Le rôle de l’avocat en matière d’internement psychiatrique.

Par David Guyon, Avocat.

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« Celui qui parle, celui qui écrit est essentiellement un homme qui parle pour tous ceux qui sont sans voix » Disait Victor Serge, révolutionnaire Russe.
Dans le cadre de l’hospitalisation sous contraintes, les patients souffrant de troubles psychiatriques sont bien en mal pour trouver leurs mots. Parfois lourdement sédatés lorsqu’ils rencontrent enfin un juge après plusieurs jours d’hospitalisation, l’avocat devient la seule personne pouvant porter leur voix.
Quel est le rôle de l’avocat ?

-

I- Un rôle actif de l’avocat dans le cadre de l’hospitalisation d’office.

Pendant longtemps l’avocat a été tenu écarté des asiles et de ces lieux de privation de liberté pour des raisons de santé mentale.

Dorénavant son concours est indispensable pour qu’une mesure puisse légalement continuer de produire ses effets.

Le rôle de l’avocat n’est toutefois pas de se cantonner à un rôle passif, c’est-à-dire de simple observateur, voire même d’approbateur à la mesure d’hospitalisation de son client. Il ne doit pas non plus se contenter à reformuler les désirs de liberté de son client ou de sa situation personnelle.

Cette assistance doit être active ce qui implique plusieurs éléments :
- Entretien préalable à l’audience aussi longtemps que nécessaire ; en pratique une quinzaine de minutes ;
- Lecture attentive du dossier en vue de soulever toute irrégularité commise ;
- Plaidoirie soutenant les moyens juridiques permettant de s’assurer de la parfaite régularité et bienfondé de la mesure.

Surtout, pendant l’audience, l’avocat peut demander à ce que certaines pièces du dossier lui soient communiquées lorsque pour diverses raisons, elles ne l’ont pas été avant l’audience, ou qu’elles sont illisibles.

Il peut soulever de nouveaux moyens tout au long de l’audience, si durant l’entretien avec le patient il s’aperçoit que certaines irrégularités ont été commises.

Si le patient refuse de se présenter au juge, il peut aller à sa rencontre au sein de l’hôpital afin de s’assurer que tout se passe bien. Il doit s’assurer que ce refus vient réellement du patient afin d’éviter tout abus.

II- Un rôle juridique de l’avocat aux cotés de la personne hospitalisée.

L’avocat doit il refuser de plaider pour la mainlevée de l’hospitalisation lorsque l’état de santé du patient est inquiétant ?

Tout d’abord, l’avocat n’a aucune compétence pour apprécier l’état de santé de son client.

L’avocat doit rester à sa place, et ne pas s’ériger en censeur de la morale ou de la médecine.

Ce rôle est essentiel aux yeux de la Cour de Cassation qui rappelle la nécessaire distinction qui doit exister entre le droit et la médecine.

Ainsi il a été jugé que

« Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;
Attendu que, pour prononcer la mainlevée de l’hospitalisation sans consentement, l’ordonnance retient que les éléments à l’origine de la mesure ne sont pas justifiés dès lors qu’il n’est pas précisé en quoi les troubles mentaux de l’intéressé, à les supposer établis, seraient de nature à constituer un danger pour lui-même ou pour autrui et qu’il n’est nullement fait mention de risque de suicide, de mise en danger, ou d’hétéro-agressivité
 » [1].

Ainsi, l’avocat n’a pas à se demander si son client souffre ou non de troubles mentaux, ou si son état de santé lui permettrait de sortir ou non suite à l’audience.

Il ne doit pas non plus se demander s’il doit ou non plaider les arguments juridiques qui pourraient conduire à ce qu’il sorte de l’hôpital. Il doit les plaider, car ce n’est pas seulement dans l’intérêt du patient, mais également dans celui de la légalité.

En effet, il revient aux médecins d’indiquer les circonstances particulières qui motivent cet internement d’office. Quant au juge, il peut décider de prononcer la mainlevée avec un effet différé de 24h, afin de permettre aux médecins éventuellement de reprendre une mesure d’hospitalisation. Cela purge ainsi la procédure du vice initial, tout en préservant l’état de santé du patient.

Que faire lorsque le patient souhaite lui-même rester à l’hôpital ?

Bien entendu, si la personne hospitalisée ne souhaite pas quitter l’hôpital, il revient à l’avocat d’en prendre note.

L’avocat ne doit pas être plus royaliste que le roi. Si le patient souhaite rester de son plein gré à l’hôpital, alors il doit en tenir compte. Par principe, l’avocat s’abstiendra de soulever les arguments qui pourraient conduire le patient à devoir sortir de l’hôpital.

III- Un rôle essentiel de l’avocat aux cotés des patients hospitalisés sous contraintes.

Les personnes hospitalisées sous contraintes sont des personnes fragiles et vulnérables.

Souvent sédatées, elles ne peuvent pas toujours exprimer clairement leurs idées lorsqu’elles rencontrent le juge.

Il revient à l’avocat ainsi de porter la voix de ceux qui n’en ont plus.
Surtout, il doit s’assurer que la procédure est régulière.

Ce contrôle a plusieurs objectifs :
- Contraindre les centres hospitaliers a adopter de bonnes pratiques ;
- Eviter toute procédure abusive ;
- Nourrir la jurisprudence qui guideront les juges des libertés et de la détention.

Sur le dernier point, cela est essentiel. En effet, bien souvent, les juges de la liberté et de la détention se réfèreront à ce qui aura déjà été jugé par la Cour de Cassation ou les cours d’appel.

Compte tenu de ce public fragile que sont les personnes hospitalisées il faut parfois plusieurs années avant qu’un point de droit puisse être tranché définitivement. Le rôle des avocats est donc de permettre l’évolution de la jurisprudence afin de rendre effectif les droits et garanties qui ont été instaurés par le législateur au profit des personnes hospitalisées.

Ainsi, le contrôle de la régularité dépasse très largement l’intérêt de la seule personne hospitalisée. En défendant une personne hospitalisée sous contraintes, c’est toutes les personnes hospitalisées qui le sont. Ainsi se retrouve portée la voix de ceux qui parfois n’en ont plus.

David Guyon, Avocat

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Notes de l'article:

[1Cour de Cassation 1ère chambre civile 27 septembre 2017 n°16-22.544.

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