4.2 du RIN à la période d’essai doit être approuvée.
4.2) Notion de manquement grave aux règles professionnelles de l’avocat collaborateur.
Par ailleurs, la Cour de cassation précise la notion de manquement grave aux règles professionnelles de l’avocat collaborateur.
En l’espèce, la Cour de cassation opte pour une interprétation stricte du manquement grave aux règles professionnelles de l’avocat collaborateur.
Le manquement grave aux règles professionnelles est défini par la Cour de cassation comme « toute méconnaissance par l’avocat des obligations légales, réglementaires ou contractuelles, qui porte atteinte aux principes essentiels de la profession ».
Rappelons que :
« L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie » [1].
À cet égard, dans l’arrêt du 29 novembre 2022, la Cour d’appel de Pau avait considéré que : elle n’avait pas à s’expliquer sur les manquements du collaborateur qui ne constituaient pas des manquements aux principes essentiels de la profession (absences répétées, défaut de collaboration aux activités du cabinet et manque de travail de Me [R]).
La Cour de cassation suit le raisonnement de la Cour d’appel de Pau puisque elle considère que :
- Les absences, le défaut de collaboration aux activités du cabinet à temps complet, un manque de travail et un défaut de compte-rendu des dossiers durant une semaine, n’ont pas porté atteinte aux principes essentiels de la profession ;
- La carence dans la défense des intérêts de clients ayant dû être orientés vers d’autres confrères n’’était pas établie ;
- Certains faits qui, lorsqu’ils auraient été constatés, n’auraient pas entraîné une rupture de la période d’essai et ne sauraient la justifier ultérieurement ;
- Un défaut de respect des délais de procédure qui affecte l’obligation de diligence mais constitue un incident isolé ayant pu être réparé.
Le manquement grave n’était donc pas avéré.
Ceci doit être approuvé.
Dans un arrêt du 24 octobre 2019 (18-24.538), la Cour de cassation avait déjà considéré qu’il n’ y avait pas de manquement grave aux règles professionnelles qui résultaient de deux altercations entre un avocat associé et son avocat collaborateur.
La Cour de cassation avait relevé « d’abord, que l’on ne peut ni déterminer les circonstances exactes du premier incident, Mme V... soutenant qu’eu égard à sa charge de travail, il convenait de faire un point sur l’ordre de priorité des dossiers, ni imputer à l’un ou l’autre des avocats les propos injurieux et agressifs tenus à l’occasion de la seconde altercation, ensuite, que, dès le 10 décembre, Mme V... a été placée en congé maladie, enfin, que M. Y... a attendu quatorze jours après les incidents pour lui signifier la rupture de son contrat de collaboration, une heure après avoir reçu un avis de prolongation d’arrêt de travail, alors que, le jour même de la seconde altercation, il lui avait envoyé un texto pour lui demander de venir travailler, le cabinet ayant besoin de son investissement ».
La Cour de cassation est donc stricte sur l’application du « manquement grave aux règles professionnelles » de l’avocat collaborateur.
En publiant au bulletin l’arrêt, la Cour de cassation a voulu lui donner une publicité importante d’autant que la jurisprudence est rare en la matière.
Sources :