Le risque de confusion n’est pas combattu par la faible distinctivité du signe en présence d’importantes similitudes.

Par Muriel Assuline, Avocat.

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Explorer : # risque de confusion # similitude des marques # caractère distinctif # opposition à l'enregistrement

Par un arrêt du 8 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a statué en Grande chambre sur la portée de l’appréciation du risque de confusion. Il résulte de cet arrêt que le risque de confusion ne peut être mis en échec par le caractère distinctif faible d’une marque nationale dès lors que des similitudes sont trop importantes.

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Cour de justice UE, gde ch., 8 novembre 2016, C-43/15P, BSH Bosch und Siemens Hausgeräte / EUIPO – LG Electronics (compressor technology)

Le 8 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de se prononcer sur la délicate question de l’appréciation de la notion de « risque de confusion » entre une marque de l’Union européenne et une marque nationale.

En l’espèce, la Société BSH souhaitait enregistrer devant l’EUIPO une marque figurative de l’Union européenne comportant les éléments verbaux « compressor technology » pour des produits en classes 7, 9 et 11. Cependant, la Société LG Electronics, titulaire de marques française, espagnole et britannique KOMPRESSOR enregistrées pour des produits en classes 7 et 11, s’est opposée à cet enregistrement.

Dans une décision du 5 septembre 2013, la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) accueille l’opposition sur le fondement d’un risque de confusion. Par la suite, le Tribunal de l’Union européenne rejette, dans sa décision du 4 décembre 2014, le recours de la Société BSH tendant à l’annulation de la précédente décision.
La Société BSH décide donc de porter l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Les arguments de la Société BSH concentrés sur le caractère distinctif faible des marques nationales antérieures

La Société BSH reproche au Tribunal de l’Union européenne de s’être fondée sur une conception erronée du « risque de confusion » qui a pour conséquence que le recoupement de deux marques au niveau d’un élément purement descriptif suffit à créer un tel risque, conduisant ainsi à la monopolisation d’une indication purement descriptive (point 47).

L’argumentation de la Société BSH pour revendiquer la décision du Tribunal est donc de se tourner vers le caractère peu distinctif des marques nationales antérieures. En effet, l’objet d’une marque est de permettre l’identification d’un produit ou d’un service et c’est pour cela que seuls les signes distinctifs ne peuvent constituer une marque valide. Ce critère de distinctivité est énoncé à l’article L 711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

Selon la Société BSH, lorsque la marque nationale antérieure présente un caractère distinctif faible, « l’existence de similitudes importantes entre les signes et l’identité des produits que les marques en conflit ne peut permettre de conclure à l’existence d’un risque de confusion, dès lors que les similitudes des signes se limitent aux indications descriptives et ne concernent que des produits qui sont décrits par l’indication » (point 48). Pour appuyer son argumentation, la Société BSH fait remarquer à la Cour qu’elle avait confirmé dans l’arrêt du 10 novembre 2011 LG Electronics/OHMI (C-88/11 P, non publié, EU:C:2011:727), le refus par l’EUIPO d’enregistrer comme marque de l’Union le signe « KOMPRESSOR PLUS » pour des aspirateurs, au motif que ce signe était purement descriptif (point 69). Ainsi, selon BSH, le simple fait que les marques nationales antérieures présentent un caractère distinctif faible suffit à passer outre le haut degré de similitude existant entre lesdites marques.

Pourtant, pour être valable, un signe doit également être « disponible ». Cette disponibilité prévue à l’article L 711-4 CPI signifie que le signe ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs. Est donc indisponible le signe qui porte atteinte à une marque antérieure enregistrée. En l’espèce, c’est la marque de l’Union européenne qui aspire à être enregistrée qui porterait atteinte aux marques nationales antérieures.

Le Tribunal rappelle alors dans sa décision, que la première chambre de recours de l’EUIPO a notamment rappelé dans sa décision que selon la jurisprudence, même en présence d’une marque à caractère distinctif faible, il peut exister un risque de confusion, notamment en raison de l’existence d’une similitude des signes et des produits ou des services visés (point 57). En l’espèce, les produits en cause étaient identiques et les marques en conflit présentaient une similitude élevée.
Ainsi, le Tribunal a souhaité montrer que malgré l’existence du caractère distinctif faible de la marque il faut avant tout retenir le niveau élevé de la similitude entre les marques en question (point 58).

Un « risque de confusion » avéré

Dans son arrêt du 8 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union juge que l’appréciation du risque de confusion par le Tribunal n’est entachée d’aucune erreur de droit (point 60). Cela confirme donc l’existence d’un réel « risque de confusion » entre les marques en conflit.

La jurisprudence de la Cour de justice est constante en ce point car elle a déjà eu l’occasion de juger plusieurs fois que, si le caractère distinctif d’une marque antérieure doit être pris en compte dans le cadre de l’appréciation globale de l’existence d’un risque de confusion, il ne constitue cependant qu’« un élément parmi d’autres » intervenant lors de cette appréciation (point 61). Ainsi, la Cour relève que « même en présence d’une marque antérieure à caractère distinctif faible, le Tribunal peut estimer qu’il existe un risque de confusion, notamment en raison d’une similitude des signes et des produits ou des services visés » (point 63).

Dans sa décision, la Cour finit aussi par rejeter l’argument de BSH concernant la monopolisation d’un terme descriptif lorsqu’est accepté un tel caractère distinctif faible, comme en l’espèce. Or ce genre de dénonciation ne peut se faire que dans le cadre d’une procédure en nullité dans l’État membre concerné et non dans le cadre d’une procédure d’opposition devant l’EUIPO (point 68).

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt

Dans cet arrêt portant sur l’appréciation de la notion de « risque de confusion », la Cour de justice de l’Union européenne a décidé de statuer en grande chambre. Ce choix, pourtant très rare en matière de droit des marques, souligne l’importance de la problématique qui s’est présentée devant elle dans le cadre de cette affaire.

D’autre part, le fait que la Cour de justice juge que le risque de confusion provienne d’une trop grande similitude entre les marques antérieures nationales et la nouvelle marque de l’Union européenne et ce, malgré le caractère distinctif faible de ces marques antérieures, montre l’importance accordée aux marques nationales dans le cadre des oppositions devant l’EUIPO.
En effet, selon l’article 8 du Règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009, pour être enregistrée, la marque communautaire doit être disponible ce qui donne au titulaire de droits antérieurs la possibilité de former une opposition à l’enregistrement d’une marque communautaire. Ainsi, dès lors qu’il existe « un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée » le titulaire de droits antérieurs peut valablement former opposition.

Ce que montre la décision du 8 novembre 2016 est donc que même si le caractère distinctif d’une marque nationale est faible, cela ne peut en aucun cas exclure le risque de confusion qui existe lorsque les marques et les produits ou services concernés présentent un niveau élevé de similitudes.

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Discussion en cours :

  • par Alexis , Le 24 novembre 2016 à 15:34

    La stratégie de défense de la société BSH n’est-elle pas absurde ? Se fonder sur le caractère faiblement distinctif de la marque adverse pour tenter de contourner le risque de confusion ne revient-il pas à avouer le caractère non distinctif de sa propre marque ? Comment sérieusement soutenir l’argument selon lequel la partie adverse ne peut se réserver le monopole sur un signe descriptif ... ?

    A l’évidence et comme vous le relevez, cet argument aurait davantage de portée dans le cadre d’une procédure en nullité de la marque dans l’Etat membre concerné.

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